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Architecture

Du Musée des Colonies à la Cité de l’Histoire de l’Immigration

par Danielle Birck

Article publié le 09/10/2007 Dernière mise à jour le 09/10/2007 à 19:04 TU

Façade du Palais de la Porte-Dorée.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Façade du Palais de la Porte-Dorée.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Installer la Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration dans des murs édifiés à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931 : tout un symbole pour un lieu dont l’ambition affichée est de faire bouger les mentalités sur l’immigration en France. Un défi aussi à traduire sur le plan de l’architecture : transformer un édifice monumental et pompeux, tout à la gloire de la colonisation, en un lieu ouvert et lumineux, polyvalent et accueillant, dans les limites d’un site classé monument historique.

Spectaculaire, l’exposition coloniale internationale de 1931 visait à montrer les bienfaits de la colonisation dans son ensemble et à promouvoir l’empire colonial français, un empire à son apogée, 22 fois plus grand que la France « métropolitaine ». D’ailleurs, si l’exposition coloniale a été repoussée à 1931, c’est pour ne pas gêner les célébrations du centenaire de l’Algérie française – montrée comme modèle de réussite coloniale -  tout au long de l’année 1930. La colonisation et ses bienfaits étaient alors pour les puissances coloniales une évidence politique incontestée, même si du côté des peuples colonisés cette certitude commençait à se fissurer… 

Le temple de la colonisation

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Le Palais de la Porte-Dorée devait incarner cette vision du monde. Sa construction est confiée à l'architecte Albert Laprade. Rien d’étonnant dans ce choix, puisque Laprade a été, une dizaine d’années auparavant, adjoint de l’urbaniste du général Lyautey, le grand militaire des guerres coloniales en Indochine, à la fin du XIXe siècle, et premier commissaire-résident général du protectorat français du Maroc. Lyautey, devenu entre temps maréchal, à qui a été confiée l’organisation de  l’exposition coloniale de 1931.

Laprade conçoit un édifice aux lignes sobres et aux dimensions imposantes, avec une façade Est ornée de colonnades et d’un bas-relief de plus de 1000 m2, représentant l’abondance et les richesses matérielles que les colonies ont apporté à la France. Tandis que la fresque monumentale qui orne la salle centrale du palais évoque les apports intellectuels et moraux de la France à ses colonies : science, liberté, justice, etc. La façade Ouest arbore une inscription « A ses fils qui ont étendu l’empire de son génie, et fait ainsi aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante », une dédicace, suivie des noms des grands conquérants et colonisateurs français, depuis les croisades et Godefroy de Bouillon… 

Tandis que le bois de Vincennes tout proche accueille des reconstitutions de villages et habitats  « indigènes », de véritables « zoos humains », comme ce village kanak (dont Didier Daeninckx tirera un court roman Cannibale, en 1998). Sans oublier l’exotisme de la faune aquatique  des colonies, qui déploie ses formes et ses couleurs dans l’aquarium tropical installé en sous-sol, élément inamovible du décor qui continue d'ailleurs à émerveiller les enfants des écoles …

Après l’expo….

Une des vitrines de l'exposition permanente.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Une des vitrines de l'exposition permanente.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Si les constructions éphémères de l’exposition coloniale ne survivront pas à la manifestation, son pavillon d’accueil, le Palais de la Porte-Dorée, avait été prévu lui, pour durer et devenir un musée permanent des colonies. Ce qu’il sera effectivement, sous des appellations successives (Musée des colonies et de la France extérieure, Musée de la France d’Outre-mer…), jusqu’aux années 1960. Avec les indépendances des anciennes colonies françaises, le Musée risque la désaffection.

André Malraux, ministre des Affaires culturelles décide d’en faire un lieu chargé  de promouvoir les arts et les cultures d’Afrique et d’Océanie. Le Palais de la Porte-Dorée devient le Musée des Arts africains et océaniens et le restera jusqu’en 2003, date à laquelle il ferme ses portes et ses collections iront nourrir le musée du quai Branly, inauguré en juin 2006 par Jacques Chirac. C’est en juillet  2004 que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, annonce la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et son ouverture prévue pour l’été 2007.

Entre temps le palais aura abrité les manifestations organisées par l’Institut français d’architecture (IFA) en attendant l’emménagement dans  la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, au Trocadéro.

Le choix du lieu pour le futur « musée de l’immigration » ne s’est pas fait sans débat au sein du Conseil scientifique chargé de son élaboration. La destination première du Palais de la Porte-Dorée risquait de brouiller le message de la future institution, le paternalisme et les stéréotypes hérités de la période coloniale étant loin d’avoir disparu des comportements et de l’inconscient collectif français, alors que le but du musée est précisément de les battre en brèche. Mais une fois la décision prise d’installer l’histoire de l’immigration dans le temple du colonialisme, il fallait procéder avec l’architecture comme avec les idées : opérer un renversement. Patrick Bouchain allait s’y employer.  

« On ne construit rien et on ouvre »

Patrick Bouchain.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Patrick Bouchain.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Pour Patrick Bouchain, donner à un édifice une autre destination que celle pour laquelle il a été conçu, correspond à la fonction même de l’architecture  qui est de « recycler ». Mais pour cet habitué des transformations de friches et bâtiments industriels en lieux culturels, le recyclage du Musée des colonies revêtait un caractère un peu particulier, puisque Albert Laprade, l’architecte du Palais de la Porte-Dorée, était le président du jury qui lui avait décerné en 1966 son diplôme d’architecture. Alors pour ce premier bâtiment parisien sur lequel  Patrick Bouchain était amené à intervenir, il s’est aussi demandé « ce qu’aurait fait Laprade s’il avait été chargé lui-même de le mettre  au goût du jour ».

Eclairage naturel dans l'exposition permanente.(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Eclairage naturel dans l'exposition permanente.
(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Le goût du jour c’est aussi celui de toujours de Bouchain pour des structures ouvertes et modulables, avec en l’occurrence pour mot d’ordre : « On ne construit rien et on ouvre ». Une ouverture sur l’extérieur, sur la façade arrière du bâtiment avec des baies vitrées et des terrasses d’agrément et des escaliers en bois. Ouverture aussi à l’intérieur avec l’imposante salle des fêtes qui s’est transformée en « place publique » toujours éclairée par la verrière zénithale et rendue plus lumineuse par l’ouverture de fenêtres sur la galerie supérieure où seront installés les bureaux « pour que la partie administrative du bâtiment soit en lien avec le public » précise Patrick Bouchain. Une « place publique » où les visiteurs pourront pique niquer s’ils le souhaitent, grâce à un plancher modulable qui permet des petits espaces de convivialité, à l’abri de parasols...  Lumière encore, avec l’ouverture de lanterneaux,  dans la partie latérale de l’exposition permanente, Le  « goût du jour » c’est aussi la correction thermique apportée au bâtiment avec des parois doublées de bois, un chauffage par le plafond, et une réhabilitation des parquets.

Ce « renversement architectural » c’est aussi le juste prix : « 800 euros au m2 contre 1100 en moyenne pour le logement social, précise Patrick Bouchain. Car il n’y a pas de raison que le lieu culturel coûte plus cher que le logement social ». Et de conclure « si les lieux culturels étaient moins sophistiqués, on s’y sentirait davantage en liberté ». Alors, la Cité  nationale de l’histoire de l’immigration, un lieu de liberté ? le défi est à relever.

Salle des fêtes réaménagée en place publique.(Photo : Marion Urban/ RFI)

Salle des fêtes réaménagée en place publique.
(Photo : Marion Urban/ RFI)