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21/10/2008
Questions internationales (1)
Le retour en force des talibans


(MFI) Chasss du pouvoir en 2001, les talibans contrlent dsormais lEst et le Sud de lAfghanistan. Avec laide dAl-Qada, ils multiplient les attaques contre les forces de lOtan prsentes dans le pays. On compte dsormais plus de soldats amricains tus en Afghanistan quen Irak. Plusieurs hauts-grads estiment quil est impossible de gagner la guerre contre les talibans. Mais les Etats-Unis veulent encore y croire. Face la dgradation de la situation, certains suggrent de ngocier avec les tudiants en thologie .

Les talibans sont-ils en train de prendre lavantage militairement en Afghanistan ?

Attentat contre lambassade dInde Kaboul, tentative dassassinat contre le prsident Hamid Karza, assaut contre la prison de Kandahar permettant lvasion dun millier de dtenus, attaque contre la base amricaine de Khost, embuscade contre une patrouille franaise Ces dernires semaines, les talibans ont russi plusieurs oprations chocs en Afghanistan. Au-del de ces actions spectaculaires, la milice intgriste mne au quotidien une guerre dusure contre les soldats de lIsaf, la force multinationale dploye dans le pays sous commandement de lOtan. Depuis le mois de juin, on dnombre plus de soldats amricains et britanniques tus en Afghanistan quen Irak.
Juste aprs les attentats du 11 septembre 2001 et lintervention amricaine Kaboul, les talibans avaient d fuir. Plusieurs de leurs chefs avaient t tus, leurs armes saisies, leurs rseaux dmantels. Certains annonaient la fin de ce mouvement n dans les coles coraniques des zones pachtounes afghane et pakistanaise, adepte dun islam radical, au pouvoir Kaboul de 1996 2001 en faisant rgner la terreur, et ayant tiss des liens privilgis avec Al-Qada. En ralit, linfluence des tudiants en thologie na jamais disparu, mme si elle ne fut un temps que locale. Sous la direction de leur chef, le mollah Mohammad Omar, les rseaux se sont reconstitus ds 2003. Ils ont refait leur arsenal, rorganis leurs troupes. Les premires attaques ont t modestes, contre un poste de police, une cole de filles ou le sige dune Ong. Puis la gurilla sest renforce, sest tendue gographiquement et ses oprations ont t de plus en plus audacieuses.
Aujourdhui, on compte environ 20 000 talibans. Arms de fusils dassaut, de grenades et de lance-roquettes, ils tiennent tte aux 45 000 soldats de lIsaf, auxquels sajoutent 19 000 GIs amricains. Ils sont bien organiss, trs disciplins, ont une parfaite connaissance du terrain. Ce sont des vrais professionnels de linsurrection , reconnat un officier de lOtan, cit par Le Point. Les combats sont dsormais plus frquents et plus meurtriers en Afghanistan quen Irak. LIsaf a perdu 182 hommes les sept premiers mois de 2008 contre 222 pour tout 2007. Les attentats-suicides, inconnus en 2004, sont passs de 127 en 2006 228 en 2007. Les tudiants en thologie contrlent dsormais lEst et le Sud du pays. A en croire Ahmed Rashid, le meilleur connaisseur du mouvement : La stratgie talibane est de contrler autant de territoires que possible, de gagner toujours plus dinfluence auprs de la population et de crer une telle crise au sein de lOtan quun ou deux pays annoncent leur retrait de la coalition. Dune certaine faon, ils ont dj atteint leur objectif. Le 5 octobre dernier, le gnral anglais Mark Carleton-Smith confiait au Sunday Times : Nous nallons pas gagner cette guerre. Il sagit de la rduire un niveau dinsurrection contrlable, ne constituant pas une menace stratgique et pouvant tre gr par larme afghane.

Comment expliquer ce retour en puissance des talibans ?

