Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

09/06/2006
Questions internationales
Incertitudes gyptiennes


(MFI) Le procs intent contre deux magistrats qui rclamaient une enqute sur des fraudes, commises lors des dernires lections lgislatives, illustre la difficult des rformes politiques en Egypte. Le pays vit toujours sous un rgime de fer, la pauvret malgr la nouvelle orientation conomique librale cre de terribles frustrations, et les mouvements extrmistes exploitent le dsarroi et la pousse du sentiment religieux.

On y avait cru, lors des dernires lections : la timide libralisation politique est-elle enterre ?

Depuis dbut 2006, les informations en provenance du Caire ne prtent gure loptimisme. Les lections municipales qui devaient se tenir cette anne ont t reportes de deux ans, le pouvoir craignant une victoire des Frres musulmans, bien implants localement. Plusieurs centaines de membres de la confrrie dsormais principale force dopposition ont en outre t arrts. Par ailleurs, Ayman Nour, arriv deuxime llection prsidentielle du 7 septembre dernier (certes loin derrire Hosni Moubarak), a t condamn cinq ans de prison : le leader du parti Al-Ghad (Demain, en arabe), aurait falsifi des documents lors de la cration de sa formation. Les autorits rfutent toute motivation politique ce verdict, mais pour les analystes Ayman Nour, brillant avocat de 42 ans et tribun hors-pair, aurait reprsent un concurrent srieux pour Gamal Moubarak, le fils du ras, dans la course la succession.
Ltat durgence, en vigueur depuis lassassinat dAnouar el-Sadate en 1981, a t prorog de deux ans aprs lattentat qui a frapp la station balnaire de Dahab, dans le Sina, le 24 avril. Un tat durgence anti-terroriste qui autorise une rpression touchant partis politiques, presse, associations, et favorise les pires exactions des forces de lordre : selon Amnesty International, 10 000 prisonniers politiques croupissent dans les geles gyptiennes. Dernier incident en date : le procs intent contre deux magistrats qui avaient rclam une enqute sur les fraudes commises lors des lections lgislatives de novembre 2005. Le 16 mai, une manifestation de soutien a t violemment rprime : les journalistes ont t frapps et la police a procd des dizaines darrestations. Cette affaire fait figure de catalyseur de la rvolte des juges pour le respect de lindpendance de la justice et, au-del, de vecteur de la protestation en faveur de rformes politiques.
Un vent de libert avait pourtant souffl sur lEgypte en 2005. Pour la premire fois de lhistoire du pays, llection prsidentielle a t multipartite. Certes, les conditions pour tre candidat taient tellement strictes, et la puissance du Parti national dmocratique (PND), au pouvoir depuis 25 ans, tellement suprieure celle des autres formations, disparates et sans moyens, que les jeux taient faits davance : Hosni Moubarak la remport avec 88,6 % des suffrages. Comme le soulignait alors un observateur : Moubarak ne prend pas plus de risques faire une lection ouverte que Ben Ali en Tunisie . Nanmoins, la campagne lectorale et les pressions de Washington ont favoris une certaine libert dexpression alors quavant selon une blague cairote on nouvrait la bouche que chez le dentiste .
Alliance htroclite de libraux de gauche, de Nassriens, de rformistes divers voire dislamistes, le mouvement Kefaya (a suffit) a pu multiplier les manifestations de rues, certaines tolres, dautres rprimes. La presse sest faite plus audacieuse, les sites Internet plus insolents, lopinion publique plus exigeante. Partout les mmes revendications : labrogation de ltat durgence, la libert dexpression, un moindre contrle policier, la fin du pouvoir des militaires en coulisse Bref, un dialogue social et politique l o la seule rponse restait ordinairement la rpression.
Aujourdhui encore les optimistes veulent croire que, mme sil connat des pauses, le mouvement de rformes est lanc et ne pourra plus tre arrt. Ils en veulent pour preuve la poursuite des manifestations malgr les risques, le ton impertinent dfaut dtre frondeur de la presse, la colre exprime des chmeurs en province, les grves de la faim de paysans ruins par louverture conomique ou de mdecins dont lhpital manque de tout cause de dtournements de fonds Mais les pessimistes estiment que Hosni Moubarak, subitement conscient de son impopularit (le taux de participation na t que de 23 % la prsidentielle), va encore renforcer la censure de la vie politique. Pour eux, la libralisation de 2005 na t quune mascarade trs contrle, surtout destine faire plaisir aux Etats-Unis. Ils rappellent que les manifestations de Kefaya nont rassembl que quelques milliers de personnes, toujours dans les mmes quartiers du Caire, et quil y a un gouffre entre laudace des tudiants et des intellectuels de la capitale et la vie quotidienne des 72 millions dEgyptiens.


Comment analyser la dernire perce lectorales des Frres musulmans ?

