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07/10/2008
Questions internationales (2)
LAmrique latine au chevet de la crise bolivienne


(MFI) Evo Morales a reu le soutien unanime des chefs dEtat sud-amricains dans le conflit qui loppose aux provinces autonomistes. Les pays voisins veulent tout prix viter que la crise bolivienne se transforme en crise rgionale. Mais entre le prsident brsilien, rformiste et modr, et le chef de lEtat vnzulien, avocat dun front anti-imprialiste contre les Etats-Unis, la faon de soutenir Evo Morales nest pas la mme.

Au plus fort de la crise politique, alors que quelques jours auparavant les affrontements entre partisans et adversaires dEvo Morales ont fait 16 morts dans lEtat septentrional du Pando, le chef de lEtat bolivien annonce le 14 septembre lexpulsion de lambassadeur des Etats-Unis La Paz. Un coup de poker qui donne immdiatement une dimension rgionale la crise bolivienne. Certains analystes partagent lopinion dEvo Morales et estiment quen effet le diplomate amricain encourageait lagitation politique et sociale, Washington voyant plutt dun bon il une ventuelle chute de lancien syndicaliste devenu chef dEtat. On rencontrait, parat-il, plus souvent lambassadeur amricain Santa Cruz, la province autonomiste do est partie la fronde contre le prsident bolivien, qu La Paz. Mais dautres pensent quEvo Morales a voulu renforcer lunit nationale en dsignant un ennemi commun, et raffirmer par la mme occasion son idal anti-imprialiste . Sans surprise, Washington a dclar en retour persona non grata lambassadeur bolivien aux Etats-Unis.
A en croire Kevin Casas-Zamora, spcialiste de politique trangre la Brookings Institution, cit par Le Monde : Washington ne fera rien de plus, mais au contraire va temporiser pour ne pas envenimer les tensions en Bolivie. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont cess de sintresser lAmrique latine, sauf pour des questions ponctuelles comme limmigration ou le trafic de drogue. La Bolivie et le Venezuela ne reprsentent que des tracas mineurs pour la Maison Blanche. Cela dautant plus que, si Evo Morales ne cache pas sa sympathie pour Hugo Chavez, le bouillant prsident vnzulien, il nest nanmoins pas aussi jusquau-boutiste et sest toujours dclar favorable un dialogue avec lOncle Sam.

Eviter lintervention de Washington

Au-del des relations entre La Paz et Washington, la crise bolivienne a surtout un impact en Amrique latine. Runie le 15 septembre Santiago du Chili, la toute jeune Union des nations dAmrique du Sud (Unasur) a affirm son soutien unanime Evo Morales, condamnant les autonomistes qui menacent lintgrit territoriale de la Bolivie, attisent la violence et ne respectent pas lautorit du prsident dmocratiquement lu . Mais elle a aussi appel le chef de lEtat bolivien jouer la carte de lapaisement. Le sous-continent est rsolu ce que la crise bolivienne ne dgnre pas en une guerre civile qui pourrait dstabiliser toute la rgion. Davance, nous dnions toute lgitimit un ventuel coup dEtat civil , prcise la Dclaration de la Moneda (du nom du palais prsidentiel chilien). Les dirigeants latino-amricains nont pas oubli que les deux prcdents chefs dEtat boliviens ont d abandonner le pouvoir sous la pression de la rue. Cette premire rencontre de lUnasur lorganisation a t cre en mai 2008 prouve que les pays sud-amricains entendent rgler eux-mmes les problmes de la rgion, sans lintervention des Etats-Unis.
Mais derrire cette unit de faade se cachent deux faons denvisager la crise bolivienne. Lune est dfendue par Hugo Chavez. Soutenu par le Honduras et dans une moindre mesure lEquateur, le prsident vnzulien a galement expuls lambassadeur des Etats-Unis Caracas, par solidarit avec La Paz. Surtout, il a prvenu que son pays tait prt intervenir militairement en Bolivie si Evo Morales tait renvers. Pour Hugo Chavez, la crise politique chez son voisin andin est loccasion de raffirmer la ncessit de crer un front anti-imprialiste contre les Etats-Unis et les oligarchies de droite . A loppos, le Brsil soutenu notamment par lArgentine et le Chili appelle au dialogue et se dit prt jouer les mdiateurs entre les gouverneurs des provinces sparatistes et le gouvernement bolivien. Bnficiant aprs six annes au pouvoir dune cte de popularit de 64 % au Brsil, le prsident Luiz Inacio Lula da Silva est partout respect, en Amrique latine comme aux Etats-Unis. Il bnficie en outre de la confiance des deux camps en Bolivie. Les arguments conomiques comptent aussi. Brasilia importe de Bolivie la moiti du gaz quil consomme. Cest dailleurs une firme brsilienne, Petrobras, qui est le principal exploitant des gisements boliviens. En dcembre dernier, Petrobras a encore investi 750 millions de dollars en Bolivie, alors que la compagnie gazire vnzulienne na pas investi un peso dans le pays malgr les promesses dHugo Chavez. Brasilia ne veut pas que linstabilit politique La Paz perturbe son approvisionnement nergtique.

Lutte entre Lula et Chavez pour le leadership en Amrique latine

Le prsident Lula, conscient du poids dmographique et conomique de son pays, ne veut pas non plus abandonner le leadership en Amrique latine Hugo Chavez. Il estime mieux incarner les aspirations du sous-continent que son homologue vnzulien, et dispose sans conteste datouts pour exprimer un consensus et exercer une influence modratrice lintrieur du sous-continent. Le Brsil, mais aussi lArgentine et le Chili regrettent en outre que, par ses propos enflamms, Hugo Chavez ait davantage attis la crise bolivienne quil na contribu la rsoudre. QuEvo Morales et Hugo Chavez apparaissent solidaires ne peut que radicaliser les gouverneurs de droite des quatre provinces autonomistes.
A ce jour, Evo Morales malgr sa proximit idologique avec Hugo Chavez semble plus sensible aux arguments de Brasilia. Larme bolivienne aussi, dont le chef dEtat-major a dclar : Les forces armes rejettent nergiquement toutes ingrences extrieures, do quelles viennent. Aucune troupe trangre ninterviendra en Bolivie.
Dans une Amrique du Sud dsormais majoritairement gauche sopposent donc deux coles : celle de la social-dmocratie rformiste incarne par le Brsil, et celle de la rvolution anti-imprialiste, vigoureusement oppose Washington et facilement populiste, dfendue par Hugo Chavez. La lutte dinfluence entre Lula et Chavez pour le leadership en Amrique latine nest pas le moindre enjeu de lactuelle crise politique en Bolivie.

Jean Piel

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