par Danielle Birck
Article publié le 02/07/2007 Dernière mise à jour le 02/07/2007 à 19:24 TU
Un cube de vêtements usagés compressés est installé en plein milieu d’une vaste rotonde baignée de lumière, antichambre de l’exposition L’Etoffe des héroïnes. «Une manière d’affirmer dès le démarrage notre engagement par rapport à la consommation, à ce trop plein de vêtements. Et c’est aussi une sorte de mise en bouche de ce projet», indique Sakina M’Sa. «C’est décoratif, mais aussi très émouvant, parce qu’il y a tant de vies compressées dans ces vêtements», ajoute Catherine Ormen, commissaire de l’exposition. A l’opposé de cette «société kleenex", où tout ce qu’on a utilisé hier, n’est plus valable aujourd’hui», Salina M’Sa se dit «très touchée par ce qui a existé, ce qui a vécu, par l’âme des choses, l’âme qu’on véhicule dans un vêtement».
Déconstruction et création
L’exposition commence par là où les défilés officiels s’achèvent: la robe blanche de mariée. «La robe éphémère, la robe d’un jour, qui est en en papier, en matière non tissée, précise Catherine Ormen. Ornée des seules phrases écrites par Sakina, elle incarne en fait cette robe rêvée sur laquelle les femmes ont commencé à travailler».
L’atelier a été monté en octobre 2006. Une fois par semaine les femmes venaient visiter les salles du musée en présence d’une conférencière et d’une conteuse, avant de s’installer dans l’atelier pour y «customiser» des robes à partir de vêtements donnés par Emmaüs. «Elles ont déconstruit complètement la mode et les standards contemporains, souligne Catherine Ormen. Déconstruction amorcée avec les silhouettes de mode dans des magazines, découpées en morceaux puis réassemblées un peu à la manière des «cadavres exquis» des surréalistes pour créer de nouveaux modèles «avec une force de contestation et de désobéissance par rapport aux canons et critères habituels de la beauté».
Toiles et tissus
Une force de contestation, de désobéissance et de création qui anime les quelque quarante modèles sortis de l’atelier et regroupés sous quatre thèmes, comme autant de pistes suscitées par quelques œuvres du musée, «des tableaux qui nous touchaient, précise Sakina M’Sa. Car pour en parler, quoi de mieux que de les aimer». Ainsi, les détails et le rendu des matières dans un tableau de l’école hollandaise du XVIIe siècle - Le Chant interrompu de Mieris le Vieux – a donné lieu à «Matières et contrastes», un ensemble de modèles qui marient des textures différentes (velours, satin, fourrure, etc.). Le parallèle entre la composition d’une œuvre et l’assemblage d’un vêtement, s’est nourri de l’observation des «Motifs & couleurs» dans les icônes. Pour «Silhouette & représentation du corps», l’interrogation sur l’évolution des canons de beauté a été suscitée en comparant les représentations de la silhouette féminine au fil des siècles. Quant à l’abandon des Demoiselles du bord de Seine de Gustave Courbet, il a alimenté une réflexion sur «Le montré, le caché», ce que le vêtement cache ou dévoile, ce qui relève de la décence ou de l’indécence. Des notions très relatives dans le temps et dans l’espace en fonction des cultures auxquelles appartiennent ces femmes «et qui ont aidé à dépasser les critères en vigueur aujourd’hui, à ouvrir d’autres horizons, d’autres possibles», constate Catherine Ormen.
