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02/10/2007
Questions internationales (1)
Che Guevara, un rvolutionnaire immortel


(MFI) Il y a quarante ans le 9 octobre 1967 prcisment Che Guevara tait excut par larme bolivienne. Ctait la mort du chantre de lanticapitalisme, du compagnon de route de Fidel Castro, du dfenseur du tiers-monde, du symbole de la rvolution internationaliste. Quatre dcennies plus tard, ses ides ne font gure recette, mais le personnage sduit toujours. Le rvolutionnaire est devenu un mythe la jeunesse ternelle, un mythe exploit commercialement.

Qui tait Che Guevara ?

N le 14 juin 1928 en Argentine dans une famille de la classe moyenne, Che Guevara de son vrai nom Ernesto Rafael Guevara de la Serna incarne le combat rvolutionnaire en Amrique latine, la lutte contre limprialisme et laspiration la solidarit internationale en faveur des peuples opprims. Enfant fragile et asthmatique, le petit Ernesto est un lve mdiocre, mais qui lit normment et simpose la pratique du sport pour surmonter sa maladie. Ses premiers contacts avec la politique sont le fait dun oncle communiste qui participe la guerre dEspagne. Sa mre est une militante fministe et anticlricale, ce qui tait rare en Argentine lpoque. Mais la vritable rvlation politique pour celui qui, entre-temps, est devenu tudiant en mdecine est le voyage quil effectue aux dbuts des annes cinquante travers lAmrique latine. Il dcouvre alors la misre, les ingalits sociales et labsence de droits pour les plus pauvres. Influenc par ses lectures marxistes, Che Guevara considre alors que seule la rvolution peut changer cette situation.
En 1954, il rencontre Mexico Fidel Castro. Une rencontre qui va transformer le jeune aventurier humaniste en un hros de la rvolution. Il rejoint les troupes du Leader Maximo dans leur lutte contre le dictateur cubain Fulgencio Batista, et simpose comme un combattant acharn. A la chute de Batista en 1959, Che Guevara devient procureur du tribunal rvolutionnaire, puis gouverneur de la Banque centrale et ministre de lIndustrie de Cuba. Mais le pouvoir et la bureaucratie lennuient ; il critique lomniprsence de lURSS ; Fidel Castro se mfie de sa popularit. En 1965, Che Guevara reprend son bton de plerin de la rvolution, allant dfendre ses ides internationalistes parfois les armes la main dabord au Congo (voir article ci-aprs), puis en Bolivie do il espre gnraliser la gurilla tous les pays andins. Mal prpare, lopration est un dsastre. Che Guevara est captur, puis excut le 9 octobre 1967 par larme bolivienne alors entrane par la CIA. Celui qui tait un hros de la rvolution devient alors une icne pour les mouvements marxistes et les jeunes en qute didaux rvolutionnaires.

Comment sexprime ce mythe Che Guevara ?

Comme tout mythe, celui dErnesto Guevara a une dimension irrationnelle. Quarante ans aprs sa mort, lhomme est connu et populaire dans le monde entier. Il incarne lidal dune rvolution pure, sans compromission. Mort 39 ans, il apparat toujours jeune, alors quil aurait prs de 80 ans aujourdhui. De nombreux livres, documentaires et expositions lui ont t consacrs, ainsi quun film Carnets de voyage qui retrace son premier priple en Amrique latine. Des chansons sa gloire ont mme t composes. Lhebdomadaire amricain Times Magazine la class parmi les 100 personnalits les plus importantes du XX sicle. Son charisme transcende lchec des rgimes communistes travers le monde, mme celui de Cuba.
Un an aprs sa mort, les milliers de manifestants amricains contre la guerre du Vietnam portent un t-shirt son effigie. Pendant les vnements de mai 68 en France, les tudiants scandent Ho-Ho-Ho Chi Minh ! Che-Che-Guevara ! Le philosophe Jean-Paul Sartre proclame : Che Guevara est ltre humain le plus complet de notre poque. Lappel lanc par le rvolutionnaire argentin Crer deux, trois, de nombreux Vietnam en faveur de la libration des pays occups rencontre un cho trs fort auprs de la jeunesse occidentale. Dans son livre Che Guevara, itinraire dun rvolutionnaire, Loc Abrassart crit : Le Che offre le modle dun communisme rnov, libr des entraves du socialisme rel des pays de lEst. Cest le soleil de Cuba contre la grisaille sovitique. Il reste un symbole puissant de rbellion et de justice sociale. Aujourdhui encore, les posters du Che ornent les chambres des adolescents en qute didal. Des adolescents pourtant ns 25 ans aprs sa mort. A Cuba, lintress fait lobjet dune vnration quasi-religieuse. Le mausole o il repose Santa Clara attire chaque anne des milliers de visiteurs dont de nombreux trangers. Sa statue dcore plusieurs lieux publics et des usines. Tous les matins, les enfants des coles chantent : Pioneros por el comunismo, Seremos como el Che (pionniers du communisme, nous serons comme le Che).

