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01/12/2009 | |||
Une stratgie francophone pour Copenhague
Comment, demain, nourrir l'Afrique ? Trois grands tmoins rpondent | |||
MFI) David Houdeingar, prsident du Conseil constitutionnel et ancien ministre de l'Agriculture du Tchad, est membre du programme de recherche Lascaux l'Universit de Nantes. Jean-Pascal Van Ypersele est vice-prsident du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'volution du climat, le fameux GIEC, et professeur l'Universit catholique de Louvain, en Belgique. Marc Dufumier est professeur d'agriculture compare et dveloppement agricole l'Institut national agronomique Paris-Grignon, en France. Tous trois donnent leurs pistes concernant la scurit et la souverainet alimentaires de l'Afrique face aux changements climatiques. | |||
MFI : A quelles conditions est-il possible pour les pays africains de tout la fois garantir la scurit alimentaire et faire face aux changements climatiques ? David Houdeingar : Ce sont l deux dfis majeurs auxquels sont confronts les pays africains en gnral et ceux du Sahel en particulier ! Au regard de la diversit des Etats, de leur niveau de dveloppement, des contraintes socioconomiques, politiques et environnementales auxquelles ils sont soumis, les conditions requises pour relever ces dfis ne peuvent s'appliquer de manire uniforme. Pour assurer la scurit alimentaire, les pays africains doivent consacrer au secteur agricole un financement spcifique destin accrotre la comptitivit et la productivit de l'agriculture. Pour ce faire, ils doivent mettre en ouvre des politiques et des programmes visant : - amliorer le fonctionnement des marchs nationaux et rgionaux des intrants et des extrants ; - amliorer le fonctionnement des marchs nationaux et rgionaux des intrants et des extrants ; - encourager l'agriculture biologique ; - grer les variations des prix ; - au renforcement de la recherche agronomique. La scurit alimentaire dans ce contexte devant s'entendre avant tout comme l'augmentation de la production agricole, la disponibilit des denres alimentaires en termes de quantit plutt que de qualit et l'accessibilit de ces produits. En ce qui concerne les changements climatiques, outre les solutions appropries apporter au niveau national, rgional ou sous-rgional aux tendances mondiales trs inquitantes, les pays africains doivent tre plus solidaires pour influer sur les ngociations relatives une nouvelle rglementation portant sur les changements climatiques et pour orienter le partenariat vers un plus grand dynamisme entre les acteurs de l'administration publique, du secteur priv, des organisations intergouvernementales, des organisations non gouvernementales et de toute la socit. Il faut une synergie d'actions dans la diplomatie environnementale. Jean-Pascal Van Ypersele : La scurit alimentaire dpend de bien d'autres facteurs que le climat. La rpartition entre cultures vivrires et cultures d'exportation est par exemple trs importante, de mme que les capacits de stockage et les infrastructures de transport et de commercialisation. La manire dont le revenu est distribu l'intrieur du pays affecte galement les possibilits d'achat de nourriture : les personnes dont le pouvoir d'achat est trop faible ne pourront se nourrir. La famine rsulte bien souvent davantage d'une distribution ingalitaire des ressources que d'une quantit totale de nourriture insuffisante. Il faut noter aussi que la comptition entre les produits de l'agriculture africaine et ceux de l'agriculture europenne subventionne dcourage la production locale et ne contribue pas la scurit alimentaire. Dans ce contexte dfavorable, les changements climatiques vont "rajouter une couche" de difficults, car les rendements de plusieurs crales importantes vont diminuer en Afrique si la temprature augmente, et les pluies pourraient devenir plus irrgulires encore (plus fortes dans certaines rgions, plus rares ailleurs). Pour accrotre la scurit alimentaire, il faut donc planter les espces et lever les animaux les plus rsistants possibles la variabilit des conditions mto, dvelopper les capacits de stockage (d'eau et de produits agricoles), encourager la production vivrire, dvelopper les infrastructures et les politiques qui favorisent la distribution la plus juste