Lors des dernires lections lgislatives, les Frres musulmans mouvement interdit, mais tolr ont remport 88 siges sur les 444 que compte le Parlement, simposant ainsi comme le premier groupe dopposition. Nayant prsent que 143 candidats, leur succs est indniable, dautant quils navaient que 17 lus dans la prcdente lgislature. La confrrie fonde en 1928 a men sa campagne sur un simple slogan : al-Islam Houwa al-Hall, Lislam est la solution. Ce succs a provoqu un moi certain, non seulement dans les capitales occidentales, mais aussi en Egypte parmi les minorits religieuses les Coptes en particulier et la frange la plus progressiste de la socit.
Forts de plusieurs millions de sympathisants, les Frres musulmans sont pourtant actifs depuis longtemps dans de nombreuses organisations professionnelles, caritatives ou culturelles. Leur influence dans les quartiers et les localits est relle. Leur guide actuel, Mohammed Medhi Akef, joue la carte de la modration, affirmant vouloir tablir une dmocratie musulmane dans un pays o lislam est dj religion dEtat . Il se dit favorable lgalit entre tous les citoyens quelle que soit leur religion, la cration de partis copte ou communiste, au respect de lalternance politique Oublis la Charia, le califat, la construction dun Etat islamique.
Daucuns soulignent que les Frres musulmans (Ikhwan al-Muslim, en arabe), loin de constituer un mouvement populaire, sont plus proches de la classe moyenne et des intellectuels conservateurs. Leur objectif est darriver au pouvoir lgalement, ce qui les oblige ne pas trop heurter les autorits en place. Ils nont dailleurs pas particip aux manifestations de 2005. Mais dautres observateurs dnoncent le double langage des Frres musulmans, qui changeraient de discours selon quils sadressent des diplomates occidentaux, des ouvriers gyptiens, des chrtiens, des lves de madrassa, des militants islamistes, des intellectuels du Caire Et la confrrie nest pas homogne. A ceux qui souhaitent rester dans la lgalit et qui toute ide de rvolution djihadiste est trangre, sopposent les tenants dune stratgie de confrontation avec le pouvoir, parmi lesquels on retrouve des salafistes, des anciens combattants dAfghanistan, des prcheurs fondamentalistes
Et si, pour Hosni Moubarak, cette perce lectorale des Frres musulmans avait t du pain bni (au point, disent certains, de lavoir favorise de faon machiavlique)? Elle lui permet en effet de dnoncer lide amricaine selon laquelle des lections libres amnent la dmocratie et la stabilit. Et la victoire du Hamas en Palestine voisine va en ce sens. Ajout cela un amalgame facile avec les auteurs des attentats contre trois stations touristiques du Sina ces deux dernires annes : le vieux ras verrait justifi la poigne de fer conserve sur une vie politique dsormais bipolaire, entre PND et Frres musulmans.


Ce succs des Frres musulmans est-il synonyme dislamisation de la socit ?

Depuis toujours important, le sentiment religieux se renforce en Egypte ces derniers temps. On croise de plus en plus de femmes voiles dans les rues ; les cassettes de prdicateurs rencontrent un succs croissant ; les mosques font le plein. Sur le site Islam Online, les demandes de fatwa davis de docteurs de la loi sur des questions de socit- sont nombreuses. Elles concernent les sujets les plus divers, du bien-fond dune opration de chirurgie esthtique aux choix de lecture, en passant par les conseils matrimoniaux , tmoigne Sayed Mohamed Amin, lun des responsables dIslam Online. Le pouvoir nest pas tranger ce phnomne. Les mdia dEtat diffusent de nombreux programmes religieux dans le but avou de contrebalancer le discours des islamistes. Mais le rsultat est que la religion est partout prsente.
Nanmoins, de lavis des spcialistes, le succs lectoral des Frres musulmans obit une autre logique : ils ont bnfici dun vote protestataire et sont la structure dopposition la mieux organise. Pour certains, la guerre en Irak et le conflit isralo-palestinien favorisent particulirement cette monte du religieux. Pour dautres, il ne sagit que dobscurantisme, de rponses faciles des problmes complexes, dans un pays o 45 % de la population est illettre. Lanalyse de Mohamed al-Sayed Said, du Centre dtudes politiques et stratgiques Al-Ahram, est encore diffrente : Dans un pays qui va mal, o les habitants sinquitent pour lavenir, la religion peut apparatre comme une solution. Cest aussi la seule offre disponible en labsence de liberts politiques. Si lEgypte continue sombrer politiquement et conomiquement, alors lislam militant simposera comme idologie dominante. Mais si le chmage diminue, lconomie prospre, les liberts civiques sont respectes, alors la tendance sinversera .
En attendant, la minorit copte 10 % de la population sinquite. En avril, trois attaques contre des fidles rassembls dans des glises dAlexandrie ont raviv la poudrire confessionnelle. La police a parl dun dsquilibr isol, et Hosni Moubarak a assur que Personne ne peut porter atteinte lunion entre musulmans et chrtiens . Mais les coptes, eux, voquent leur difficult obtenir des emplois, louer des appartements, faire valoir leurs droits devant les tribunaux. Les femmes racontent quelles se font cracher dessus car non-voiles. Dans les beaux quartiers du Caire, il ny a pas de problme. Mais la campagne ou dans les quartiers populaires des grandes villes, les coptes sont rejets , explique lun deux.


