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26/02/2008
Questions internationales (1)
Vladimir Poutine, matre indboulonnable de la Russie


(MFI) Llection prsidentielle en Russie se tient le 2 mars 2008. Dauphin de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev sera lu sans surprise. Mais il choisira comme Premier ministre Vladimir Poutine, qui devrait conserver la ralit du pouvoir. De son enfance pauvre Leningrad aux dorures du Kremlin, portrait dun homme autoritaire, mais adul par la population qui il a rendu la fiert dtre russe.

Lenfance dun chef

Vladimir Poutine dit de sa vie quelle est simple comme une ligne de la main. Rien ne prdestinait pourtant ce collgien mdiocre devenir le matre incontest du Kremlin. Il est n le 7 octobre 1952 Saint-Ptersbourg, qui sappelait alors Leningrad. Son pre travaille dans une usine de locomotives ; un homme austre, ouvrier modle, secrtaire de section du Parti communiste, qui a combattu les nazis dans un bataillon du NKVD, lanctre du KGB. Sa mre est une femme efface, qui fait parfois des mnages pour amliorer un ordinaire difficile. Orthodoxe fervente, elle fait baptiser le petit Vladimir en secret, car lpoque cest interdit. Aujourdhui encore, le prsident russe porte sur lui sa croix de baptme. Avant sa naissance, ses parents ont perdu deux enfants, morts de faim et dpuisement pendant le sige de Leningrad. Etre un fils du peuple, avoir souffert dans son enfance compte beaucoup dans le culte de la personnalit qui entoure aujourdhui Vladimir Poutine. Cest important dans limaginaire russe , souligne Boris Toumanov dans le quotidien Novoe Vremia.
Le petit Volodia ainsi quon le surnomme enfant est un lve mdiocre, bagarreur. Sa petite taille lui attire les quolibets. Pour se dfendre, il se met au sambo (une lutte locale) et au judo. Les arts martiaux correspondent sa personnalit : un got du combat, mais aussi une grande concentration intrieure et une matrise de soi. Mme turbulent, jtais un enfant obissant, je cachais mes motions. Je nai jamais t un rebelle , confiait Vladimir Poutine au quotidien Kommersant, en mars 2000. Sa vieille institutrice rgulirement appele la rescousse pour chanter ses louanges se rappelle aussi un enfant sage, mais ne se laissant jamais marcher sur les pieds. Quand il la rencontre en public, celui qui parle dgal gal avec George Bush baisse la tte et se montre docile, dans une chorgraphie parfaitement orchestre, pour la plus grande joie des tlspectateurs.

Officier du KGB

Vladimir Poutine aurait propos ses services au KGB ds lge de 14 ans. On laurait alors poliment conduit, lui expliquant quon ne rentrait pas dans les services de renseignement ainsi. Lui affirme que devenir agent secret a toujours t son rve. Il sinscrit alors en facult de droit. Son mmoire de matrise porte sur la politique amricaine en Afrique. Le KGB le contacte alors quil a 23 ans, et aprs deux ans de scolarit Moscou, il rejoint le service de contre-espionnage Leningrad. Sa mission : surveiller les trangers notamment les tudiants et ceux qui sont en contact avec eux. Comme tout agent du KGB, Vladimir Poutine est membre du Parti communiste. Il ne rendra sa carte que dans les jours prcdant la chute de lURSS. En 1985, avec le grade de lieutenant-colonel, il est envoy sous la couverture de directeur de la Maison de lamiti germano-sovitique Dresde, en Allemagne de lEst. Lorsquun agent du renseignement devient chef de lEtat, on simagine quil a d tre un super-espion. Ce nest pas le cas de Vladimir Poutine. Aucun grand nom du KGB ne se souvient de lui lpoque. Ctait un fonctionnaire anonyme qui progressait lanciennet. On vante ses qualits de sportif. Mais sur la seule photo de lui prise Dresde, il est ventripotent et boit de la bire. Sa carrire ne dcolle pas ; il sennuie , crit Boris Toumanov. Il tait charg de surveiller les hommes politiques allemands, mais il accomplissait surtout un travail de fonctionnaire zl, froid et appliqu. Il naurait pas eu sa place dans un roman despionnage de John Le Carr , ajoute le politologue Dmitri Fourman, dans lhebdomadaire Obchtchaa Gazeta.

