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23/06/2009
Questions internationales : Lgislatives albanaises du 28 juin
(1) Les ambitions europennes de lAlbanie


(MFI) Les lections lgislatives du 28 juin sont loccasion, pour ce petit pays de 3,2 millions dhabitants nich le long de la mer Adriatique, de confirmer sa lente avance vers lEtat de droit et la dmocratie. Le Pays des aigles a ralis des progrs notables depuis la chute du communisme en 1991 et ses dirigeants rvent de rejoindre lUnion europenne. Mais lAlbanie, classe parmi les pays les plus pauvres dEurope, est souvent pointe du doigt pour ses drives mafieuses et la puissance du crime organis sur son territoire.

Dans quel contexte se droulent ces lections lgislatives ?

Coince entre les Balkans et la Grce, lAlbanie est lun des pays les plus pauvres dEurope, avec un PIB denviron 13 milliards de dollars - lquivalent de celui du Honduras ou du Gabon. Prs de 15 % de la population vit en dessous du seuil de pauvret (deux dollars par jour) et le taux de chmage avoisine les 30 %. Ce contexte conomique difficile psera videmment sur le scrutin du 28 juin. En bordure de la mer Adriatique, et occup 70 % par des montagnes, le Pays des aigles dispose pourtant dun potentiel touristique qui a peu envier celui de la Grce ou de la Croatie. Mais les infrastructures routes, htels, tlcommunications sont vtustes. De mme, lagriculture qui emploie 52 % de la main-duvre mais ne reprsente que 23 % du PIB nest pas mise en valeur. Faiblement industrialis, le pays dpend des transferts de fonds de ses ressortissants immigrs et des aides de lUnion europenne.
Comme le souligne Odile Perrot, professeur de Relations internationales et ancienne charge de mission dans les Balkans pour lOSCE : Si lAlbanie a fait des progrs notoires depuis les annes 1990, la situation reste nanmoins proccupante dans les domaines de lconomie et de la capacit des dirigeants gouverner selon les normes dmocratiques. Le pays est loin de constituer un Etat de droit fiable et une dmocratie consolide. Llite au pouvoir ne shabitue pas au jeu institutionnel, quelle prfre dtourner pour satisfaire ses ambitions politiciennes.
La mauvaise sant de son conomie tient lhistoire dun pays qui fut le dernier dEurope sortir du communisme, en 1991, aprs quarante-quatre ans de dictature implacable dEnver Hoxha. Elle sexplique aussi par la corruption, le clientlisme, la gestion mafieuse des affaires publiques des dmocrates qui lui ont succd. On peut citer ple-mle les lections locales truques, les juges trop indpendants limogs, les privatisations qui nont enrichi que quelques familles, la multitude de petits partis au service dun seul homme, le refus de faire la lumire sur les annes sombres de la dictature communiste. Le Pays des aigles est aussi gangrn par le crime organis dont les ramifications stendent toute lEurope. Selon la Commission de Bruxelles, la corruption des seuls membres du gouvernement reprsentait 32 millions deuros en 2008.


Quels sont les enjeux du scrutin ?

