Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Style

Made in Chambord : du château au logo

par Danielle Birck

Article publié le 03/08/2007 Dernière mise à jour le 03/08/2007 à 10:41 TU

DR

DR

Qu’y a-t-il de commun entre une botte d’asperges, un aspirateur, une automobile ou un Boeing 707 ? Réponse : Chambord. Le célèbre château Renaissance érigé en bord de Loire par François 1er est en effet devenu au fil du temps une référence, un faire-valoir pour des produits et des marques. Comment le «château de rêve» - qui a servi de décor au film Peau d’Ane de Jacques Demy - est-il devenu un «logo» avant l’avènement de l’ère du tout marketing ? L’exposition Made in Chambord, présentée au château jusqu’en mai 2008, propose un regard décalé sur ce phénomène assez unique de notoriété.

Le ton est donné d’emblée avec cette véritable Simca Chambord de 1961 présentée  dans une boule neigeuse géante dans la cour d’entrée du château. La Vedette Simca est la première voiture française de luxe produite en grande série.  En choisissant des noms de châteaux pour les différents modèles, Versailles, Chambord, Marly, etc,  le constructeur s’affirmait comme marque bien française, même si les voitures empruntaient leurs lignes aux belles Américaines. Symbole national, la  Simca Chambord deviendra voiture présidentielle, mais sa production cessera au début des années 1960 faute de succès commercial …

(Photo : Danielle Birck / Rfi)

(Photo : Danielle Birck / Rfi)

La voilà donc, quelque 40 ans plus tard, sous sa coupole de plexiglas et sur son tapis de neige, objet du souvenir et de la nostalgie pour les uns, découverte du passé pour les autres. Car cette exposition, comme l’explique Philippe Martel, directeur général du domaine de Chambord,  «peut plaire aussi bien à des spécialistes qui trouveront de quoi réfléchir au rapport entre le nom d’un lieu et l’utilisation qui  en est faite, qu’au grand public qui y trouvera beaucoup de souvenirs d’enfance ou d’adolescence : des chocolats, des boissons, des publicités … une exposition un peu madeleine de Proust ».

Inventaire à la Prévert

Madeleine de Proust, mais aussi inventaire à la Prévert. Cafetières,  cigares,  bières, aspirateurs, voire cercueils : il y a des milliers de produits qui ont, soit  adopté le nom de Chambord, soit utilisé l’image de Chambord pour leur publicité, « et nous aurions pu faire un appartement 100% Chambord, de la moquette aux prises électriques, en passant par les tables, les chaises, les lits, les draps… », souligne Philippe Martel. C’est avec un inventaire à la fois interminable et  hétéroclite, des objets et produits relevant davantage du grand magasin que du musée, qu’il a fallu concevoir une exposition « artistique ». Un défi relevé par les scénographes, Jean Christophe Pons et Dany Gandin, qui sont partis d’une vision très Pop Art du sujet, avec « des modes de représentations du Pop Art, à savoir l’accumulation, l’image reproduite, la déclinaison répétitive des images ». Comme, dans la première salle de l’exposition, ces quelque 150 cartes postales offrant des vues différentes du château présentées en une immense mosaïque, sous sa cloche transparente – une structure gonflable, qui renvoie à la boule souvenir. Accumulation aussi, dans cette première salle, des objets souvenirs, histoire «de confronter le visiteur à sa propre expérience de touriste, de l’organisation du voyage à l’achat du souvenir »,  indique Jean-Christophe Pons. Accumulation encore, cette fois de produits du quotidien – aspirateurs, cafetières, interrupteurs, yaourts, robinets, laines à tricoter, voitures d’enfant – dans la dernière grande salle « Chambord à tout prix ». Objets présentés dans un amoncellement de caisses d’emballage en bois.  