Un modernisateur autoritaire

Vladimir Poutine appartient cette gnration dofficiers du KGB baptise les enfants dAndropov , en rfrence au successeur de Leonid Brejnev la tte de lURSS et patron du KGB de 1967 1982. Il sagit de jeunes cadres disciplins, farouchement nationalistes, conscients du retard technologique et conomique de leur pays par rapport aux Etats-Unis, et attachs sa modernisation par des mthodes dirigistes.
Ce passage par le KGB nest pas sans consquence sur le Poutine daujourdhui. Lhomme aime la loi, lordre, les mthodes muscles. Il reconnat prfrer lombre la lumire et se mfier des lections. Comme tout militaire, son souci est de mener bien une mission plutt que de se demander si celle-ci est juste , dplore Dmitri Fourman. Au Kremlin, il sest entour de nombreux ex-agents. Les silovikis
les hommes en uniforme reprsentent dsormais plus de la moiti des hauts fonctionnaires, gouverneurs de province et dirigeants de grandes entreprises. Sous Poutine, la Russie est devenue une militocratie , affirme la sociologue Olga Krychtanovskaa. Le talent enfin qua Vladimir Poutine de gagner la sympathie de ses interlocuteurs en voquant des souvenirs personnels, relve dune technique enseigne dans les coles du KGB. Ainsi, lors de sa premire rencontre avec George Bush en 2001, il lui parle de sa croix de baptme quil est all rcuprer dans sa maison en flammes. Jai rencontr un homme dhonneur, digne de confiance , dclarera alors le prsident amricain, avant de sloigner de son homologue russe.


Lascension politique

La chute de lURSS est un drame pour Vladimir Poutine. La plus grande catastrophe du XXe sicle , estime-t-il. Oblig de quitter lAllemagne, il refuse le poste que le KGB lui propose Moscou, comprenant que cet univers-l est fini. Jai un temps envisag de tout arrter et devenir chauffeur de taxi , confie-t-il au quotidien Kommersant. Il accepte nanmoins le poste de vice-recteur de luniversit de Saint-Ptersbourg, avant de rejoindre son ancien professeur de droit, Anatoli Sobtchak, devenu maire de la ville. Charg des relations internationales de la cit fonde en 1703 par le tsar Pierre le Grand, Vladimir Poutine simpose vite grce son efficacit, sa discrtion, son carnet dadresses comme un rouage indispensable de ladministration Sobtchak. Sa traverse du dsert naura pas dur longtemps. En mars 1997, le voil appel au Kremlin comme directeur-adjoint des affaires gnrales ; Boris Eltsine est alors prsident. Un an plus tard, il retrouve ses anciens amis comme directeur du FSB, ainsi quon appelle le KGB dans la Russie nouvelle. L encore, il ne fait quun passage clair : Boris Eltsine le nomme Premier ministre en aot 1999. Il hsite beaucoup avant daccepter. Le poste est prestigieux, mais trs prcaire : Poutine est le 5e loccuper en dix-sept mois. Le pouvoir russe est alors en pleine dcomposition ; le pays va vau-leau. Mais lenfant de Saint-Ptersbourg sait se rendre indispensable au point que six mois plus tard, un Boris Eltsine rong par la maladie et lalcool, dcrdibilis par des erreurs politiques rptition, le nomme prsident de la Rpublique par intrim. Puis en mars 2000, Vladimir Poutine est lu la tte du pays avec 52 % des suffrages. Celui qui dix ans plus tt envisageait de devenir chauffeur de taxi est dsormais le matre de la Russie.

Un mystre pour les Kremlinologues

Les spcialistes se perdent en conjectures sur cette ascension fulgurante. Comment cet obscur agent a-t-il pu simposer la tte du pays ? Pourquoi lui, et pas un autre ? Lhomme na ni fortune ni rseaux ; il nest pas charismatique et sexprime mal en public ; sa froideur ne le rend gure sympathique. Dbut 2000, la presse moscovite parie encore sur la chute de ce personnage falot qui nonne ses discours plus quil ne les prononce . Mais Vladimir Poutine a aussi les qualits de ses dfauts : alors quen 1999, le Kremlin bruisse de conspirations et de guerres de clans, lui nest affili personne, ce qui rassure Boris Eltsine. Cest un bourreau de travail, qui lit des tonnes de notes, des kilomtres de statistiques, et sait se rendre indispensable. Celui que lon surnomme le cardinal de lombre a la rputation dtre fidle, de ne jamais trahir. Il dveloppe la stratgie dun patient joueur dchecs. Sa gestion de la crise tchtchne parachve son ascension. A lautomne 1999, Moscou est secou par une srie dattentats contre des immeubles dhabitation. Poutine promet alors daller buter ces salauds de Tchtchnes jusque dans les chiottes . La formule manque dlgance, mais sduit une population traumatise par la violence. Lorsque que, quelques semaines plus tard, des troubles clatent au Dagestan, Vladimir Poutine se rend sur place et pose sur un char aux cts des soldats, malgr les risques dun tel dplacement. Le petit Volodia de Saint-Ptersbourg gagne alors dfinitivement ses galons de tsar.