Lenjeu principal de ces lections lgislatives, cest la bonne tenue des lections elles-mmes , souligne avec ironie Oerd Ulqini, journaliste au quotidien Panorama. Des propos que confirme sa manire le prsident de la Rpublique, Bamir Topi : Il sagira des dernires lections de transition. Autrement dit, le scrutin doit marquer lentre dfinitive de lAlbanie dans le camp dmocratique. Lenjeu est dimportance puisque de la transparence du vote dpendra un ventuel rapprochement entre Tirana et lUnion europenne. Adopt par le Parlement en dcembre 2008, le nouveau code lectoral, qui favorise les grands partis au dtriment des petites formations, a pourtant t salu par Bruxelles comme un facteur de stabilit politique.
Ces lections lgislatives seront aussi loccasion dun affrontement entre deux hommes et deux partis. Dun ct, le Premier ministre Sali Berisha, leader du mouvement qui fit chuter le rgime communiste en 1991 et qui, depuis 2005, gouverne lAlbanie la tte du Parti dmocratique. Son adversaire de gauche, Edi Rama, leader du Parti socialiste, est lautre figure incontournable de la scne politique albanaise. Il a aujourdhui lgrement la faveur des sondages.
Sali Berisha peut senorgueillir dun bilan positif la tte du pays. Les routes comme le rseau tlphonique se sont amliors progressivement. La prcarit reste forte, mais la population vivant en dessous du seuil de pauvret est passe de 19 % en 2004 14,6 % aujourdhui. Le taux de croissance flirtait avec les 6 % avant la crise financire mondiale. En politique trangre, Sali Berisha a su faire entrer lAlbanie dans lOtan en avril dernier et, le mme mois, dposer la candidature officielle de son pays lUnion europenne. Un moment historique qui marque le retour de Tirana dans la famille des nations europennes.
Dans un pays o les questions de personnes dominent les lections, Edi Rama se vante de son succs comme maire de Tirana, la capitale quil a su moderniser. Lui aussi est favorable ladhsion du pays lUnion europenne, mais il critique la mthode de Sali Berisha. On prsente lUE comme la solution miracle. Les Albanais simaginent quune fois leur pays membre, tous leurs problmes senvoleront et quils deviendront riches comme par magie. Sali Berisha se garde bien dvoquer les difficiles adaptations quexigera une ventuelle adhsion , dclarait le leader du Parti socialiste au quotidien Le Monde en avril dernier.
Si Sali Berisha et Edi Rama incarnent la vie politique albanaise, aucun des deux nchappent aux accusations de corruption, de npotisme et de liens mafieux qui touchent tous les lus. Lassassinat, dbut mai, dun dput socialiste a dj jet une ombre sur la campagne, que les instances europennes nont pas manqu de relever.


Quels sont les atots de lAlbanie pour rejoindre lUE ?

LAlbanie sest lance dans laventure europenne un an aprs tre sortie des quatre dcennies dautarcie imposes par la dictature. Ds 1992, un accord de coopration conomique et commercial a t sign avec lUE. Puis en 1999, Bruxelles a accord au Pays des aigles des concessions commerciales trs favorables, exemptant ses importations de droits de douanes. Enfin, un virage important a t pris en juin 2006 avec la signature dun Accord de stabilisation et dassociation (ASA) qui a fait de Tirana un membre-associ de lUE, un accord entr en vigueur en avril dernier.
Le 28 avril, Sali Berisha dposait paralllement la candidature de son pays lentre dans lUE. Il ne sagit l que de la premire tape dun processus trs long vers le statut officiel de candidat, qui exige laccord unanime des 27 Etats-membres. A titre de comparaison la Turquie, qui a dpos sa candidature en 1987, est officiellement candidate depuis 1999. Mais pour le ministre franais des Affaires trangres, Bernard Kouchner, qui recevait Sali Berisha il y a peu : Il est vident que lAlbanie doit rejoindre lUnion europenne. Il sagit dun processus, dune continuit. Mais nous ne sommes pas presss, ni dun ct ni de lautre, car il y a encore des problmes sur le chemin. Pour sa part, Michael Leigh, le directeur gnral llargissement, estime que LAlbanie fait des progrs continus depuis les rformes politiques lances en 2006. Elle doit maintenant prouver sa capacit avancer sur le chemin de lintgration europenne .
En ralit, Tirana espre rejoindre les 27 pour des raisons conomiques, alors que Bruxelles a plutt des considrations stratgiques en vue. Ayant des frontires communes avec la Serbie, le Kosovo, la Macdoine et la Grce, lAlbanie fait la jonction entre les Balkans et le sud-est de lEurope. Ses dbouchs maritimes vers lAdriatique et la mer Ionienne sont importants. Le pays prsente lavantage dtre culturellement proche des Balkans sans avoir particip au conflit qui a dchir lex-Yougoslavie. Et 90 % des habitants du Kosovo sont dorigine albanaise.
LAlbanie apparat donc comme un ple de stabilit rgionale. Elle constitue aussi une cl de la zone de libre-change que lUE souhaite mettre en place dans cette partie du vieux continent afin de favoriser la coopration conomique rgionale. Dans la mme logique, Tirana a fourni des soldats aux forces de maintien de la paix de lOtan en Bosnie et a servi de base logistique lors des oprations allies au Kosovo. Une politique qui a favoris son adhsion lAlliance atlantique en avril 2009.