possible. Au passage il faut aussi veiller ce que les missions de gaz effet de serre du secteur agricole soient les moins grandes possibles, en veillant passer des modes de production agro-cologiques reposant moins sur l'utilisation des nergies fossiles, mme si la priorit est d'abord celle de l'adaptation. Marc Dufumier : Il serait parfaitement possible pour les pays africains de nourrir correctement leurs populations avec des systmes de production qui fassent un usage intensif des ressources naturelles renouvelables (nergie solaire pour la photosynthse, et azote de l'air pour la fabrication des protines) et un emploi - le plus parcimonieux possible - des intrants chimiques dont la fabrication est coteuse en nergie fossile (engrais azots de synthse, produits phytosanitaires, etc.). Ces systmes consistent gnralement combiner plusieurs espces vgtales dans les mmes champs avec notamment la prsence de plantes de la famille des lgumineuses (pour la fixation biologique de l'azote de l'air) dans les assolements et les rotations. Ils associent aussi plus troitement l'agriculture et l'levage (les cycles du carbone et de l'azote), avec l'objectif de bien valoriser les rsidus de cultures, de produire du fumier ou du compost, et de reproduire ainsi au mieux l'humus des sols. La diversification des activits agricoles au sein des exploitations paysannes leur confre une plus grande rsistance faces aux risques accrus d'accidents climatiques (scheresses et inondations dont la frquence risque d'augmenter du fait du rchauffement global). La prsence d'arbres au sein des parcelles ou leurs pourtours (haies vives) permet non seulement d'hberger des insectes auxiliaires des cultures, mais peut avoir aussi pour fonction de puiser les lments minraux (potasse, phosphore, calcium, etc.) en profondeur, de les fixer temporairement dans leur biomasse (feuillage) et de les librer ultrieurement pour la fertilisation organique de la couche arable (chute des feuilles). Mais toutes ces techniques supposent que les paysans africains, qui ne disposent actuellement pour la plupart que d'outils manuels (houes, haches, machettes, btons fouisseurs etc.) soient d'ores et dj bien rmunrs de leur travail. Ceci de faon satisfaire les besoins de premire ncessit de leurs familles, mais aussi pouvoir pargner, puis investir. Il s'agit alors de l'acquisition de nouveaux quipements, tels que traction animale, charrues et charrettes atteles, de l'achat d'arbres et arbustes pouvant atteindre l'ge adulte sans tre surexploits prmaturment, etc. Il convient donc de faire en sorte que l'agriculture africaine paysanne soit protge de l'importation des surplus vivriers en provenance des pays du Nord (et des quelques latifundiums brsiliens et argentins) par des droits de douane consquents, de faon faire monter les prix agricoles sur les marchs intrieurs. Les ressources fiscales ainsi perues aux frontires permettraient alors aux Etats d'organiser des chantiers haute intensit de main-d'ouvre et de distribuer des revenus aux non agriculteurs pour qu'ils puissent acheter plus cher leur nourriture. L'aide publique au dveloppement agricole devrait pouvoir conforter cette politique de protection aux frontires, et permettre aux producteurs africains de mettre en ouvre des systmes de culture et d'levage qui soient la fois plus productifs et plus rsistants aux alas climatiques. Mais elle ne doit en aucun cas servir de substitut cette protection. MFI : Que peuvent attendre les pays africains du Sommet de Copenhague et que peuvent-ils apporter en terme d'expriences et de propositions pour lutter contre le rchauffement ? David Houdeingar : Les paysans africains, tout comme leurs chefs d'Etat, attendent du Sommet de Copenhague des rparations et des ddommagements de la part des pays industrialiss, principaux pollueurs de la plante . En terme de propositions, il y a ncessit d'une rduction significative des effets de serre, d'un dveloppement des nergies non polluantes (par exemple le solaire ou l'olienne), un transfert de technologie approprie. En attendant le transfert de technologie, la priorit c'est la restauration des sols fortement dgrads travers la mise en place des programmes destins soit amliorer la qualit de ceux-ci soit restaurer le couvert vgtal. Pour les pays sahliens, la