par Marie Grézard
Article publié le 01/08/2008 Dernière mise à jour le 19/08/2008 à 15:31 TU
L’effet est saisissant et il fonctionne à chaque fois : à la sortie d’un virage, un peu avant la bourgade de Pontorson, la masse sombre aux détails encore indistincts du Mont Saint-Michel surgit avant de disparaître. Une apparition fulgurante. Planté au milieu de la baie, entre deux eaux, entre sables et prés salés. Au fil de la progression, on distingue une ligne de rempart, un arbre fiché dans la pierre brune, la flèche de l’abbaye… Et puis le parking : des centaines de voitures et de camping-cars dont les pare-brise renvoient en autant de flashes aveuglants le soleil de juillet.
Bienvenue dans la Manche, aux pieds du premier site français classé au patrimoine mondial naturel et culturel de l’Unesco, en 1979, le lieu le plus visité après la Tour Eiffel et le château de Versailles, avec plus de 3 millions de touristes par an et un taux de retour exceptionnel puisqu'un visiteur qui a déjà vu le Mont Saint-Michel est venu en moyenne 5,4 fois. 3 millions de visiteurs pour 20 habitants…
L’un des buts de l’exposition commandée par le Centre des monuments nationaux jusqu’au 11 novembre est de montrer que la spiritualité est un lien universel entre les cultures. 10 lieux du monde entier, en plus du Mont-Saint-Michel, tous classés sur la liste de l’Unesco (ou en instance de classement, comme le Mont Arafat en Arabie Saoudite ou Monte Gargano en Italie) au titre des biens communs de l’humanité ont donc fait l’objet d’un travail photographique de trois ans de la part de Jean-Michel Guillaud, journaliste reporter d’images à France 3. Un travail cofinancé par le centre des monuments historiques, la région Basse-Normandie et le département de la Manche.
Haut, bas, fragile…
A vrai dire, on a beau savoir qu’au sommet, quelques membres de la congrégation de la Fraternité monastique de Jérusalem résident dans l’abbaye, l’on se demande un peu, en empruntant la rue principale, où diable la spiritualité peut bien encore se nicher ici.
Les boutiques de souvenirs, les 18 hôtels-restaurants (dont les inévitables Mère Poulard) et les stands de restauration rapide ont envahi les deux côtés de l’étroite ruelle dans laquelle il est difficile de progresser tant la foule est dense. De part et d’autre, une orgie de reproductions du Mont-Saint-Michel en résine, en version neigeuse, enfermée dans des boules de plastique ou encore aplati sur des assiettes voisinent avec des épées en plastique, des Tours Eiffel de tous formats, des bérets, des porte-clés et même des préservatifs estampillés au choix « I love Paris » ou « I love Mont-Saint-Michel ». Une invraisemblable accumulation de "souvenirs", mais quel temple saurait se passer de ses marchands ?
Progressivement, cependant, la foule devient plus clairsemée - les commerces aussi, donc - démontrant ipso facto ce que l’exposition illustre : la spiritualité ou à défaut la tranquillité se conquiert par la sueur et à la force du mollet, au prix du dépassement de soi, voire de la crise cardiaque si l’on se fie au défibrillateur installé à mi-pente. L’ascension coupe le souffle et les jambes mais normalement, elle raffermit les consciences. Enfin, pas dans le cas de cette blonde pré-ado qui refuse malgré les -molles- exhortations de ses parents de grimper davantage : avant la sévère volée de marches menant à l’abbaye, le besoin d’une glace rafraîchissante dans un des cafés en contrebas a définitivement pris le dessus sur toutes les résolutions de départ, sous peine d’être « trop-dégoûtée-du-Mont-Saint-Michel-c’est-ça-que-vous-voulez ? ». Tout le monde descend… Le sacré, ça se passe en altitude, loin du plancher des vaches et d’où qu’ils soient, quelle que soit leur religion, les hommes ont choisi les splendides isolements montagneux pour ressentir ce que les Grecs appellaient le "tombos", ce sentiment comme une puissante bouffée d’une présence divine.
« La spiritualité n’est pas seulement catholique, apostolique et romaine » commente Nicolas Simonnet, l’administrateur de l’abbaye. « Si le Mont-Saint-Michel est une expression chrétienne d’une constante humaine qui est le besoin de s’élever, il existe de par le monde de nombreux autres sanctuaires qui servent les mêmes aspirations, dans toutes les autres grandes religions. C’est ce que nous avons voulu montrer. Outre cette communauté d’aspirations, cette exposition relie le Mont-Saint-Michel au reste du monde et souligne sa portée internationale. C’était le cahier des charges fixé par les Monuments historiques ». Dont acte.