Quels obstacles subsistent nanmoins une adhsion de lAlbanie lUE ?

LAlbanie dans lUnion ? Le sujet nest pas dactualit. Nous avons dj assez de mal intgrer les nouveaux membres et faire tourner la machine 27 , sexclame un haut-fonctionnaire de la Commission europenne, rsumant le sentiment qui prvaut Bruxelles. Ladhsion de nouveaux membres nest pas lordre du jour tant que la constitution europenne naura pas t adopte et les derniers entrants rellement intgrs. La candidature de lAlbanie pose en outre plus de problmes que nen poseraient celles de la Norvge ou de la Suisse.
La diffrence de dveloppement conomique avec le reste de lUE constitue le premier obstacle. Le PIB par tte du pays est douze fois infrieur celui de la France, et deux fois infrieur celui de la Bulgarie qui appartient pourtant au groupe des pays pauvres de lUE. La structure conomique de lAlbanie est plus proche de celle dun pays en dveloppement que dun pays industrialis europen , souligne le mme haut-fonctionnaire. Ce qui signifie que pendant plusieurs annes, Tirana sera davantage rcipiendaire de laide europenne quelle ne contribuera au budget communautaire.
Son adhsion, difficile au plan conomique - avant de rejoindre lUE, lAlbanie devra dabord rviser sa fiscalit, son droit des affaires, son organisation administrative et aussi moderniser ses infrastructures et ses industries -, lest aussi au plan politique au moment o les opinions publiques se dfient de lEurope. Dautant que le Pays des aigles nest pas encore une dmocratie solide. Adhrer lUnion europenne exigera une lutte plus dtermine contre la corruption, le crime organis, les abus des dirigeants Certes, tre membre de lUE contribuerait aussi rsoudre ces problmes, mais on part de trs loin. Comme lcrit Odile Perrot : La politique de construction de lUE implique une convergence conomique et sociale, et une transformation de la gouvernance dmocratique qui modifieraient en profondeur les structures du pays. Il ne faut pas ngliger le cot social dune telle adhsion dans un pays dj trs pauvre .
Mais lheure nest plus la mfiance, poursuit-elle. Les relations entre lAlbanie et lUE stablissent sur une base dynamique. Bruxelles a fix une feuille de route Tirana, elle a list les domaines o des changements sont attendus, elle lui accorde des aides conomiques et financires importantes. Cela doit tre compris comme un encouragement un pays qui a ralis des progrs notoires ces dernires annes, mme sil nest pas question dadhsion court terme , insiste Renaud Dorlhiac, spcialiste des Balkans et charg de mission auprs de la dlgation aux Affaires stratgiques, au ministre franais de la Dfense (voir interview ci-aprs).
Que lAlbanie ait ralis de rels progrs ces dernires annes, chacun saccorde reconnatre. Mais la route est encore longue jusqu Bruxelles. LAlbanie a encore des efforts accomplir pour tre un Etat de droit, transparent et dmocratique , a rcemment dclar Michael Leigh. Publi en novembre 2008, le dernier rapport de la Commission de Bruxelles soulignait que LAlbanie a progress vers la construction dun Etat de droit et dune conomie de march viable, mais les rformes doivent tre poursuivies concernant notamment la corruption, la moralisation de la vie publique et la rforme des organes judiciaires. Sont galement attendues la restructuration de certains secteurs conomiques et la mise en uvre des normes europennes relatives la criminalit organise, au trafic de drogue et au blanchiment des capitaux.
Au total, 439 observateurs de lOrganisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE) surveilleront le scrutin. Elle avait dcrit les lections municipales de janvier 2007 comme une opportunit manque pour la classe politique de montrer sa maturit , avant dajouter : Toutes les lections qui se sont tenues depuis la chute du communisme ont fait lobjet de contestations. Cest dire quel point ces lections lgislatives du 28 juin seront cruciales pour lavance de lAlbanie vers lUnion europenne.

Jean Piel




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