Un despote lgitim par les urnes

Aujourdhui, alors que Vladimir Poutine sapprte conserver le pouvoir comme Premier ministre, au prix dun coup dEtat constitutionnel comme le dnonce lopposition (voir article ci-aprs), les pays occidentaux critiquent la drive autoritaire de la Russie. Le matre du Kremlin apparat comme un despote lgitim par les urnes. Les atteintes aux droits humains, aux droits de la presse sont quotidiennes. Les gouverneurs de province ne sont plus lus, mais nomms par Poutine qui ne dirige quavec une petite coterie de fidles. Lopposition est musele et toutes les institutions (Parlement, justice) sont dans les mains de proches de lancien officier du KGB. Cest la verticalit du pouvoir chre Poutine. Les crises (terrorisme, sparatisme) sont traites avec une violence extrme. En septembre 2004, lassaut des forces de lordre contre lcole de Beslan occupe par un commando tchtchne fait 339 morts, dont une majorit denfants. Lordre avant la loi : telle est la devise de celui qui se dit admirateur de de Gaulle et Roosevelt. Il assume lexistence dun pouvoir fort au service dune dmocratie contrle , selon ses propres termes.
Si les pays occidentaux sinquitent de lvolution politique de lex-URSS, les Russes, eux, plbiscitent Vladimir Poutine. Rlu en 2004, son taux de popularit flirte avec les 80 %. Certes, la majorit dentre eux ne voit que lui la tlvision, mais cela nexplique pas tout. A 55 ans, lhomme est un sportif accompli, qui boit peu, ne fume pas, est mari une pouse discrte, autrefois htesse de lair sur Aeroflot, pre de deux filles blondes. Cela compte pour des Russes qui gardent un souvenir constern des frasques et de la dgradation physique de Boris Eltsine.
En politique trangre, sa capacit tenir tte aux Etats-Unis et lUnion europenne sduit une population traumatise par le chaos qua connu le pays dans les annes 90. Farouchement nationaliste, Vladimir Poutine entend rebtir une Grande Russie et ramener dans son giron les Rpubliques qui, comme lUkraine ou la Georgie, sen sont loignes. Les Russes enfin lui savent gr davoir re-dynamis lconomie. Entre 1991 et 1999, le PIB avait chut de 40 %. Depuis que Poutine est prsident, le salaire moyen a doubl, le pays a pong ses dettes et le taux de croissance annuel oscille autour de 6 %. Un rsultat qui tient certes la hausse du cours des matires premires, mais aussi la politique librale quil a adopte et la remise au pas des institutions. Peu importe la population comment Poutine se serait personnellement enrichi ; elle veut quil conserve la ralit du pouvoir.

Un homme paradoxal

Comme lexpliquait au quotidien Le Monde le politologue Dmitri Fourman, le discours de Vladimir Poutine est clair, dtermin. Il joue la carte de lautorit, de la stabilit, de la dfense de la nation russe, de la protection du peuple face aux affairistes corrompus. Il est en phase avec des habitants peu intresss par les droits de lHomme. Il a redonn aux Russes leur fiert aprs le chaos des annes 90 . Lexaltation dun patriotisme militariste et la dfense dune vision de la Russie forteresse assige la fois par les Occidentaux et par les islamistes sont des lments rcurrents du discours de Vladimir Poutine. Cest pourquoi la sociologue Olga Krychtanovskaa estime que Vladimir Poutine est un homme paradoxal. Il a rhabilit lhymne sovitique, mais libralis lconomie ; il ne respecte pas les droits de lHomme, mais a une grande capacit dcoute. On le dit autoritaire et dcid, mais son entourage le dcrit comme hsitant et influenable. Son regard est glaant, mais la population le vnre. Cet homme est un conservateur dans lme, plus autocrate que dmocrate. Il aime Brahms et Tchakovsky, mais laisse commettre des massacres en Tchtchnie. Cest surtout le champion autoritaire de la revanche dune grande nation .
Habitus plaisanter sur leurs dirigeants, les Russes sautorisent une blague sur Poutine, malgr le culte de la personnalit sans limite qui lentoure. Staline apparat une nuit en rve Poutine. Celui-ci lui demande comment faire pour diriger un pays aussi grand et complexe que la Russie. Et Staline de rpondre : Emprisonne tous les dmocrates, et fais repeindre le Kremlin en bleu . Pourquoi en bleu ? , demande alors Vladimir Poutine



Jean Piel

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