L'esplanade de l'Ouest, au sommet de l'abbaye : un mur percée de photos comme des fenêtres.
(Photo : Marie Grézard/ RFI)
150 photographies de Jean-Luc Guillaud ont donc été choisies et émaillent le parcours. Sans que son impeccable travail photographique soit en cause, c’est surtout par l’utilisation de différents formats et par sa scénographie que l’exposition est intéressante. « L’idée était d’habiller et d’habiter l’abbaye, de lui donner de la couleur et de jouer avec l’échelle du lieu » poursuit Nicolas Simonnet. Pour cela, trois types de supports ont été utilisés : des bâches immenses imprimées en numérique, qui accueillent le visiteur par exemple le long du grand degré extérieur, dernier effort avant de pénétrer dans l’abbaye, des tirages argentiques classiques ou des transparents rétro-éclairés par exemples nichés dans les trous de boulins de l’escalier menant à la crypte.
Jeux de miroirs
Confiée à l’agence rochelaise In Site, la mise en scène déploie quatre thèmes dont elle parvient du début à la fin à exploiter un effet miroir : la matière répond à la matière, l’action à l’action, la vue à la vue. L’ascension d’abord, en bonne logique. Le visiteur se retrouve ainsi à gravir la pente en compagnie de pélerins de la ville d’Hampi, en Inde, des pics de Taï shan, en Chine ou des monts de Skellig’s Michaël, en Irlande. Puis elle unit par un jeu de miroir des environnements exceptionnels.
Ainsi, sur la terrasse de l’Ouest, au sommet de l’abbaye ou dans le cloître, les paysages somptueux des monts sacré d’Uluru en Australie ou de Skellig’s Michaël répondent au spectacle de la baie du Mont Saint-Michel : prosaïquement, une vaste étendue peinte d’infinies nuances par une lumière toujours différente, symboliquement, un chaos primordial où le sable, le vent, la mer et le ciel s’entrechoquent, dominés par la toute puissance d’une église triomphante, de l’accomplissement et de l’ordre. Le Mont, symbole de cette Jérusalem céleste que le Moyen-Age attendait…
La vie quotidienne des hommes et leurs rites ne pouvaient trouver salle plus propice que le réfectoire des moines, lieu hautement codifié s’il en était. Des pupitres posés sur les tables présentent les différents rituels rythmant les jours des sanctuaires : Grottes d’Ellora en Inde, Huang Shan en Chine… Georges, qui habite Landernau en Bretagne et vient ici pour la quatrième fois est un amoureux du Mont et de sa baie. Parce qu’il les connait bien, il est concentré sur l’exposition. « C’est bien de voir tous ces aspects communs des religions. Si on les montrait plus souvent et partout, peut-être qu’il y aurait moins de guerres…Et puis, en plus, ces lieux sacrés si beaux donnent aussi à réfléchir sur la nécessité de préserver l’environnement ». Nicolas Simonnet exulte. « Je suis convaincu que l’accessibilité d’une exposition ne se pose pas en terme de niveau culturel, mais en terme de problématique. Autrement dit, si l’on présente des choses qui répondent à une question mal exprimée ou très compliquée, ca ne marche pas. A l’inverse, une question simple et bien posée permet d’amener tous les visiteurs à des réponses parfois sophistiquées. Là, ca marche.»Enfin, ultime point commun entre ces lieux sacrés : leur minéralité. Tous ont au centre de leurs cultes, le roc et son agencement, la matière brute et l’architecture. L’impressionnante crypte dite des Gros Piliers, sur laquelle repose toute la structure de l’abbaye présente dans la pénombre d’autres cryptes ou des grottes décorées telles qu’Ellora ou Monte Gargano, en Italie. Ce sanctuaire revêt une particulière importance ici puisqu’en 708, Aubert, l’évêque d’Avranches aurait missionné des chanoines pour en rapporter des reliques de l’archange Michel, ce qui présida à la consécration de l’église en 709.
Prévue pour être itinérante, cette exposition fera une halte du 29 septembre au 13 octobre au siège de l’Unesco, sous une forme bien sûr différente : il parait difficile de faire bouger le Mont Saint-Michel avec elle. Elle voyagera ensuite grâce au réseau des Alliances françaises dans 14 villes chinoises. Une seconde copie circulera grâce à l’association « Les chemins du Mont-Saint-Michel » jusqu’au Monte Gargano dans des sites européens consacrés à l’archange Michel. Une manière de réhabiliter et de mieux faire connaitre les chemins de pèlerinage qui lui sont dédiés.