Ce mythe ne revt-il pas un aspect commercial ?

Il est indniable que, pour partie, le mythe a t dvelopp par la dimension commerciale quil revt ; limage de ce chantre de lanti-capitalisme et les adversaires du Che ne manquent pas dironiser sur le phnomne , gnre en effet des millions de dollars. T-shirt, montres, casquettes, tasses caf leffigie de Che Guevara se retrouve sur tous les supports. En 2003, la banque daffaires luxembourgeoise Dexia la choisit comme emblme dune campagne publicitaire avec pour slogan Combattons les ides reues . Limage du rvolutionnaire au bret toil a servi vendre des bires et des prservatifs, des glaces et des contrats dassurance, des vlos et des abonnements Internet. Certes il nest pas le seul dans ce cas. Le dtournement de figures contestataires comme Lnine ou Gandhi correspond une stratgie publicitaire ancre. En quarante ans, aucune image na t autant utilise, adapte, manipule, recycle, mythifie ou vide de tout sens que celle du Che. Tout le monde se lest approprie : des militants politiques, des artistes comme Andy Warhol et son pop-art, des journalistes, des crateurs de mode, des marchands en tout genre , expliquait, dans le magazine Vanity Fair, le directeur dune galerie dart londonienne.
Les dfenseurs de la mmoire de Che Guevara regrettent que cette utilisation commerciale affaiblisse son message politique. Mais ils soulignent que cela tmoigne aussi de sa popularit et que jamais cette utilisation na t voulue par lintress.

Comment expliquer la persistance du mythe Che Guevara ?

Pour les adversaires du Che, cette glorification de lhomme, sa dimension messianique sont insupportables. Ils rappellent que, loin dtre un humaniste aux ides gnreuses, Che Guevara a approuv des centaines dexcutions par le tribunal rvolutionnaire de La Havane. Il la lui-mme crit : Les excutions sont une ncessit pour le peuple de Cuba, et galement un devoir impos par ce peuple. Il est aussi lorigine des camps de rhabilitation par le travail, de sinistre rputation, qui existent encore Cuba. Enfin Che Guevara fut un pitre ministre de lIndustrie, senttant pour des raisons idologiques dans des politiques voues lchec. Sur ce point cependant, lembargo amricain explique aussi la ruine de lconomie cubaine.
Nen dplaise ses dtracteurs, le culte du Che reste une ralit. Deux photos y ont largement contribu. Celle de Che Guevara sur son lit de mort, les yeux grand ouverts, le visage apais, une allure de Christ martyr, limage dun Saint des pauvres et des opprims, dsormais sacrifi. Encore plus clbre, la photo prise par Alberto Korda du Che regardant firement au loin, son bret toil sur la tte ; le clich le plus reproduit au monde, immdiatement reconnaissable comme peut ltre la Joconde. A son sujet, le publicitaire Jacques Sgula crivait dans le magazine Photo : La photographie de Korda concentre toutes les vertus quon attribue au Che : honntet, bravoure, dsintressement, dfi, loyaut, fiert, sans oublier une dose de virilit militaire. Le visage de Che Guevara exprime autant la fermet (face aux Etats-Unis) que la confiance (en lavenir de la rvolution), la ngligence (barbe, cheveux longs au vent) que le srieux de lengagement (ltoile de commandant sur son bret).
A en croire Ariel Dorfam, professeur de sciences politiques luniversit de Duke (Etats-Unis) : Nous vivons une poque o rgnent une concurrence froce et un consumrisme acharn. Le monde est marqu par une marche en avant vers largent et les biens matriels. Les utopies sont enterres, mais nous sommes toujours en qute de sens. Nous cherchons des valeurs hroques que Che Guevara incarne avec sa culture mtisse, son allure de nomade, son refus de tout compromis, son mpris du confort, sa jeunesse ternelle, son exigence de justice lchelle mondiale. Une analyse que partage Loc Abrassart : En ce dbut de sicle dpourvu de projet collectif, caractris par la mondialisation nolibrale, le Che fait rver. Labsence didologie alternative au capitalisme aprs lcroulement des rgimes autoritaires de lEst laisse un vide combler. La figure du Che est appele la rescousse dun monde orphelin dune pense contestataire non-compromise par les dramatiques bilans des pays se rclamant du socialisme.
La force du Che est davoir toujours cru la rvolution, davoir toujours dfendu les pays coloniss et davoir fini par renvoyer dos--dos les Etats-Unis et lURSS comme responsables de loppression du tiers-monde. Sa force est aussi de ne pas tre associ au pouvoir et ses bassesses dans linconscient collectif. Cest la thse que dfend Christopher Hitchens, qui fut un fervent avocat de la rvolution cubaine dans les annes soixante avant de tourner politiquement casaque : Ladmiration pour Che Guevara revt aujourdhui une dimension romantique qui occulte ses ides politiques. Sa personnalit est complexe ; il tait la fois exemplaire et arrogant, provocateur et rflchi, impitoyable et humaniste, idaliste et extrmiste, communiste mais lectron libre, idologue mais dnu de toute diplomatie et calcul politique. Ces contradictions sont sduisantes. Le statut dicne du Che vient du fait quil a chou. Son histoire est une histoire de dfaite et disolement. Cest un rvolutionnaire qui na plus ni griffes ni crocs ; il incarne une rvolte qui ne blesse personne. Aurait-il vcu plus vieux, aurait-il t associ au pouvoir, le mythe du Che serait mort depuis longtemps.

