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09/03/2007
Sida : la grosse colre dun haut fonctionnaire

(MFI) Jai pass les quatre dernires annes regarder des gens mourir : Stephen Lewis, ex-ambassadeur du Canada, envoy spcial des Nations unies pour le sida en Afrique, dnonce la politique meurtrire de la Banque mondiale, du FMI et de la BAD, lgosme des pays du G8, les checs et les atermoiements des Nations unies, la complaisance des grandes ONG.

Pendant que des millions dtres humains souffrent et meurent de maladies vitables, on amuse la galerie avec une comdie plantaire qui dure depuis des dcennies. On le sait, dautres lont dnonc, M. Lewis le fait avec une motion rare chez un haut fonctionnaire dans son livre Contre la montre (Ed. Lemac/Actes Sud). Il sindigne, il touffe, sexclame, se confie : Entre 2000 et 2005, jai t profondment boulevers par les ravages du sida et ma vision du monde a chang du tout au tout. Ce flau me consume. Il est plong dans une rage perptuelle et las, incroyablement las de lhypocrisie des riches. Au-del des motions de M. Lewis, qui depuis quarante-cinq ans voyage en Afrique, le tableau quil nous donne voir est en effet aussi consternant que rvoltant.
Toute la premire partie du livre (un recueil de cinq confrences), rappelle avec force comment un no-colonialisme peine dguis et les diktats de la Banque mondiale et du FMI ont ruin lAfrique, et la sant des Africains les plus vulnrables. Dans les annes soixante, rappelle-t-il, la pauvret tait omniprsente, mais elle ntait pas synonyme de famine () A partir de la fin des annes soixante, lesprance de vie sest mise augmenter, jusqu ce que les Programmes dajustement structurel, dune part, et le sida, dautre part, ne renversent la vapeur. Le continent est depuis quelques annes le thtre dune monumentale crise alimentaire . Chaque fois que je voyage en Afrique, aujourdhui, jai limpression que tout le monde a faim au point den crever. Au Zimbabwe, en Zambie, au Malawi, au Lesotho, au Swaziland, au Mozambique, on observe des poches de famine Consquence, logique : Le virus consume le corps mal nourri . Et, mme si M. Lewis plaide en faveur dun traitement pour tous, tout de suite, il souligne que quand le patient na rien manger, le traitement est beaucoup plus difficile, voire impossible. Sans nourriture, le corps narrive pas mtaboliser les mdicaments. Selon lui, le Programme alimentaire mondial (PAM) a t parmi les rares comprendre une vrit essentielle de la pandmie : les antirtroviraux ne fonctionnent pas chez les gens qui ont faim.

Arrter de sextasier devant la moindre avance

Face cette terrible ralit, des Objectifs du Millnaire qui ne seront pas atteints. Aux sommets du G8, la socit civile est musele , les grandes ONG se font rouler dans la farine , se laissent contaminer par la laryngite collective . On se flicite des progrs accomplis, dont on exagre limportance : Nous devons couper court la tendance actuelle qui consiste sextasier devant la moindre avance, aussi minime soit-elle. Alors que la dette du continent reste crasante, laide internationale trs insuffisante et en grande partie ( hauteur de 60 %) dtourne (dictateurs rapaces, experts-conseils surpays, achats de biens et de services aux socits du pays donateur, frais dadministration gonfls) Ainsi que la montr lconomiste Jeffrey Sachs, des trois milliards de dollars que les Etats-Unis destinent chaque anne lAfrique, moins du tiers sont, dans les faits, affects la lutte contre la pauvret . Or, pauvret gale maladie, famine gale maladie mortelle.
Une scne vcue lOnu, dcrite par lauteur, donne une cl de la folie actuelle du monde. Cela se passe lors dune session extraordinaire dune journe consacre au VIH/sida, dans le but de faire le point sur les progrs accomplis . Ecoutons M. Lewis : Les reprsentants de dix-neuf gouvernements et de deux ONG ont pris la parole. Ctait pouvantable. Rarement ai-je t tmoin dune discussion aussi oiseuse. Les interventions des gouvernements taient toutes hors de propos et creuses. Pas de sentiment durgence. On a eu droit la lecture dune srie de dclarations prpares davance, dans lisolement, sans lien avec ce que les autres avaient dire () On naurait jamais cru que la vie [dtres humains] tait en jeu. Dtail surraliste, pas un seul pays africain na pris la parole cette occasion.

Assez de runions ! De laide aux femmes et aux enfants

M. Lewis dnonce. Mais il propose aussi : lannulation complte de la dette africaine ; une aide internationale accrue de 50 milliards de dollars par an (au lieu des 25 promis) dici 2010 ; crer pour les femmes victimes impuissantes du sida une vritable organisation internationale, dote de vastes pouvoirs ; rduire le nombre de runions et cesser dengloutir dans des dplacements et des frais de sjour des sommes qui pourraient servir sauver des vies . Il demande les mmes traitements pour les malades du Nord et les malades africains, et entirement gratuits. Rendant hommage lOMS et au Fonds mondial pour le sida, il propose que les entreprises qui ont profit de faon honte des ressources du continent africain ou de la vente de produits pharmaceutiques versent 0,7 % de leurs profits avant impts ce mme Fonds mondial. Pour ce qui est de la famine, il recommande, avec laide dune FAO revigore, de mettre laccent, beaucoup plus quauparavant, sur le dveloppement agricole petite chelle .
Sur une plante o on dpense vingt fois plus pour des armes que pour les besoins humains, o tous tremblent devant les Etats-Unis, le diplomate humaniste estime que si dans ce dossier lOnu ne se rveille pas bientt, elle sera plonge dans la honte ternelle . Et il rappelle que deux groupes attendent plus que jamais, dsesprment, de laide : les femmes et les enfants.

Henriette Sarraseca


Contre la montre Combattre le sida en Afrique, par Stephen Lewis, d. Lemac/Actes Sud, 244 p.



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