La gurilla islamiste sappuie sur une parfaite connaissance de lAfghanistan et sur de solides soutiens ltranger. Elle ne rencontre aucune difficult recruter des combattants, souvent des jeunes issus de madrassas fondamentalistes ou des villageois dsuvrs qui ont toujours connu leur pays en guerre et dont lhorizon se limite un bourg perdu. Les liens avec des chefs de tribus pachtouns pour qui la religion et le clan priment sur toute autre considration sont essentiels. Quun chef de tribu se rallie aux talibans, et tous ses hommes le suivent sans sourciller. Lorsquils taient au pouvoir, les tudiants en thologie ont souvent t has cause de leur violence et de leur abus doctrinal. Ils sont aujourdhui plus discrets et dploient vis--vis des habitants une double stratgie. Dans un pays farouchement indpendant, qui a vaincu loccupation sovitique, ils cherchent dmontrer que les soldats de lIsaf plutt bien accueillis au dbut sont des occupants et non des pacificateurs. Les nombreuses bavures de lIsaf et des forces amricaines plus de 1 000 civils ont t tus depuis le dbut de lanne par des bombardements mal cibls les aident dans leur dmarche. Chaque bombardement dune fte de mariage confondue avec une manifestation, dune maison identifie tort comme celle dun chef de la gurilla, amne des dizaines de recrues chez les talibans , assure le responsable dune Ong franaise dans Le Monde. Mais les talibans empchent aussi toute amlioration des conditions de vie des habitants et multiplient les combats pour prouver que lIsaf nest ni source de stabilit ni facteur de reconstruction du pays.
Habitus au dur climat afghan, connaissant tous les sentiers de montagne, les caches en fort, les talibans ont un avantage sur leurs adversaires. En outre, ils sont riches : 90 % de lhrone consomme dans le monde provient dAfghanistan, et les talibans pourtant chantres de la vertu contre le vice tirent 80 millions de dollars par an du narcotrafic, selon lUnodc, lOffice des Nations unies contre le crime et la drogue. De quoi acheter bien des armes et payer bien des soldats.
Au plan extrieur, les disciples du mollah Omar bnficient dun vaste sanctuaire dans les zones tribales du Pakistan. Cest l que seraient cachs Oussama Ben Laden et les principaux chefs dAl-Qada. Un sanctuaire possible grce la proximit idologique et religieuse de nombreux chefs tribaux avec les talibans, mais aussi obtenu par la force. En cinq ans, 150 chefs pachtouns ont t abattus pour stre opposs leur emprise sur ces rgions qui bordent la frontire entre les deux pays. Autre alli de poids : lISI, les services de renseignement pakistanais. Si, officiellement, Islamabad est du ct des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, en ralit le pays est instable et joue un double-jeu. Dj lorigine de lascension des talibans au cours des annes quatre-vingt-dix, lISI aide une nouvelle fois les tudiants en thologie , esprant ainsi avoir une influence sur la scne politique afghane. Enfin, Al-Qada est proche des talibans. Lorsque ces derniers taient au pouvoir Kaboul, le rseau terroriste dOussama Ben Laden avait fait de lAfghanistan sa chasse-garde. Le scnario est en train de se rpter. Al-Qada entrane les insurgs, leur apporte une aide logistique et leur fournit des combattants. On croise de plus en plus autour de Kaboul ceux que les Afghans appellent avec un mlange de crainte et de mpris les Arabes , et qui peuvent tre irakiens, maghrbins, saoudiens, tadjiks, turcs ou tchtchnes. Comme le rsume Ahmed Rashid : La rorganisation des talibans depuis 2003 est signe Al-Qada. En gnral, une gurilla perd un conflit par manque dhommes et dargent. Or, les talibans disposent de combattants, de ressources et dun sanctuaire quasiment inviolable. Nous sommes au dbut des hostilits en Afghanistan. La situation ne va faire quempirer au cours des six prochains mois.

Face cette situation, quelle est la raction des pays membres de lIsaf ?

Sur le plan militaire, le doute est palpable. Certes, les talibans nont pas gagn la guerre. Ils essuient de lourdes pertes lors de leurs affrontements contre les forces de lOtan et ne prennent pas le risque dattaquer Kaboul. Comme lcrit Global Security, un site web spcialis dans les questions militaires : Il nexiste pas une seule rgion en Afghanistan o les troupes de la coalition ne peuvent pas aller. Techniquement, lIsaf ne peut pas perdre face aux talibans. Mais elle ne peut pas gagner non plus, cest--dire scuriser durablement lensemble du pays. Pour une force multinationale, une non-victoire face une gurilla sapparente une dfaite . Et certains de rappeler que les troupes sovitiques deux fois plus nombreuses que celles de lIsaf nont jamais russi en dix ans de combats contrler lAfghanistan face la rsistance des Moudjahidines.
On la vu : le gnral commandant les troupes britanniques Kaboul ne croit plus possible de gagner cette guerre. Un avis partag par Jean-Louis Georgelin, le chef dEtat-major de larme franaise : Il ny pas de solution militaire la crise afghane. De son ct, Kai Eide, le reprsentant spcial des Nations unis pour lAfghanistan, dclarait dbut octobre : Nous savons que nous ne pouvons pas gagner militairement.
Mais les Etats-Unis veulent encore y croire. Le patron de lOtan Kaboul, le gnral David McKierman, se disait rcemment plus convaincu que jamais de lemporter sur les talibans . Pour cela, il rclame 20 000 hommes supplmentaires et llargissement de sa mission, savoir : pouvoir lutter contre le narcotrafic (il la obtenu) et mener des missions dans les zones tribales pakistanaises mme sans laccord dIslamabad. Un point dlicat. Ces dernires semaines cependant, les Etats-Unis ont men des oprations militaires dans les zones tribales, nalertant les autorits pakistanaises quaprs-coup. Une stratgie quapprouvent les deux candidats la Maison blanche, John McCain et Barack Obama. Tous les deux sont favorables aussi un renforcement du contingent de lOtan en Afghanistan, estimant que cest l que se mne la guerre contre le terrorisme, et non pas en Irak. Or il y a aujourdhui trois fois plus de GIs en Irak quen Afghanistan.

