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17/11/2009
Les 30 ans du Messager au Cameroun Les grandes heures d'une presse de combat

(MFI) Cr en 1979 par Pius Njaw, Le Messager est le plus ancien priodique d'opinion n en Afrique francophone la faveur du pluralisme naissant. C'est aussi l'un de ceux qui a subi la plus forte rpression du pouvoir. Du 14 au 20 novembre Douala, il fte ses 30 ans d'existence, invitant ainsi s'interroger sur le rle de la presse libre.

On regrettera peut-tre un jour l'heure qui fut celle des pionniers. Imaginons demain une capitale africaine, ses buildings en verre et ses grandes enseignes clignotantes : The Superpress Group (c'est mieux en anglais), de son gratte-ciel dominant des voies grande circulation, rgne sur un march de centaines de milliers de lecteurs, internautes et autres tlphages, invits consommer toute heure les nouvelles instantanes rpandues par ses dizaines de journalistes et communicateurs, regroups dans de vastes open space. Dans le grand hall d'entre au mur couvert d'crans, un ballet incessant d'hommes politiques et de leaders conomiques venus assurer, dans ce temple de l'info-business, leur promotion selon un rituel bien ordonn

Nulle surprise, aucun fracas, encore moins de censure : l'information marchandise ne drangera, depuis longtemps, plus personne, et les journalistes l'allure juvnile et correcte du Superpress vous regarderont avec un mlange de stupeur et de commisration si vous leur expliquez : ici mme, les amis, autrefois une escouade de police effectuait sa descente dans un vieil immeuble aux murs empoussirs, saccageant des ordinateurs fatigus avant d'entraner le matre des lieux, histoire de l'enfermer quelques semaines en l'interrogeant un peu rudement. Imaginez : une nouvelle avait dplu. C'tait ce qu'on appelait, en ce temps-l, un trouble l'ordre public.

Cela fait trente ans qu'un journal comme Le Messager trouble l'ordre public . Une bien curieuse vocation. Au Cameroun comme en tant d'autres pays on ne comprend toujours pas - chez les tenants de l'ordre - quelle fivre a pu saisir ces gens de presse qui, la faveur d'une regrettable ngligence des autorits, ont commenc vers la fin des annes 1980 publier des libelles contre la politique d'un gouvernement ou d'un autre, contre les actes d'un puissant ou d'un autre ; on ne comprend toujours pas la virulence, le ton prophtique ou acide, l'allure diffamatoire ou mme allusive des articles que ces plumitifs fort mal rtribus se sont ingnis produire.

La presse comme contrepouvoir

Nous avons une fonction tribunicienne , commente aujourd'hui encore, 50 ans, le fondateur du Messager, Pius Njaw. Nous tenons le rle d'un contrepouvoir , indique en rsonance un autre prcurseur, du Sngal celui-l, Babacar Tour de Sud. Des options maintenues en dpit des mises en garde, des procs, des brimades financires, des embastillements et, parfois, des bastonnades. Aujourd'hui connu dans le monde entier, Pius Njaw dtaille volontiers ses cicatrices conquises au combat : 126 arrestations, 11 mois de prison ! La libert de la presse, perue faute de mieux par les gouvernements comme un mal ncessaire, doit-elle donc tre un ternel champ de lutte ?

Trente ans aprs les premires armes du Messager, un des tous premiers journaux de cette re pluraliste en Afrique francophone qui allait voir l'mergence la fin des annes 1980 de quelques-uns des titres pionniers que furent La Gazette du Bnin, Sud au Sngal, Le Jour en Cte d'Ivoire ou encore Les Echos au Mali., on peut essayer de formuler une rponse. Si les journalistes africains sont, encore trop souvent, en tenue de combat, c'est qu'on ne leur a sans doute pas laiss le choix.

Le chemin parcouru

Beaucoup de chemin a t accompli pourtant, depuis ces premiers numros du Messager qu'on s'tonnait en les feuilletant de trouver parsems d'espaces blancs : les ciseaux de la censure pralable taient passs par l. De fait, en trente ans, la censure administrative a recul ou disparu, des lgislations plus librales ont t adoptes, des conseils suprieurs de la communication ont t rigs, des dispositifs d'aide financire la presse ont t mis en place ; les tribunaux ont commenc dlibrer avec un peu plus de doigt dans les procs de presse, et les rtorsions ont su se faire plus subtiles. Tous ces amnagements au rgime de la presse ont t acquis par la pression, souvent extrieure, et par celle, permanente, des journalistes eux-mmes et de leurs organisations. On peut aussi crditer certains dirigeants de leur sens de l'histoire, qui ont compris qu'on ne pouvait plus svir comme par le pass. Un pass toutefois pas si lointain, si l'on se souvient de l'anne 1997, passe par Pius Njaw, le fondateur du Messager, derrire les barreaux pour propagation de fausses nouvelles .