ralisation de la Grande Muraille verte allant du Sngal au Soudan et couvrant plus de quinze pays constitue une des priorits. Celle-ci ncessite la mobilisation des moyens financiers importants qui ne sont pas la porte des seuls pays concerns Jean-Pascal Van Ypersele : Copenhague devrait permettre d'engager l'humanit vers des modles de dveloppement plus "durables". Avec des rductions ambitieuses d'missions pour les pays dvelopps ; des mcanismes suffisants de financement pour les politiques d'adaptation, notamment dans le domaine agricole, et charge des pays dvelopps qui sont les principaux responsables des changements climatiques ; grce aussi un partenariat Nord-Sud portant sur les financements, le renforcement des capacits et un partage des technologie, si l'on veut que les pays en dveloppement ne reproduisent pas le mode de dveloppement irrespectueux du climat des pays dvelopps ; il convient aussi de trouver des incitations la diminution du dboisement et la protection des sols. Les habitants et les dcideurs de tous les pays de la plante commencent comprendre que le climat ne connat pas les frontires. Nous sommes pourtant occups scier la seule branche sur laquelle nous sommes tous assis, il est du devoir des dirigeants runis Copenhague de s'entendre, dans l'intrt de toutes les populations et de tous les cosystmes de la Terre. Marc Dufumier : Lors du sommet de Copenhague, les ngociateurs africains devraient mettre en avant la capacit de production que pourraient acqurir leurs paysanneries si on ne les exposait pas indment, comme aujourd'hui, la concurrence internationale sur les marchs agricoles internationaux. Sachant qu'il s'agit l d'une comptition armes ingales avec des exploitants dj fortement quips de tracteurs, moissonneuses-batteuses, motopompes, etc. De mme devraient-ils mettre en vidence le danger qu'il y a laisser les paysans pauvres sans autre alternative que celle de devoir dfricher de nouveaux pans de forts pour y pratiquer l'abattis et le brlis, avec pour consquence un dstockage considrable de carbone. Les ngociateurs devraient encore souligner le fait que les interventions destines permettre aux producteurs africains d'adapter leurs systmes de production aux changements climatiques peuvent aussi contribuer rduire les missions de gaz effet de serre et donc attnuer le rchauffement climatique global : grce notamment la fixation du carbone dans la biomasse vgtale et l'humus des sols et l'conomie d'engrais azot de synthse (ure, ammonitrates...) dont la fabrication est coteuse en nergie fossile (gaz naturel). La demande de financements en provenance du Nord ne devrait pas se limiter la seule demande de "rparations" - du fait que c'est le Nord qui a t l'origine du rchauffement global actuel et que c'est l'Afrique qui risque d'en souffrir davantage -, mais les ngociateurs africains devraient insister aussi sur le fait que des pratiques agricoles novatrices en Afrique peuvent contribuer la prservation de notre patrimoine cologique commun. Et cela sans contradiction aucune avec les exigences de la scurit et de la souverainet alimentaires. l'inverse des simples plantations d'eucalyptus envisages par de trop nombreuses entreprises, soucieuses de compenser en Afrique leurs missions de CO2 ! Mais les "politiques" de tous bords sont-ils prts entendre ces arguments de raison ? Ainsi, que faut-il penser de pareilles ngociations, cruciales pour l'avenir de notre environnement et de nos socits, ce point dconnectes de celles en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce ? Que penser de l'insistance avec laquelle les aptres du libre change demandent de conclure le cycle de Doha avant le trait qui pourrait rsulter, non pas du sommet de Copenhague, mais de celui qui se tiendra sans doute Mexico* en 2010 ? * Certains proposent, si la confrence de dcembre 2009 ne dbouche pas sur un accord chiffr et contraignant, de rdiger un premier texte Copenhague qui se transformerait en accord complet lors d'un nouveau sommet sur le climat. Dans le calendrier, de nouvelles discussions sont d'ores et dj prvues Bonn la mi-2010 et Mexico en dcembre suivant. Le protocole de Kyoto, qu'il s'agit de remplacer, arrive chance en 2012. | |||
Propos recueillis par Olivier Rabaey | |||
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