par Danielle Birck
Article publié le 27/12/2007 Dernière mise à jour le 16/01/2008 à 18:45 TU
Depuis bientôt quinze ans, entre campus universitaire, cités HLM, autoroutes et maison d’arrêt (et démêlées avec la municipalité), la Ferme du Bonheur, à Nanterre en Ile-de-France, est devenue un îlot de vie où cohabitent de manière créative plantes, animaux et hommes. A l’origine de ce lieu hors norme, Roger des Prés, personnage lui-même « hors norme », amoureux de la nature à la fois comédien, metteur en scène, organisateur en tous genres, « agriculteur de spectacles », selon la propre définition du créateur-fondateur de la Ferme du Bonheur.
Impeccable, l’itinéraire indiqué sur le carton d’invitation au « Dancing potage baroque de Noël » : c’est sans encombre que de Paris on est arrivé à la Ferme du Bonheur et qu’après avoir tourné une dernière fois à droite au panneau « Nanterre Université », on a longé la palissade blanche ornée d’un slogan – bientôt quarante ans plus tard, ça en rappelle d’autres – pour se retrouver, comme écrit sur le carton, devant la « porte en bois », surmontée d’une « cloche en bronze ».
« Soyez les bienvenus à la ferme du bonheur, la porte est grande ouverte… », dit la chanson. Ça vaut aussi pour celle de Roger des Prés. Nous sommes quelques-uns à en franchir librement le seuil en ce froid dimanche après-midi de Décembre et à trouver bien vite l’entrée du « favela-théâtre » où un feu dans la (très vaste) cheminée, du vin chaud et du thé à la menthe attendent les visiteurs.
Efficacité et charme de la récupération
Le « favela-théâtre » a été construit avec des poteaux électriques de récupération, une toiture en tôle ondulée, sur des plans dessinés par l’architecte Patrick Bouchain, qui soutient l’aventure de la Ferme du Bonheur : « Roger des Prés est un artiste. Son acte artistique est libre, il lui permet de faire ce que d’autres, comme moi, ne peuvent pas faire ».
Une fois réchauffés, et en attendant le concert de musique baroque, il est temps d’aller faire le tour de la « ferme » et de ses habitants de tous poils et plumes : un âne, des chèvres, des oies, des poules, des canards, des chats… Il y a aussi un cheval, qu’on a cherché en vain dans les écuries. Pas très loin du pigeonnier, un feu en plein air est une bonne surprise, devant une grande tente de Nomade sous laquelle sont disposés des matelas pour s’asseoir.
Cette tente, la Khaïma, sert l’été à « transporter » un peu de la ferme au cœur des cités de logements sociaux de Nanterre, dans ce qui va réussir à s’imposer comme un projet « Politique de la Ville ». Un peu plus loin, des paquets commencent à s’amonceler dans des paniers au pied d’un petit sapin : les cadeaux apportés par les invités (leur seule contribution) seront redistribués plus tard par « le Père Noël privé de la ferme du Bonheur ».
L’heure est venue de prendre place pour le concert de musique baroque dans le « Parquet de bal », un grand espace vitré sur trois côtés, où face à une estrade où trônent un clavecin, et deux pupitres pour le violon et la viole de gambe, ont été disposés des sièges en tous genres (de la récupération, toujours) : sofas, fauteuils de cinéma à l’ancienne, transats, chaises, matelas…, le tout recréant une singulière unité. En dépit d’une arrivée d’air chaud au sol, il vaut mieux garder son manteau… à l’entracte, musiciens et visiteurs sont d’ailleurs invités à se rendre dans le « favela-théâtre » pour un vin chaud. Le concert sera suivi d’un dîner potage « mitonné dans la cheminée » et d’une « incontournable » bûche aux marrons, apparemment spécialité du maître de céans. Les cuisines sont installées dans une caravane.
Activités "agriculturelles"
Si la publication du livre de Roger des Prés, La Ferme du Bonheur, reconquête d’un délaissé/Nanterre (éditions Actes Sud) est un peu le prétexte de l’invitation de ce dimanche, celle-ci n’a rien d’exceptionnel. Les concerts de musique dominicale (rendez-vous mensuel), les spectacles de théâtre, créés par Roger des Prés, et la convivialité autour de la table d’hôte sont au programme permanent de la Ferme du Bonheur. Comme la fabrique du fromage de chèvre, le poulailler, les ruchers, le jardin potager, les arbres fruitiers. En fait, tout ce qu’aime Rogers des Prés : le spectacle, la nature, l’agriculture, le partage et la vie en communauté.
Mais tout cela n’a pas été facile à construire et surtout à inscrire dans la durée. Difficultés avec la municipalité, qui interdisait la venue du public, pour des raisons de non-conformité aux normes de sécurité, la tempête de 1999 qui ravagera la Ferme, la crise interne de l’association : Roger des Prés a bien failli jeter l’éponge… Mais, « Ma joie revient ! », pouvait dire Roger des Près, fin 2006. « Aujourd’hui, je peux considérer que la municipalité vient de faire les trois gestes que j’estimais justes pour nous réconcilier », écrit-il au dernier chapitre de son livre, avec une mise aux normes engagée et subvention de fonctionnement « digne des autres partenaires institutionnels (…) et surtout digne de l’œuvre que nous avons construite et des bénéfices qu’elle (la municipalité) en tire ».
Et aussi, et surtout, le consensus s’est fait sur la relocalisation de la Ferme du Bonheur dans le projet urbain du Grand axe de la Défense. Une délocalisation prévue de longue date, les 2500 mètres carrés du site actuel de la ferme représentant une réserve foncière dont la vente servira au financement de ce même projet d’urbanisme.
Le bonheur ... sera dans le PRÉ
Et voilà Roger des Prés qui se propose de tout reprendre à zéro et, comme « il est hors de question de prendre la ferme d’ici et de seulement la poser là-bas », s’attelle à un nouveau projet. « Ça s’appelle - en toute humilité – le PRÉ, Parc Rural Expérimental ». Il ne s’agit pas moins que de reconstituer, par-dessus un flux de 200 000 voitures par jour (grosso modo, la couverture des souterrains de deux autoroutes), un terrain de production agricole traditionnelle et d’aménager tous les espaces publics et techniques : du théâtre (forcément au centre) aux écuries et autres espaces dévolus aux animaux, en passant par les ateliers de fabrication divers, les bains publics, l’administration, etc. Nanterre changerait de visage et l’autoroute deviendrait bocage…
« Bon, allez, Roger, c’est fini, arrête de rêver – J’rêve pas, j’travaille !».
28/12/2007 par Yasmine Chouaki