Alors ? Pourquoi, au seuil des annes 2010 y aurait-il encore un problme de la presse et des mdias en Afrique francophone, de sorte que l'antagonisme continue dominer dans les rapports entre journalistes et politiques ? Si de longs dveloppements seraient ncessaires, on peut rsumer l'analyse ainsi : les mdias, pas plus que la dmocratie dont ils sont l'manation, ne semblent tre considrs par les pouvoirs africains comme les vecteurs d'une profonde rorganisation sociale et politique permettant l'panouissement de la citoyennet et d'une autonomie des individus au sein de la collectivit.

Tout le reste, et en particulier la situation des mdias, dcoule probablement de cette mprise : les lites n'ont pas assimil l'esprit d'une dmocratie, beaucoup d'gards impose de l'extrieur, dont on s'est content d'adopter le seul cadre formel. Faute de cette dynamique, personne ne voit plus trs bien quoi peuvent servir des mdias rests sur le qui-vive, socialement et conomiquement marginaliss, de ce fait peu professionnaliss, trs logiquement corruptibles et pouvant par un effet boomerang s'avrer nuisibles.

Une gnration aprs les dbuts de la presse libre en Afrique, il reste donc toujours envisager presse et mdias comme des acteurs positifs de changement. Ce qui conduirait adopter une attitude nouvelle consistant non pas encadrer ou aider les mdias, mais pour le moins crer l'environnement rglementaire, conomique, ducatif et culturel adquat. Arrtons-nous cette seule constatation : l'enseignement du journalisme est encore, en Afrique francophone, un champ de dcombres, peu prs abandonn la seule fantaisie des bailleurs de fonds.

L serait aussi une faon de contourner l'avenir radieux qui vous tait promis au dbut de cet article : une presse devenue - dans le meilleur des mondes globaliss - un objet de consommation quelconque, hautement normalis, et peu prs sans effet sur le cours des vnements et l'avance de la libert de conscience.

Robert Mnard : Il nous faut d'autres Pius, d'autres Messager

(MFI) Le fondateur et ancien secrtaire gnral de Reporters sans frontires s'exprime* l'occasion des 30 ans du Messager :

Pius Njaw est une lgende. Une de ces lgendes qui font un pays et, mme, un continent. Demandez donc un journaliste, o que ce soit dans le monde, le nom d'un de ses confrres africains : vous avez toutes les chances qu'il cite en premier celui du fondateur du Messager. Pius incarne la presse africaine. Il est son visage. Celui du combat pour son indpendance et sa dignit.

Cette anne, nous fterons les trente ans du Messager mais plus encore, celui qui en est le crateur, l'animateur, l'me. Vous l'aurez compris, j'ai plus que de l'affection pour Pius. Il est mon ami et je l'admire. Nous nous connaissons depuis le milieu des annes 80. Bien avant la vague de libert qui a balay tant de rgimes africains, mme si certains ont su faire le dos rond et svissent encore... Je l'ai vu manifester dans les rues de Douala et de Yaound. Et prendre des coups. Je lui ai rendu visite en prison alors qu'il tait incarcr pour crime de lse-majest. Je l'ai cout prendre la parole lors de nombreuses runions, un peu partout dans le monde, avocat acharn de ses confrres du continent. Je l'ai applaudi quand il osait montrer du doigt ces lus - ou mal lus - qui proraient sur les estrades officielles. Je l'ai soutenu quand, avec la mme exigence, il dnonait ceux-l qui parmi les journalistes, se laissent acheter, vendent leurs plumes, bref se dshonorent.

Nous avons de multiples raisons de nous retrouver cette anne aux cts de Pius - et de toute son quipe - pour un anniversaire qui devrait runir bon nombre de ceux qui se sont battus ces dernires annes afin qu'en Afrique et ailleurs, hommes et femmes puissent disposer de cette presse libre et indpendante sans laquelle il n'est pas de vraie citoyennet. Et Dieu sait que c'est loin d'tre le cas partout ! Il nous faudrait d'autres Pius, d'autres Messager (.).

*A retrouver, ainsi que bien d'autres lments, sur le site internet du Messager : www.lemessager.net

Thierry Perret

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