par Danielle Birck
Article publié le 13/05/2008 Dernière mise à jour le 14/05/2008 à 10:49 TU
« Mon père ne s’est jamais remis de ce temps où il crut possible d’infléchir le cours de l’Histoire ». Fondateur du mouvement pro-chinois en France, Robert Linhart a également été l’initiateur du mouvement d’établissement dans les usines – son livre L’Etabli, publié en 1978 aux éditions de Minuit, relate sa propre expérience dans une usine Citroën. Réalisatrice de documentaires, Virginie Linhart a elle-même écrit un ouvrage sur le sujet, Volontaires pour l’usine. Vies d’établis (1967-1977), publié aux éditions du Seuil. Robert Linhart aura été une figure marquante et respectée de ces années (fin 1960/début1970) où comme l'écrit sa fille, « nos parents mettaient la politique avant tout ».
Virginie Linhart a quinze ans lorsque son père, brusquement, « disparaît » de sa vie. Un matin de printemps 1981 – peu de temps avant la victoire de Mitterrand à l’élection présidentielle - il a essayé de se suicider. Elle ne l’apprendra que quelques mois plus tard. « Ensuite, il a fallu vivre avec ça. Vingt-quatre années de mutisme paternel ont suivi ».
Rencontres avec les enfants
Virginie Linhart est donc partie à la recherche de souvenirs d’enfance, de l’explication du silence du père, mais aussi de l’héritage de mai 68, au travers des enfants de ceux qui l’ont fait. Sa première rencontre avec l’un d’entre eux est d’ailleurs le fruit du hasard : à l’occasion d’un examen médical le médecin qui l’accueille s’appelle Samuel Castro, fils de Roland, l’architecte, ancien étudiant aux Beaux-arts en 1968. Le père, elle le connaît bien ; le fils, elle le voit pour la première fois et apparemment « 1968 n’évoque quasiment rien pour Samuel, si ce n’est son père et sa bande de copains ». Un dîner les réunira tous les trois quelques semaines plus tard. ce premier contact dans l’intimité d’« un enfant de 68 », et la « liberté » de celui-ci « vis à vis de ce passé » agissent comme un révélateur pour Virginie Linhart. « Une chose simple, que j’avais complètement oubliée, absorbée par ma douleur de fille à la recherche d’un père perdu : derrière eux, il y a nous ».
Du « Nous » au « Je »
Alors, si une image du père, avec des aspects inattendus ou d’autres qui confortent sa propre vision, se dessine au fil des rencontres et témoignages, l’enquête de Virginie Linhart se déplace bien vite sur cette question de l’héritage de mai 68, au travers des enfants de ceux qui l’ont fait. Avec tout au long de subtils va-et-vient entre le mutisme de son père et la parole de ses propres "camarades", ces enfants de militants qui partagent avec elle une même expérience.
Celle qui, petite fille, a longtemps dormi sous un poster géant de Mao-tsé-Toung, serré dans ses bras une petite chienne qui s’appelait MLF (Mouvement de Libération des Femmes), chanté Le nouveau chant des partisans, écrit par Dominique Grange pour la Gauche prolétarienne, l’organisation maoïste où militaient ses parents, avoue s’être sentie « un peu solitaire » en écrivant ce livre. Il n’était pas question pour elle ni de liquider l’héritage de mai 1968, comme y appelait alors celui qui allait devenir président de la République, ni de l’encenser. Mais aussi de mesurer les différences d’une génération à l’autre. Celle de parents « totalement absorbés par la politique », le collectif et qui ont « un temps imaginé que tout était possible » et celle d’enfants inscrits dans une société où « l’on ne parle plus que de l’individu ».
Paradoxes
« Je suis dans un perpétuel marchandage intérieur entre les valeurs qui m’ont été inculquées petite et le monde dans lequel je vis actuellement », écrit Virginie Linhart. Elle n’est pas la seule à constater cet écart, qui se traduit notamment dans la manière dont ces enfants de 68 élèvent les leurs. Lamiel Barret-Kriegel, la fille de Philippe Barret et Blandine Kriegel, « n’en revient pas de passer tous ses samedis et dimanches au square pour que ses fils prennent l’air », alors qu’elle partage avec Virginie Linhart les souvenirs de week-ends entiers dans des pièces enfumées où leurs parents refaisaient le monde… Il faut bien en convenir : « nous les enfants, passions après la politique ». Mais c’était pour la bonne cause, pour un projet collectif , un monde plus égalitaire où adultes et enfants seraient plus heureux.
Ce sera d’ailleurs une constante chez beaucoup de ces enfants de 68, ce souci d’offrir à leur propres enfants un cadre de vie très réglé, très protégé du monde des adultes et de ses conflits : « Ce qui me frappe, c’est de constater à quel point nous avons tous adopté un mode de vie bourgeois et une éducation conformiste, non sans regret parfois », écrit Virginie Linhart.
Mais ces enfants de 68 avaient tout de même été dans l’ensemble à bonne école, celle de l’exigence d’excellence scolaire : « Nos parents voulaient mettre à bas l’ordre bourgeois, mais ils ne plaisantaient pas avec l’école de la République », souligne Virginie linhart.
Héritages
Les rencontres se succèdent. Avec René Lévy, fils de Benny Lévy – qui fut avec Robert Linhart à la tête de l’organisation maoïste de l’UJCml avant de devenir secrétaire particulier de Jean-Paul Sartre : il porte la kippa et a repris, après la mort de son père, le flambeau de l’institut d’études lévinassiennes à Jérusalem. Avec Mathias Weber, fils d’Henri - passé du « trotskisme au socialisme gouvernemental » - c’est presque une autre génération : né en 1981, pour lui « 1968, c’est déjà de l’Histoire, un sujet dont discutent entre elles les grandes personnes »… avec Eve Miller, fille de Jacques-Alain et Judith Miller (fille de Jacques Lacan) tous deux anciens militants maoïstes. Eve a gardé de ce passé la chanson de Dominique Grange et la passion du chinois ( ?!). Avec Julie, la fille de Costa Gavras, elle-même cinéaste qui signe un premier film intitulé C’est la faute à Fidel, où l’engagement des parents est vu par le regard de leur petite fille …
On ne les citera pas tous… Au final, « qu’avons-nous hérité au juste de cette aventure dans laquelle nous sommes tombés petits ? », demande Virginie Linhart. Elle ne peut pas vraiment répondre à cette question, sinon par bribes, comme les autres « enfants ». Mais la fille de Robert Linhart, au moment d’achever son livre, aura compris à quel point le silence de son père était la seule manière pour lui de continuer à vivre, « une mise en scène, pour sa tranquillité et la nôtre ». Et elle peut désormais l’assumer, ce silence.
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