© Collection Domaine national de Chambord

© Collection Domaine national de Chambord

Il y a aussi beaucoup d’objets à fort pouvoir évocateur, à fort pouvoir de mémoire, comme ce cabinet qui reproduit sur les murs de son espace exigu un album Panini, du nom de ces albums destinés à recueillir les images et vignettes trouvées dans les paquets de biscottes, de biscuits,  ou les tablettes de chocolat… La fidélisation de l’acheteur passe par l’enfant que les marques apprennent très vite à courtiser. Le château de Chambord revient souvent dans ces collections qui déclinent les châteaux de la Loire, les châteaux de France ou encore l’histoire de France. Enfance encore dans ces cahiers Chambord ou dans les images d’Epinal des anciens livres d’Histoire, « ce sont des objets qui jouent sur la corde sensible du souvenir et qui nous permettent d’entamer le dialogue avec le visiteur », souligne Jean-Christophe Pons.

La vie de château

Mais le château de Chambord, c’est aussi le rêve, le luxe et la tradition made in France. La démesure et  l’exaltation  de son architecture – la forêt de tourelles et clochetons qui ornent la toiture en font un site unique et immédiatement identifiable – sont celles d’un jeune roi de 25 ans qui veut donner au monde un témoignage de ses deux passions : la chasse et l’architecture. Nourri des poètes latins et italiens, de la littérature courtoise et des romans de chevalerie, fasciné par les artistes italiens – peintres, ébénistes, orfèvres, jardiniers –, baigné de culture humaniste,  François 1er « père des arts et des lettres » incarne le prince de la Renaissance. Un héritage de beauté, de luxe et de confort, d’art de vivre qui s’exporte, notamment aux Etats-Unis,  avec de la vaisselle ou du mobilier "made in Chambord" …

(Photo © Collection Yvon Lefranc)

(Photo © Collection Yvon Lefranc)

Une image qui s’exporte via les airs avec Air France qui en 1956  baptise ses Boeing 707 de noms de châteaux, dont bien évidemment celui de Chambord. Décliné sur les menus ou sur des panneaux décoratifs, il vante la qualité et le raffinement du service à bord et participe de l’exportation de l’image d’une France des monuments, de la gastronomie et du tourisme.Chambord sur mer, également : en 1954 la société maritime des pétroliers BP commande une flotte de dix navires aux Ateliers et chantiers de France à Dunkerque. Ils porteront les noms des châteaux de la Loire et  le premier tanker à sortir des chantiers s’appellera … Chambord ! Comme le paquebot des Messageries Maritimes, qui dans les années 1920,  emmenait ses passagers en Asie, ou encore comme  la salle de restaurant du  France.

Démarche ethnologique

L’organisation de cette exposition  pas comme les autres a été confiée à une ethnologue. Car pour comprendre pourquoi et comment Chambord est devenu objet de représentation, il fallait, explique Valérie Perlès, « aller à la rencontre de ceux qui ont utilisé Chambord comme une marque, pour voir ce qu’ils mettaient derrière et comment c’était reçu par leurs clients. Et c’est à partir de l’analyse de ces discours que différentes thématiques se sont dégagées qui ont structuré l’ensemble de l’exposition".  Une enquête et une recherche qui ont suscité des vocations : « Il est amusant de constater qu’une démarche rétrospective, sur les produits et  les marques a abouti à la création de nouveaux produits… C’est un joli clin d’œil ! », conclut la commissaire de l'exposition. C’est ainsi qu’un grainetier a sorti des sachets de graines pour les jachères fleuries qui décorent les abords du château, et un fabricant de voitures miniatures un coffret spécial Chambord…

Quant aux produits et objets exposés, dont la plupart ont été achetés  par le domaine de Chambord, Valérie Perlès souhaiterait « qu’ils fassent partie des collections du château, constituent un fonds documentaire, iconographique qui puisse être consulté par le public ». Un point de vue que semble partager le directeur général du domaine de Chambord, Frédéric Martel, qui «(se) demande si une partie de l’exposition ne pourrait pas demeurer à Chambord, car c’est très particulier »…

(Photo : Danielle Birck / Rfi)

(Photo : Danielle Birck / Rfi)