Ces thèmes, s’ils ont nourri intensément le dialogue, n’ont tissé qu’un fil ténu, très subjectif entre les robes réalisées qui sont «chacune une œuvre en soi. Et pourtant, nulle revendication d’ego, de personnalité dans ces créations, où le travail s’est fait à quatre, six ou deux mains, sans qu’il y ait appropriation du travail», tient à souligner Sakina M'sa. Ce que confirme Marta, Brésilienne, qui a travaillé avec Malika, originaire du Maroc, et Sarah, originaire du Cameroun. Sarah qui a «customisé» un boubou de son mari devenu une robe, haut plat et jupe plissée. Une robe manifeste, avec la mise en évidence des slogans imprimés sur l’étoffe en référence à la journée internationale de la femme: «Centre des grandes ambitions», peut-on lire sur le col…
Un peu plus loin, des robes qui font penser aux créateurs japonais du début des années 80. Ou cette énorme fleur de tournesol née d’un polo déchiqueté et venue orner l’épaule d’une robe. Ou encore le drapé d’une manche qui fait penser aux «manches à crevés» de la Renaissance… mais toujours, un liseré rouge, «qui signifie l’excellence, qu’on retrouve, visible ou invisible, sur tous les vêtements et qui est la signature de l’atelier de Sakina M'Sa ». Ce que retient celle-ci de l’exposition, «c’est le côté très astucieux dans la manière de faire revivre un vêtement (…) et je crois qu’aujourd’hui, nos vêtements, on ne va plus les jeter: on sait que le pantalon peut devenir une robe, la chemise une jupe … »
Restait à «habiter» ces robes... Mais pas par n’importe qui ni n’importe où. Sakina M’Sa habite Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, «un département où il n’y a pas que des voitures qui brûlent ou des jeunes qui volent les sacs», ironise la styliste qui a demandé à huit jeunes du 93 de porter les vêtements créés. Là aussi, la contestation et la créativité sont au rendez-vous, comme en témoignent les photos de Benoît Péverelli: un jeune homme, Oussama, porte une robe, ce qui a été prétexte à «une discussion passionnante sur la féminité, sur la femme dans le quartier»,précise Sakina. Tandis qu'une jeune femme a tenu à poser sur le pont «Marie-Claire» à Bobigny, en référence à la jeune fille jugée pour avoir avorté et dont l’acquittement, en 1972, avait été une étape décisive pour le droit à l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse.
D'autres photographies, celles de Séverine Maublanc, qui a accompagné tout au long le processus de création de l’atelier. L’exposition se referme sur une galerie de portraits, ceux des treize femmes qu'elle a photographiées. Des portraits sur fond noir, au grain très sensible, inspirés par ceux de la Renaissance, dans la position des mains, la lumière et le rendu des couleurs et des textures. Des photos à la fois magnifiques et sobres. Sous chacune, les femmes ont inscrit leur nom à la main.
Réinsérer le tissu social
«Avant j’étais couturière classique, maintenant je sais que je peux jouer avec les matières, les couleurs, explique Malika, qui a appris la couture à 13 ans dans son pays d'origine, le Maroc. Et avec cette exposition au Petit Palais on a de la chance». D’autant plus que Malika fait partie des trois «héroïnes» embauchées par la société de Sakina M’Sa, à l’issue de l’aventure. Trois autres ont aussi trouvé du travail et sept se sont inscrites à des cours de français en attendant, pour quatre d’entre elles, de monter un restaurant de cuisines du monde.
Pour le Musée des Beaux arts de la ville de Paris, qui a accueilli et porté L’Etoffe des héroïnes, «c’est un événement important mais dans une aventure longue, commente Gilles Chazal, Conservateur général et directeur du Petit Palais. Une aventure qui s’est déjà traduite par des actions du musée en direction de zones d’éducation prioritaire (ZEP), dans le but de favoriser l’accès du public le plus large possible au musée. L’exposition L’Etoffe des héroïnes revêt à cet égard une importance particulière, puisque par le biais de l’association Daïka, la maison de couture d’insertion de Sakina M’sa, elle est le fruit d’un partenariat multiple avec notamment la Délégation à la politique de la ville et de l’intégration, le conseil régional de Seine St-Denis et la fondation Emmaüs.
Comme le dit Sakina M’Sa : «Le vêtement est une sorte de passerelle entre soi et les autres» ….