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Saveurs

L’année de tous les légumes

par Danielle Birck

Article publié le 22/06/2007 Dernière mise à jour le 22/06/2007 à 11:18 TU

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Il ne s’agit plus de «cultiver son jardin» à la manière de Candide, loin de la furie des hommes, mais de retisser du lien social à partir de la culture des légumes. C’est la vocation du Jardin dans la Ville à Argentan, en Normandie. Il s’agit aussi de retrouver plaisir et convivialité en apprenant à les cuisiner avec de grands chefs, comme y invite l’Université Populaire du Goût qui, dès sa création à la rentrée 2006, a rassemblé à chacun de ses cours plusieurs centaines de personnes.

Ce lundi 11 juin, 19 heures, la salle des fêtes d’Argentan est pleine à craquer pour le dernier «cours» de l’Université populaire du Goût, consacré à la tomate : «La tomate s’éclate», peut-on lire sur les affiches. Les gradins et les chaises avaient commencé à se remplir dès 18 heures, car depuis le succès du cours inaugural, le 11 décembre 2006, on a compris qu’il valait mieux arriver tôt pour avoir une place. Et de plus, ce soir, c’est un enfant du pays qui officie, Arnaud Viel, chef cuisinier de la Renaissance, à Argentan. Il aura pour assistant, «petite main» comme l’on dit, un autre enfant du pays, Michel Onfray. Le philosophe, à qui l’on doit la création en 2002 de l’Université populaire de Caen, également  en Normandie, est aussi à l’origine de cette Université populaire du Goût, mise sur pied avec son vieil ami et complice Jean-Luc Tabesse, responsable du «Jardin dans la ville».

Jean-Luc Tabesse (g.) et Michel Onfray, devant le manable construit par Patrick Bouchain.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Jean-Luc Tabesse (g.) et Michel Onfray, devant le manable construit par Patrick Bouchain.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

De la culture des légumes ...

Car il faut commencer par le commencement: pour cuisiner et déguster les légumes, il faut d’abord les faire pousser. Le «Jardin dans la ville» a été créé en 1995 pour approvisionner principalement une épicerie sociale, les « restos du cœur » et  le secours populaire. Une quinzaine de personnes, hommes et femmes, travaille sur ce chantier de réinsertion : «Des personnes qui gagnent tout juste le RMI (revenu minimum d’insertion), qui ont des gros problèmes sociaux, qui n’ont pas travaillé depuis un certain nombre d’années, ou qui se sont retrouvé licenciées après avoir travaillé 30 ou 35 ans dans les usines d’Argentan et viennent terminer leur carrière pour avoir tous leurs trimestres de retraite». Jean-luc Tabesse sait de quoi il parle, lui qui a été licencié de l’usine métallurgique où il travaillait depuis 28 ans, pour cause de délocalisation en Chine.

Le cardon.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Le cardon.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Sur les 8000 m2 de ce terrain qui appartient à la ville, une partie est consacrée à la culture de légumes anciens, cardons, panais, topinambours, et autres «haricots du Saint-Sacrement», «une création argentanaise ancestrale, précise Michel Onfray. Le jardin conservatoire de Saint-Pierre sur Dives, à une demi-heure de route d’Argentan, a mis son expérience au service de cette culture de légumes anciens. C’est d’ailleurs avec eux que les cours ont commencé...

.... à leur dégustation

«Avec Jean-luc, on s’est retrouvé un jour à parler de ce Jardin dans la ville, qui réinsère des victimes du libéralisme, explique Michel Onfray. Il me disait qu’il avait un problème quand il  offrait des paniers de légumes car les gens  ne savaient pas trop quoi en faire, faute de savoir les cuisiner. Je me suis dit que de même qu’il y avait une université populaire à Caen, on pourrait créer à Argentan une université populaire du goût où l’on apprendrait aux gens à cuisiner, à retrouver dignité et convivialité autour de la cuisine».

Aussitôt dit, aussitôt fait, ou presque. Le projet va devenir réalité grâce à un troisième homme: le critique gastronomique Marc de Champérard, auteur du guide du même nom, qui met son carnet d’adresses, ses relations et son énergie au service de cette entreprise socio-culturo-gastronomique. Contactés, six grands chefs étoilés, dont ceux du Crillon et du Bristol à Paris, acceptent de venir donner des cours. Le succès est immédiat. «On se disait que si on rassemblait une cinquantaine de personnes ce serait bien, raconte Michel Onfray. Il y en a eu tout de suite plusieurs centaines». Bien au-delà de la capacité d’accueil de la «maison du citoyen» que la ville avait mis à disposition de l’Université populaire du Goût. C’est donc la salle des fêtes de la mairie et ses 900 places qui accueille désormais les cours.