Et au plan diplomatique ?

Comme au plan militaire, on sent un certain dcouragement des pays occidentaux face la crise afghane. Un rcent rapport des services de renseignement amricain, publi dans le New York Times, estime que lAfghanistan est plong dans une spirale ngative et il est peu probable que son gouvernement soit en mesure de contrer la rsurgence des talibans. Lune des causes est leffondrement du pouvoir central, min par la corruption . Prsent comme un sauveur, le prsident Hamid Karza, qui avait le double mrite dtre pachtoun et proche des Etats-Unis, na jamais russi imposer son autorit. Il sort rarement de son palais kabouli, protg comme une forteresse. Des rumeurs de corruption, mais aussi de liens avec les talibans et de complicit dans le trafic de drogue visent plusieurs membres de son gouvernement. Quant larme afghane, elle est encore loin dtre oprationnelle.
A la chute des tudiants en thologie en 2001, la communaut internationale ne parlait que de reconstruire lAfghanistan, tout en maintenant une option militaire forte. Loptimisme tait de mise. Sept ans plus tard, et alors que quinze milliards de dollars ont t investis dans le pays, force est de constater que lon est revenu au point de dpart : les infrastructures routes, coles, hpitaux restent en piteux tat, les talibans se renforcent et lIsaf est dsormais perue comme une arme doccupation.
Nanmoins, lors de la dernire confrence des donateurs, organise au mois de juin Paris, les 85 dlgations ont accept de mettre sur la table 20 milliards de dollars supplmentaires. Cette fois-ci, en insistant davantage sur la reconstruction et en confiant lOnu la mission de mieux coordonner laide humanitaire. Il est vrai que, depuis 2002, lorsque 100 millions de dollars taient investis en Afghanistan pour des dpenses militaires, sept millions seulement allaient la reconstruction. A en croire Bernard Kouchner, le ministre franais des Affaires trangres : Il sagit l dun tournant. Cest une nouvelle inclinaison de la politique internationale envers ce pays. La logique du tout-militaire ayant chou, la communaut internationale doit dsormais massivement investir sur le terrain civil. Et certains observateurs de pointer que dans les rgions o la gurilla islamiste est absente, les conditions des vies des Afghans samliorent : davantage dcoles, de dispensaires, dlectricit, daccs leau Beaucoup dexperts cependant sont dubitatifs. Ils estiment quil est trop tard et rappellent quen 2001 dj, la confrence de Berlin sur la reconstruction de lAfghanistan avait promis de mettre laccent sur laide humanitaire. Les pays occidentaux esprent gagner la bataille du cur avec les Afghans. Mais cela me semble difficile, voire impossible, dans un pays aussi pauvre, en guerre depuis 1979, o les liens tribaux et religieux priment sur tout, o une arme trangre est ncessairement vue comme une arme doccupation , analyse Ahmed Rashid.
En outre, aucun retour la paix en Afghanistan ne sera possible sans une stratgie rgionale, savoir obtenir du Pakistan quil mette un terme au soutien de lISI aux talibans et quil reprenne le contrle de ses zones tribales. Plus facile dire qu faire vue linstabilit du pouvoir pakistanais et le fort sentiment anti-amricain qui rgne dans le pays. Lgalement, les zones tribales bnficient dune large autonomie. Lorsque, sur linsistance de Washington, larme pakistanaise a cherch en reprendre le contrle en 2006 et 2007, elle a perdu plus de mille hommes en quinze mois. Et le chef de lEtat dalors, le gnral Pervez Musharraf, a chapp trois attentats. Rsultat : Islamabad a conclu, en avril 2008, une trve avec ceux quon appelle les talibans pakistanais, et il est peu probable que le nouveau chef de lexcutif, Asif Ali Zardari, prenne le risque de la remettre en cause.
Une victoire militaire contre les talibans semble donc illusoire. Un retrait de lIsaf impossible moins daccepter doffrir le pays la gurilla islamiste. Un nombre croissant dacteurs politiques et militaires suggrent donc de ngocier avec les tudiants en thologie (voir article ci-aprs), au moins avec les plus modrs dentre eux, cest--dire les partisans dun islam radical en Afghanistan, mais opposs au terrorisme et au djihad plantaire. Si on veut obtenir des rsultats qui comptent, il faut parler ceux qui comptent , rsume Kai Eide, le reprsentant de lOnu pour lAfghanistan. Dialoguer avec les talibans est un aveu dchec, mais cest peut-tre la seule solution possible , ajoute Michael OHanlon, spcialiste des questions militaires la Brookings Institution (Washington). Reste savoir sil existe des talibans modrs. Sentant la situation lui chapper, la communaut internationale est prte tout mme ngocier avec le diable pour viter que lAfghanistan ne redevienne le havre dAl-Qada, do seront organiss des attentats grce largent de la drogue. Mais dans Faust, ngocier avec le diable conduit lchec.

Jean Piel

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