par Danielle Birck
Article publié le 16/10/2007 Dernière mise à jour le 16/10/2007 à 12:44 TU
Archéologie et cuisine
Si certains font naître la France avec Clovis, parce qu’il ancra le royaume dans la chrétienté, d’autres avec Vercingétorix, le défenseur de la Gaule face à l’empire romain, en matière de cuisine, Anne Flouest et Jean-Paul Romac ont résolument opté pour le second. La géologue, passionnée d’archéologie et de cuisine, et l’artiste plasticien, cuisinier autodidacte, ont uni leurs savoirs et talents pour nous faire découvrir les saveurs de la cuisine gauloise.
Dans La Cuisine gauloise continue, édité par Bibracte & Bleu Autour, les auteurs proposent près de 300 recettes illustrées, élaborées avec les seuls ingrédients et ustensiles de l’époque dûment authentifiés par les archéologues. Une cuisine « originale et goûteuse » garantissent Anne Flouest et Jean-Paul Romac. Et vraiment gauloise ? « On dira que oui, répondent-ils, puisqu’elle nous transporte 2000 ans en arrière ». A l’origine de l’aventure, l’oppidum gaulois de Bibracte, dans l’est de la France, site majeur de l’archéologie celtique qui abrite un musée, un centre de recherche européen et … un restaurant, gaulois, bien sûr !
Une histoire de la table
Avec A table ! La fête gastronomique, Anthony Rowley ne remonte pas si loin dans l’histoire de la cuisine. Dans cet ouvrage (un classique) publié chez Gallimard, dans la collection Découvertes, l’historien, passionné de l’art de la table, propose un parcours culinaire du Moyen Age à la dite « nouvelle cuisine ». Si on hésite à parler de « cuisine » à propos de la soupe du Moyen age, « plat unique mitonné toute la journée dans la cheminée, et servi accompagné de pain, en général dur, rarement blanc, écrit Anthony Rowley, pourtant, il existe une grande cuisine médiévale, celle des festins donnés par les maisons princières ». On apprend au passage que le mot « soupe » apparaît pour la première fois dans la chronique du règne de Childéric 1er, père de Clovis…
Quelques siècles plus tard, bravant guerres et famines, et enrichi des denrées rapportées d’Amérique ou de Chine, l’art culinaire devient « une sorte de langage commun à l’Europe entière, dont la grammaire serait écrite à Versailles ». Au XVIIIe voltaire et Rousseau s’affrontent (aussi) dans le domaine de la cuisine : tandis que le gourmet Voltaire invite ses amis à goûter un « dindon aux truffes », la critique sociale affleure dans la dénonciation par Rousseau d’une sophistication culinaire allant à l’encontre des rythmes de la nature. Une « nouvelle cuisine » qui refleurira au XXe siècle.
Le restaurant, une invention française
Voltaire, ainsi que les révolutionnaires Danton et Robespierre, fréquenta Le Procope. Ce lieu fondé en 1686, présenté comme le plus ancien café de Paris, est devenu un restaurant qui accueille encore aujourd’hui dans son décor XVIIIe siècle parisiens et touristes. Dans son ouvrage Mémoires du restaurant, Histoire illustrée d’une invention française, aux éditions Aubanel, François-Régis Gaudry, se conformant à l’hypothèse la plus partagée, attribue la paternité du restaurant à un certain Boulanger. Un personnage dont on ne sait rien, « si ce n’est qu’il inaugura vers 1765 (…) à Paris, un commerce d’un nouveau genre. Au-dessus de la porte, une pancarte indiquait : Boulanger débite des restaurants divins ». Par « restaurants » il faut entendre des « bouillons restaurants » à base de viande, mais Boulanger servait aussi des ragoûts…
Cuisine du pauvre et cuisine bourgeoise
… Justement, en parlant de ragoût, les Nourritures Canailles de Madeleine Ferrières, publié au Seuil, propose une généalogie des racines de la cuisine française, en faisant appel à la mémoire collective. Car si l’on dispose de documents sur la manière dont mangent le roi et les princes, les seigneurs et les négociants, quand la « gastro-histoire » se penche sur la nourriture du peuple, hormis les temps de fêtes ou de famine, les informations se font rares. La « nourriture canaille », comme l’entend l’auteure, « n’est pas seulement celle du bas peuple, ce peuple grossier que l’on commence au XVIe siècle à appeler populace ». Car, comme le fait remarquer Madeleine Ferrières, « les mangeurs de pain blanc et d’alouettes rôties tâtent aussi de la nourriture canaille, et pas seulement en année fâcheuse. Ces nourritures deviennent leur ordinaire en certaines circonstances ». A commencer par l’enfant noble ou bourgeois confié à une nourrice paysanne… Sans oublier que ce que l’on considère comme la bonne cuisine bourgeoise était en réalité à ses origines, la cuisine du pauvre.
La France à l’heure des repas
Si quelques œuvres de peintre peuvent renseigner sur les habitudes alimentaires du peuple (encore ne faudrait-il pas interpréter de manière misérabiliste, comme on le fait souvent, les intérieurs paysans d’un Le Nain), la photographie représente sur ce plan un atout considérable, notamment, à partir des années 30, avec les photographes « humanistes » comme Edouard Boubat, Robert Doisneau ou Willy Ronis. Rien d’étonnant à ce qu’ils figurent en bonne place dans le recueil de quelque 60 photos publié sous le titre A table, aux éditions de La Martinière. Des photographies en noir et blanc, qui des cafés 1900 aux fast-food des années 1980, en passant par les deux guerres et le Front populaire, dressent un portrait de la France à l’heure des repas.
L’écrivain et universitaire Noëlle Châtelet commente certains de ces moments incontournables de la vie sociale des Français. De la gamelle de l’ouvrier au souper de gala, en passant par le repas dominical, du dîner en famille – nombreuse dans ces années d’après guerre - autour de la table recouverte d’une toile cirée au pique-nique sur l’herbe, aux réfectoires des orphelinats, c’est tout un pan de l’histoire française qui est décliné par le biais de la table et de ce qu’on y sert. Une version collective de l'adage " Dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es"...