Design & environnement

SO WATT ! du design dans l’énergie

par Danielle Birck

Article publié le 14/08/2007 Dernière mise à jour le 14/08/2007 à 14:38 TU

© DR

Face aux enjeux des économies d’énergie, comment adopter un comportement plus raisonné alors que l’électricité on ne la voit pas, elle est invisible, impalpable? Rendre visible le flux de l’énergie électrique et sa consommation pour mieux les maîtriser, à l’échelon individuel ou collectif, c’est précisément l’objectif que se sont fixé les designers dont les réalisations ou projets sont actuellement présentés à l'occasion de l'exposition So Watt ! du design dans l’énergie, qui se tient à la fondation Electra à Paris. Un lieu symbolique puisque c'était dans ce bâtiment du 7ème arrondissement de la capitale que s’effectuait la transformation du courant électrique de haute en basse tension pour le distribuer aux habitations alentour. Un bâtiment centenaire qui abrite depuis quelques années des manifestations artistiques, dans le cadre de la politique culturelle de la fondation EDF (Electricité de France), basée sur la solidarité environnementale. Un lieu propice à une remontée dans le temps comme y convie la collection d’affiches exposées à l’entrée de l’exposition.

On peut voir au fil d’une petite dizaine d’affiches, l’évolution de la représentation imagée de l’électricité. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, c’est le règne de « la fée électricité », comme cette déesse survolant la ville de Grenoble en jetant des pièces d’or sur la ville, ou cette femme qui vole, une torche électrique dans la main, tandis que des angelots sont en train de téléphoner, avec un télégraphe….Nous sommes en 1889. « Une vision magique, avec au fil du temps un certain désenchantement, un appauvrissement ou même une absence de représentation qui amène à cette question : cette absence n’est-elle pas liée à une certaine indifférence vis-à-vis de ce bien », s’interroge Stéphane Villard, designer à la Direction Recherche et Développement d’EDF et commissaire de l’exposition. Suivent des représentations plus scientifiques.  EDF est créé en 1946 et l’électricité s’incarne en fait davantage au travers des équipements qui en permettent la production et le transport: des affiches de pylônes, de barrages, puis au travers des équipements électroménagers, « électricité étant devenu synonyme de confort », souligne Stéphane Villard.

Avec une date importante dans l’évolution de l’électricité dans l’habitat : 1963 qui marque l’arrivée du « compteur bleu » qui  incarne « la puissance disponible pour tous,  la fin des coupures dues à l’utilisation  d’un grand nombre d’appareils ».

Notre énergie quotidienne

Cet objet permet de suivre sa consommation d'électricité. Allumer, éteindre ou laisser en veille des appareils se lit instantanément sur «Wattson».
© Toby Summerskill

On estime qu’il y a aujourd’hui en France 450 millions d’appareils électroménagers, pour quelque 23 millions de foyers.  Un peu d’arithmétique, et on arrive à une moyenne d’une petite vingtaine  d’appareils électro-domestiques par foyer, du réfrigérateur au micro-ondes, en passant par l’aspirateur, le rasoir et le sèche-cheveux.  

Entre temps on est passé de la douille en bois au plafond à la prise murale, puis aux prises multiples, du coupe-circuit à l’interrupteur. On peut voir, dans cette remontée dans le temps, cette fois du côté des objets, une des premières prises multiples, datant de 1940 : elle est  en bakélite et permet de brancher trois appareils en même temps.

Et justement, les designers ont beaucoup à dire sur cet objet familier, devenu symbolique de la multiplicité des appareils électriques utilisés dans la maison. Et nous aider à voir un peu plus loin que les trous de la prise, comme  ce projet d’un américain, Giffin’Termeer, qui a imaginé une multiprise en forme de cargo, de 80 cm de long, sur laquelle sont branchés tous les chargeurs des petits appareils électriques portatifs comme les baladeurs MP3, les téléphones, les réveils …Une manière de souligner « toute l’infrastructure qu’il y a derrière ces appareils, ces objets de  notre quotidien en apparence anodins : ce cargo évoque en fait les transporteurs qui chargent jusqu’à 9000 containeurs de 12 mètres de long chacun, avec tous ces produits qui viennent de Chine… », précise Stéphane  Villard. Une infrastructure elle-même grosse consommatrice d’énergie….

So Watt ! … So What ?

Alors, qu’est-ce que le monde du design a à dire sur la politique énergétique ? Le service Recherche et Développement d’EDF a mené l’enquête auprès de différentes structures : agences,  indépendants, écoles, associations, ONG,  pour identifier un certain nombre d’acteurs et de projets intéressants autour de cette problématique de la maîtrise énergétique. Avec une question : comment adopter un comportement plus raisonné alors que l’électricité est devenue quasi invisible dans l’habitat ? « On va rencontrer deux catégories de projets, précise Stéphane Villard. Des projets soit qui symbolisent la présence de l’électricité, soit qui matérialisent et indiquent le flux de l’électricité qui est consommée ».

Les pétales de la «Flower lamp» changent de forme en fonction de l'énergie utilisée par l'ensemble de l'habitation.
© STATIC!

