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10/02/2008
IVme confrence des ministres francophones de la Justice
Diversit juridique (1)
La mise en concurrence des droits nationaux : une source de richesse


(MFI) On connaissait le fabuleux destin de la diversit culturelle et limportance des travaux et des initiatives promus par lOrganisation internationale de la Francophonie (OIF) en faveur de celle-ci. Cest prsent sur le thme de la diversit juridique que les francophones entendent jouer leur partition.

Inspire par lefficacit de sa politique juridique mene en faveur de la diversit culturelle la Francophonie a sensiblement contribu ladoption de la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles , lOIF ambitionne dsormais de lappliquer au droit. Mais, contrairement au terme de diversit culturelle , le concept de diversit juridique questionne davantage quil ne rpond. Alors que le premier ramassait en une formule les arguments hostiles la libralisation du commerce mondial des biens culturels bnficiant en cela de formidables relais dopinion grce la mobilisation de nombreuses ONG et associations , le sens du second apparat moins nettement.
Pourtant, que lon ne sy trompe pas, ce concept de diversit juridique nest en aucun cas un ersatz de la diversit culturelle, pas plus quun plaidoyer en faveur dune nouvelle exception franaise . Il tmoigne tout au contraire de la volont de la communaut francophone de ragir et de se faire entendre sur les questions relatives la mondialisation du droit.


Le processus de mondialisation relativise la porte de la distinction common law/civil law

En favorisant lessor des changes et la monte en puissance des firmes transnationales, la mondialisation engendre une comptition entre les territoires et les droits nationaux. Elle exacerbe notamment lopposition entre les modles de droit dit de common law et de civil law. Cette division constitue une classification traditionnelle des systmes sur laquelle les juristes de droit compar ont largement chang. On oppose ainsi classiquement les droits de la famille romano-germanique (droits des pays du continent europen, africain et ceux de la plupart de lAmrique latine) qui privilgient la rgle crite, la loi, ceux de common law (droits de lAngleterre, de lIrlande et des Etats-Unis) qui favorisent la rgle orale et le rle du juge. Or, le processus de mondialisation conduit relativiser la porte de cette distinction et il semble encourager la domination dun modle sur lautre. Comme le relve Mahmoud Mohamed Salah, professeur lUniversit de Nouakchott : A lheure o les dispositifs juridiques ont tendance tre conus et appliqus dans une perspective concurrentielle, lattraction du modle anglo-saxon, jug plus libral et plus souple donc comptitif, gagne progressivement tous les secteurs du droit. Certains dfenseurs de la tradition romano-germanique, comme lavocat Michel Gunaire, redoutent cette invasion juridique trangre . A contrario, les partisans du modle anglo-saxon sen flicitent. Ainsi lavocat essayiste Laurent Cohen Tanugi, qui juge que la gnralisation lchelle mondiale des institutions, des normes et des techniques issus du common law est le signe dune vritable modernisation du droit .
Ces divergences de vues ont encore t accentues par la publication annuelle, depuis 2004, du rapport Doing Business par la Socit financire internationale, une institution du groupe de la Banque mondiale. Destines mesurer lattractivit conomique des modles de droit, les conclusions de ce rapport ont mis en cause le modle juridique romano-germanique et svrement critiqu le droit franais, prsent comme moins favorable aux investissements.
Les pays de tradition civiliste ont entendu ragir ces accusations. En 2006, lassociation Henri Capitant des Amis de la culture juridique franaise a vivement rpliqu, par la voix de 22 auteurs venant de pays et dhorizons culturels divers, en dfendant les valeurs de la culture juridique romano-germanique. Les autorits franaises avaient aussi lanc, en 2005, un programme de recherche intitul Attractivit conomique du droit , dirig par Bertrand du Marais, conseiller dEtat, et supervis par un conseil scientifique prsid par Jean du Bois de Gaudusson (notamment professeur luniversit de Bordeaux IV et prsident honoraire de lAgence universitaire de la Francophonie), pour promouvoir lefficacit des systmes de droit civiliste et, galement, pour mettre en vidence les carences et les failles dans lanalyse mene par la Banque mondiale. Rsultat : lambitieux classement effectu par le rapport Doing Business manquerait singulirement de pertinence. La mesure de lefficacit de la justice reposerait en effet sur des donnes statistiques collectes avec peu de rigueur et sur des chiffres peu fiables. Au total, la comparaison entre systmes serait loin dtre objective.


Naissance dune Fondation pour le droit continental

La contre-offensive franaise sest poursuivie avec la cration dune Fondation pour le droit continental, dont le but est de montrer que le droit romano-germanique est, selon les mots de lactuelle ministre de lEconomie et des Finances Christine Lagarde, un vecteur du dveloppement et de la prosprit conomique . Cette initiative ne fait pourtant pas lunanimit. Elle a dabord t perue comme lexpression dun repli dfensif, quasi souverainiste. Certains, limage du professeur Grard Farjat, pionnier du droit conomique en France, doutent de lutilit de la dmarche, estimant quon a de toutes faons dj assist lapparition dune nouvelle culture juridique transnationale, en raison de la prise en compte des faits conomiques, de lexistence dinstances de rgulation et de la construction de la communaut europenne . Pourtant, la Fondation pour le droit continental a largement dpass la posture dfensive quon lui prtait pour adopter une ligne ouverte, de mise en concurrence des droits. Il ne sagit en aucun cas de dfendre un modle de droit autarcique , rappelle Jean-Marc Bassus, magistrat et directeur gnral de la Fondation, mais plutt daller la rencontre des autres traditions juridiques pour viter les caricatures et dcrisper le dialogue . Les diffrences entre systmes sont naturelles : Le droit porte des valeurs, poursuit M. Bassus ; le droit anglo-amricain sest construit contre lEtat et est centr sur lindividu, alors que le droit continental accorde une place plus importante la dimension collective et la volont gnrale qui sincarne dans la loi et les services publics.
La Fondation entend dans cette perspective prserver et promouvoir la diversit des droits. Il ny a pas un systme juridique suprieur aux autres, continue M. Bassus, la diversit est un espace de richesse. Dans le domaine du droit conomique, elle permet aux oprateurs privs de gagner en libert puisquils se voient offrir une varit de dispositifs juridiques et peuvent ainsi choisir les meilleurs outils. Enfin, cette mise en concurrence des droits a lavantage, selon le professeur Marie-Anne Frison-Roche, de fournir lopportunit aux lgislateurs et aux juges nationaux de comparer les solutions, les rgles et les procds techniques divers afin de slectionner les plus appropris sans se laisser enfermer dans un systme rigide .



Olivier Rabaey

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