Qui va succder Hosni Moubarak ?

Mme au pays des pharaons, les dirigeants ne sont pas ternels. A 77 ans dont 25 la tte de lEtat le ras est fatigu. On le dit malade. Beaucoup pensent que son ide est de geler la situation politique en attendant que son fils, Gamal, lui succde lors de llection prsidentielle de 2011, et mne enfin de vrais rformes. Dautres noms circulent. On parle dOmar Suleiman, le trs puissant responsable des services de renseignements. Rput pour son franc-parler et ses positions anti-israliennes, Amr Moussa est trs populaire : lancien ministre des Affaires trangres dirige actuellement la Ligue arabe, mais pourrait rver dun destin prsidentiel. Mais celui qui tient la corde est bien Gamal Moubarak, 42 ans, banquier de formation et proche des milieux daffaires amricains. Celui que ses amis surnomment Jimmy est dj secrtaire gnral adjoint du PND et il vient dtre reu la Maison-Blanche par George Bush. Son pre a beau affirmer que lEgypte nest pas une monarchie hrditaire, Gamal a plac plusieurs de ses proches au gouvernement, commencer par le Premier ministre Ahmed Nazif. A la tte du camp rformateur au sein du PND, le fils cadet du ras est cependant loin de faire lunanimit. Pour la vieille garde du parti, son penchant pour le libralisme en conomie et la (vague) dmocratie en politique le rend suspect. Pour les militaires, il nest pas du srail. Surtout, on le dit un peu vert, trop technocrate, manquant de charisme, incapable de prendre bras le corps ce pays comme son pre a longtemps su le faire. Lui affirme ne pas tre candidat la succession, sans convaincre.


Comment se porte lconomie gyptienne ?

Dans son rapport 2006, la Banque mondiale classe lEgypte parmi les douze pays les plus rformateurs, aux cts du Vietnam, de lAllemagne et de la Roumanie. Il est peu probable que cela satisfasse les 36 millions dEgyptiens la moiti de la population qui vivent sous le seuil de pauvret. Nomm en juillet 2004, le Premier ministre Ahmed Nazif, jeune technocrate rformiste, a lanc lEgypte sur la voie du libralisme : baisse des droits de douane de 35 %, rduction de moiti de limpt sur les socits, simplification des procdures de cration dentreprises, gel de lembauche des fonctionnaires (la fonction publique reprsente six millions demplois, dont 450 000 militaires qui, disent-ils, peuvent calmer le pays en vingt minutes ), privatisation annonce de 172 entreprises publiques Apparemment les rsultats sont l : depuis 2004, le taux de croissance flirte avec les 5 % ; les investissements trangers ont tripl pour atteindre 1,2 milliard de dollars ; les rserves de change sont fortes, etc.
Mais en ralit les infrastructures sont obsoltes et les industries peu nombreuses. 94 % du territoire est couvert par le dsert, et seules 2,4 % des terres dans le delta du Nil- sont cultivables. Lagriculture emploie 30 % de la main duvre, mais ne reprsente que 17 % du PIB. Le pays nest pas autosuffisant au plan alimentaire. Il vit toujours de ses rentes : le canal de Suez qui a rapport 3,3 milliards de dollars en 2004 ; le tourisme un record de huit millions de visiteurs en 2004 pour 7 milliards de dollars ; les transferts de fonds des immigrs (4,3 milliards de dollars). Alors que les gisements ptroliers spuisent, un nouvel espoir est plac dans les importantes rserves de gaz.
Toujours est-il que le Caire pourrait difficilement se passer de laide amricaine : 2,2 milliards de dollars, dont 1,3 milliard pour le seul secteur militaire. LEgypte est ainsi le deuxime rcipiendaire de laide amricaine (aprs Isral), ce qui met mal ses relations avec les autres pays arabes. Si louverture conomique a permis lmergence dune nouvelle classe moyenne estime deux millions de personnes, la majorit des Egyptiens doit cumuler les petits boulots pour survivre avec une vingtaine deuros par mois. Linflation, officiellement de 4 %, dpasse les 12 %. Le principal dfi reste le chmage, qui touche au moins 20 % de la population active. 700 000 jeunes entrent chaque anne sur le march du travail, sans gure despoir.

Jean Piel


LEgypte en bref

Population : 72,1 millions
Superficie : 997.739 km
Langue : arabe
Religion : musulmans sunnites (93,2 %)
Esprance de vie : 68,8 ans
Croissance dmographique : 2,1 %
Part des moins de 15 ans : 34,1 %
Alphabtisation : 55,6 %
PIB : 102 milliards de dollars
PIB/habitants : 1260 dollars
Pauvret (moins de 2$/jour) : 44 %
Croissance : 4,8 %
Principales richesses : tourisme, coton, tabac, agroalimentaire, ptrochimie
Equipement : 229 tlviseurs, 110 tlphones, 23 voitures, 17 ordinateurs pour mille habitants
Budget de lducation : 4,8 % du PIB
Budget militaire : 2,6 % du PIB




retour