Le chef Arnaud Viel en pleine action sur la tomate.(Photo : Emmanuel Bluteau)

Le chef Arnaud Viel en pleine action sur la tomate.
(Photo : Emmanuel Bluteau)

Le principe est simple: avant d’être décliné en recettes gastronomiques par le grand chef invité, le légume du jour fait l’objet d’une introduction historique par Evelyne Bloch-Dano, journaliste littéraire et écrivain. Où l’on apprend par exemple que la tomate, «un des plus étonnants légumes» qui commença par être un fruit, a longtemps eu fort mauvaise réputation, en raison de ses supposés  pouvoirs occultes... Puis l’on passe aux travaux pratiques, avec les recettes – trois ou quatre -  réalisées en direct par le chef cuisinier. Des recettes qui se doivent d’être accessibles en complexité et en coût. Une caméra filme au ras des casseroles et du plan de travail  (les plaques de cuisson ont été fournies gracieusement par un fabricant) pour que le public puisse suivre sur grand écran le déroulement des opérations.

Dégustation...(Photo : Emmanuel Bluteau)

Dégustation...
(Photo : Emmanuel Bluteau)

Regarder, écouter, mais aussi … déguster, parce que «les chefs sont tous venus avec des bouchées préparées pour tout le monde», tient à souligner Michel Onfray.  Dégustation gratuite, cela va sans dire…. et pas d’inscription, ni de contrôle continu, dans cette université populaire, même si beaucoup sont venus avec calepin et crayon pour noter recettes, tours de main et autres «trucs»  (saviez-vous que pour conserver aux légumes verts leur couleur éclatante, il fallait les passer sous l’eau glacée immédiatement après la cuisson?) confiés par le grand chef en pleine action…

La fracture alimentaire

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Une manière de combattre ce que Michel Onfray appelle la «fracture alimentaire». Il est vrai que la tendance, en raison de conditions de travail contraignantes et de l’étroitesse des budgets, «est plus aux surgelés et conserves, et aux produits bas de gamme, constate Michel Onfray, et moins on achète cher, plus on achète mauvais. Plus c’est salé, sucré, plus c’est hypercalorique, avec les conséquences que sont l’obésité, le diabète, l’hypercholestérolémie, etc… On sait que la mortalité est plus élevée chez les gens modestes que chez les autres, on sait que les ouvriers vivent moins longtemps, en raison aussi de la pénibilité et de la dangerosité de leur travail. Et il y a une espèce d’intoxication alimentaire qui se fait avec les mauvais produits et les  mauvaises cuisines contre lesquelles on tâche de lutter». Avec le Jardin dans la ville, que Jean-Luc Tabesse s’efforce de faire classer «bio», et les cours de l’Université populaire du Goût.

Sans oublier que cuisiner, préparer un plat pour le partager, c’est aussi retrouver une forme de convivialité et de lien social. Et donc de solidarité, comme ce notaire d’Argentan qui a récemment fait don d’un photocopieur haut de gamme et d’un parc d’ordinateurs à  l'association Solidarité/Réinsertion dont s'occupe également  Jean-Luc Tabesse, après être venu dîner un soir avec l’équipe du Jardin dans la ville. «Ce jardin qui est vraiment à l’origine d’une mixité sociale à Argentan », souligne Jean-Luc Tabesse. Notamment avec les particuliers qui viennent acheter des légumes dans la boutique ouverte chaque mercredi sur le jardin.

Prendre le temps de cuisiner, c’est aussi prendre celui de transmettre un savoir faire, une éducation des sens et du goût. «Et ces transmissions là sont des transmissions d’affectivité et d’amour. Je crois que quand on est nourri à l’affectivité, on est paré pour faire face à la brutalité de la vie», conclut Michel Onfray. 

Vivement la rentrée….

Jardin dans la ville et université populaire du goût : un projet porté par le bénévolat mais qui a entre temps reçu le soutien de la ville et de la région. Un projet qui a également séduit l’architecte Patrick Bouchain, familier de l’université populaire de Caen, spécialiste entre autres de la reconversion de friches industrielles en espaces culturels. Il a accepté de construire dans le  jardin un bâtiment, édifié avec des matériaux de récupération.  «Un bâtiment dans lequel on va fédérer un certain nombre d’énergies, précise Michel Onfray. Il y aura des cours d’architecture, d’informatique, de cinéma, de gastrosophie»…

Boeuf normand et haricots: ce sera le thème du premier cours de  ’Université populaire du Goût, le 13 novembre 2007.... Vivement la rentrée!

Les Visiteurs du Jour

Université populaire du goût

«Ecoutez comment à Argentan, réinsertion sociale rime avec gastronomie.»

25/06/2007 par Hervé Guillemot