Son message politique fait-il encore des mules ?

Lpoque nest plus la rvolution, et la chute du bloc sovitique en 1979 a sonn le glas dune certaine idologie communiste. Au Cambodge, le gnocide perptr par les Khmers Rouges a dcrdibilis lide dune rvolution qui fait table rase du pass, de la construction dun homme nouveau , dun tiers-monde qui se libre de ses jougs. Les pays qui se rclament encore du marxisme
Core du Nord, Cuba, Laos ne sont ni des modles de dmocratie, ni des exemples de russite conomique. Le style mme de Che Guevara refus du compromis, lutte jusqu la mort, exigence thique absolue ne fait gure recette. Le Vietnam cit en exemple par le Che est certes toujours officiellement un pays communiste, mais largement intgr lconomie globale, comme lest la Chine.
Nanmoins le guvarisme nest pas mort. Dans les annes quatre-vingt-dix, lchec des rformes nolibrales en Amrique latine a remis au got du jour certaines opinions politiques du Che, telles que le pan-amricanisme, les fronts populaires, la nationalisation des industries-cls. De mme, labsence dopposition forte la mondialisation librale qui simpose partout ressuscite lintrt pour ses ides. Certains voient dans les altermondialistes les hritiers de Che Guevara. En Amrique latine, nombre de gurillas sinspirent du guvarisme . Cest le cas au Prou du Sentier lumineux, de sinistre rputation et aujourdhui dcim ; en Colombie des Forces armes rvolutionnaires de Colombie (Farc), qui ne sont pas seulement les ravisseurs dIngrid Betancourt, mais aussi les partisans dune rvolution paysanne ; au Mexique enfin, lArme zapatiste de libration nationale, dirige au Chiapas par le sous-commandant Marcos, fait rfrence au rvolutionnaire argentin. Certes, aucune de ces gurillas na remport son combat, ni mme rencontr un large soutien populaire. Le bouillant prsident vnzulien, Hugo Chavez, prononce souvent ses discours vtu dun t-shirt leffigie du Che. Quant Evo Morals, le nouveau chef dEtat bolivien, il rend rgulirement hommage Che Guevara dans ses discours. Il a mme fait installer un portrait de son hros, fabriqu en feuilles de coca, dans la suite prsidentielle. Des gestes symboliques qui cependant ne font pas une politique.

Jean Piel

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