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23/10/2007
La face cache de la justice internationale

(MFI) Alors que la procureure en chef Carla del Ponte effectue, les 25 et 26 octobre, une nouvelle mission Belgrade, la journaliste Florence Hartmann propose, dans Paix et chtiment, une plonge dans les coulisses du Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie. Prs de quinze ans aprs sa cration, elle apporte un clairage personnel et indit sur les dfis au quotidien que doit relever ce tribunal. Notamment face aux grandes puissances.

Aprs avoir couvert le conflit des Balkans pour le quotidien franais Le Monde dans les annes quatre-vingt-dix, Florence Hartmann a t le tmoin privilgi dun univers rest jusquici ferm au public. Elle fut, de 2000 2006, la porte-parole de Carla Del Ponte, la procureure en chef du Tribunal pnal international pour lex-Yougoslavie, ainsi que sa conseillre sur les Balkans au sein de son cabinet restreint. Son livre, Paix et chtiment, est une plonge dans les coulisses du TPIY au sein duquel les grandes puissances empchent, contre toute attente, la justice internationale naissante de sexercer de manire indpendante. Et cela en contradiction avec le mandat quelles lui ont elles-mmes confi sa cration par le Conseil de scurit de lOnu en 1993. Paradoxe ? Pas vraiment, selon lauteur, car la cration du TPIY serait davantage un acte symbolique destin faire oublier la passivit de certains pays lors de cette guerre.
En apparence, explique-t-elle, le TPIY est fond sur le fait qu aucune paix durable et crdible ne peut reposer sur linjustice et limpunit . Les mots sont de Louise Harbour, sa premire procureure en chef, qui a rdig le premier acte daccusation contre Slobodan Milosevic. Elle se rendra vite compte que les dirigeants occidentaux usent de ce tribunal des fins diplomatiques. Ainsi, la menace dinculper le prsident serbe comme principal responsable de la campagne de nettoyage ethnique au Kosovo, en 1998, visait surtout le contraindre ngocier. Fruit dun combat acharn, son inculpation, le 27 mai 1999, les aurait pris de court , le matre de Belgrade restant pour les chancelleries un interlocuteur indispensable . Amricains et Europens se mfient de tout ce qui pourrait retarder ou compliquer le rglement de la crise .

Affronter linertie du parquet

A son arrive en septembre 1999, Carla Del Ponte poursuit les investigations sur limplication de Milosevic dans les crimes au Kosovo qui ont caus la mort de dix mille Albanais. Elle cherche aussi limpliquer dans ceux commis en Croatie et en Bosnie. Ds lors, la Suissesse affronte linertie du parquet . Notamment son adjoint, lAustralien Graham Blewitt, qui pour Florence Hartmann ne croit pas au rle majeur de Milosevic dans lentreprise de purification ethnique mene par les extrmistes serbes en Croatie et en Bosnie . Carla Del Ponte resserre sa politique pnale sur les plus hauts responsables. En prparant la mise en accusation de Milosevic dans ces dossiers, elle tente dclaircir les liens entre larme de Belgrade et larme des Serbes de Bosnie-Herzgovine. Et parvient remonter les chanes de commandement conduisant au pouvoir politique et militaire de Belgrade. Un passage convaincant du livre.
La responsabilit directe de Milosevic ne fait aucun doute au Kosovo, partie intgrante de la Serbie. Elle est plus difficile tablir en Bosnie et Croatie, la Serbie ntant pas officiellement engage dans la guerre. Pourtant, en Croatie, notamment Vukovar et Dubrovnik, les juristes ont gard prcieusement toutes les pices qui impliquaient le pouvoir de Belgrade dans cette tentative de rattacher une partie de la Croatie la Serbie par la prise de contrle des territoires et lexpulsion massive des populations non serbes qui y vivaient . Ce qui permet dinculper officiellement, le 8 octobre 2001, Milosevic pour crimes contre lhumanit en Croatie.
Pour la Bosnie, les enquteurs ont mis plat les derniers maillons du complexe puzzle patiemment construit par Milosevic pour superviser distance les exactions au nom du projet hgmonique de la Grande Serbie . Au parquet, certains refusent dadmettre son crasante responsabilit () en vertu de son ascendant sur les deux dirigeants bosno-serbes, Radovan Karadzic et Ratko Mladic . Les deux hommes, respectivement ancien chef politique et ancien gnral des Serbes de Bosnie, ont t accuss* par le TPIY, en 2000 et 2002, davoir t les ordonnateurs, en 1995, de crimes de guerre, et du massacre de plus de 8 000 musulmans dans lenclave bosniaque de Srebrenica en juillet 1995, qualifi de gnocide.

Carla del Ponte donnera sa version des faits en 2008

Pour la procureure, cette politique minimaliste des grandes puissances comme du parquet sapplique mal aux crimes de masse . Durant les quatre annes du procs Milosevic, et jusqu son dcs en prison en 2006, Carla Del Ponte soppose entre autres son substitut, Geoffrey Nice. Il aurait tent, selon Florence Hartmann, de retirer du dossier Milosevic les charges de gnocide et de crime contre lhumanit concernant Srebrenica et le sige de Sarajevo. Il se serait appuy pour ce faire sur les conclusions des analystes militaires du parquet placs par les Amricains et les Britanniques, qui auraient volontairement et systmatiquement dissimul la responsabilit directe de Milosevic .
Une invention malveillante , a protest lintress dans Le Monde du 21 septembre 2007, ajoutant que Mme Hartmann jette ainsi le discrdit sur ces analystes sans fournir aucun lment de preuve . De son ct, Carla Del Ponte, dont le mandat sachve fin 2007 aprs cette date, le tribunal, qui devrait fermer ses portes en 2010, ne procdera plus de nouvelles inculpations , a indiqu lhebdomadaire allemand Der Spiegel quelle publierait sa version des faits dans un livre paratre en 2008. En attendant, Radovan Karadzic et Ratko Mladic courent toujours.




Paix et chtiment. Les guerres secrtes de la politique et de la justice internationales, Florence Hartmann. Paris, ditions Flammarion, 2007, 319 pages, 19,90 euros.
Prcdent ouvrage : Milosevic, la diagonale du fou, Paris, Denol, 1999.

* Acte daccusation de Karadzic (http://www.un.org/icty/indictment/french/kar-ai000428f.htm) ;
Acte daccusation de Mladic (http://www.un.org/icty/indictment/french/mla-ai021010f.htm).

Antoinette Delafin

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