Dans la Flower Lamp, ce n’est pas seulement la lumière qui évoque l’énergie, mais la forme même de l’objet qui témoigne de l’énergie utilisée : cette lampe en forme de fleur s’ouvre quand la consommation globale de l’habitat aura été faible au cours des trois derniers jours, et se ferme lorsque la consommation est importante. «Donc si on veut que la fleur s’épanouisse, il faut changer de comportement », conclut Stéphane Villard.  Dans le même ordre d’idée, un projet assez étonnant : des carreaux pour le mur de la salle de bain, dont les motifs bleutés, réalisés avec une encore thermochromique,  vont s’effacer sous l’action de la chaleur : « vous sortez de votre douche où vous vous êtes un peu trop attardé et tous les carreaux de votre salle de douche sont blancs ». Qu’on ne s’inquiète pas, les motifs réapparaîtront lorsque la température aura baissé…  

Ou encore cette multiprise d’apparence assez banale, mais dont le câble d’alimentation s’allume avec une lumière bleutée dont l’intensité va varier d’intensité en fonction de ce que consomme l’équipement qui y est relié, et quand la consommation est importante on voit comme de petits électrons passer le long du fil... un projet qui,  comme les deux précédents, a été réalisé par un groupe de recherche suédois appelé STATIC !,  une association entre un institut de recherche et une agence  de l’énergie locale.

Chère veille

Le service R&D d’EDF a fait le calcul que la consommation cumulée de toutes les veilles dans les habitats, dans les 23 millions de foyers français, est équivalente à la consommation annuelle d’un million de foyers. En faisant attention on pourrait donc faire des économies importantes. C’est précisément l’objectif de ce « coupe veille »,   une multiprise « intelligente » qui va déceler lorsqu’un appareil n’est pas utilisé et émettre alors sur sa partie supérieure un petit flux lumineux  qui indique symboliquement la fuite d’énergie qui est en train de s’opérer, et c’est la multiprise qui va se charger de l’appareil en question si son utilisateur ne le fait pas. Un projet du Centre de design intégré  d’EDF qui permettrait en fait de diviser par deux la consommation annuelle des équipements. 

Ce sac, composé de cellules photovoltaïques, permet de recharger des petits appareils comme le téléphone portable, le lecteur mp3 ou encore l'appareil photo numérique.
© Solarjo

Des dispositifs qui sont « en quelque sorte le miroir de nos comportements en matière d’énergie électrique», conclut Stéphane Villard. « Demain, en fait, pour pouvoir comprendre la répartition de la consommation dans l’habitat, il y aura des interfaces qui vont nous donner une indication détaillée sur ce que consomme chaque appareil, sur les jours de plus forte consommation. Une information susceptible d’amener à modifier son comportement, mais aussi à choisir des équipements plus performants au niveau énergétique ». Et cela, par le biais d’interfaces au design à la fois efficace et attractif,  « un peu comme la sophistication des tableaux de bord des voitures qui ont intégré de plus en plus de données ».  

L’électricité ne se stocke pas à grande échelle, elle est produite en continu, en temps réel, en fonction de tous nos besoins. Ceux-ci variant au cours de la journée, avec des rythmes et des pointes de consommation et c’est lors de ces dernières que l’impact environnemental est important. Si la réflexion est engagée au niveau du tertiaire et de l’industrie (pour réduire les coûts de production), elle l’est beaucoup moins ou pas au niveau de l’habitat.  D’où l’intérêt accordé dans l’exposition à l’espace privé, domestique, qui en France représente 31% de l’électricité consommée.  

Paysages énergétiques

Ce luminaire sans fil recharge ses batteries à l'aide de 36 mini panneaux solaires.
© Damian O'Sullivan

Comme il n’existe pas de moyen idéal et unique pour produire de l’électricité à grande échelle, tous les acteurs s’accordent à dire qu’il y aura demain une grande diversité de technologies utilisées : du nucléaire, de l’éolien, du solaire. « Et surtout, une pluralité d’échelles, souligne Stéphane Villard. Les bâtiments produiront leur propre énergie, certains objets deviendront de plus en plus autonomes, et ce sera l’ensemble de ces solutions complémentaires qui permettra de répondre aux besoins ».

Là aussi, les designers se sont penchés sur la question, toutes échelles confondues.  Du cargo tracté par un grand parapente au sac à main en peau photo voltaïque qui permet de recharger des petits appareils comme un téléphone portable ou un lecteur MP3 à l’intérieur. Du lampion portable au dispositif qui permet d’utiliser l’énergie développée dans une salle de sport pour y recharger des appareils…

Quant au projet italien de la statue de la liberté transformée en éolienne, s’il  apparaît complètement utopique, il n’en a pas moins été élaboré à partir d’études sur la résistance de la structure d’Eiffel à l’éventuelle installation d’une éolienne de 34 m de diamètre… 

Installer une éolienne géante sur la Statue de la Liberté, telle est la proposition utopique proposée dans ce montage.
© Positive Flow