par Marie Grezard
Article publié le 11/12/2008 Dernière mise à jour le 15/12/2008 à 14:45 TU
Entre identité régionale et fêtes de la Nativité, la fabrication des santons fait vivre toute l’année des entreprises artisanales dont certaines ont acquis une renommée internationale. Comme celle de la famille Fouque, installée à Aix-en-Provence et qui depuis trois générations conçoit crèches et santons.
Mireille est la première femme de la lignée à diriger l'entreprise familiale à laquelle elle a impulsé une dimension internationale - ses crèches s’exposent du Vatican à New-York ou Berlin - tout en restant solidement ancrée dans un savoir-faire artisanal.
Impossible de les ignorer, ils sont partout, parsemant les lieux de tâches de couleurs vives. Pas de doute, nous sommes bien au royaume du santon, ce que confirme un large panneau portant l'inscription « Santons Fouque ». Une institution !
Troisième génération
Blondeur coquette et poignée de main sur-vitaminée, la maîtresse de céans conduit ses visiteurs à enjambées pressées dans les recoins de sa maison de famille. Cette dernière a été transformée en atelier dans les années 50 et abrite aujourd'hui le savoir-faire de trois générations de santonniers. C'est ici, en effet, que Mireille Fouque perpétue l'oeuvre initiée par son grand-père Jean-Baptiste et son père Paul. L’un, premier prix de sculpture aux Beaux-arts, aimait bricoler les décors de l'Alcazar à Marseille. L’autre, tout aussi talentueux, décoré de la médaille d'or du concours du Meilleur Ouvrier de France en 1968 pour une crèche qui lui avait demandé quelques 1000 heures de travail !
Née au beau milieu des santons, Mireille Fouque a grandi en pétrissant de l'argile comme d'autres jouaient à la poupée ou s'essayaient maladroitement à la pâte à modeler. Son itinéraire, cette fille de santonnier le raconte bien volontiers dans son bureau, naguère chambre de la grand-mère. Une sobre pièce aux murs blancs et aux carreaux de ciment où rien ne vient attirer le regard, si ce n'est une photo du pape Jean-Paul II pour le compte duquel elle a réalisé la crèche du Vatican en 2000, « une immense fierté » glisse-t-elle, tout comme l’audience qu’elle a obtenue de son successeur Benoît XVI. Cependant, l’exploit ne risque pas de se reproduire avant quelques lustres : chaque continent doit attendre son tour tous les cinq ans et désigner en son sein un pays, lequel désigne à son tour le santonnier dont la crèche partira au Vatican. Cette année, c’est à l’Autriche de briller.
Coup de génie Pour donner une dimension internationale à sa petite entreprise, Mireille Fouque a dû batailler autant que le berger luttant contre le vent dans son chemin vers la nativité. Cette célèbre pièce baptisée « Coup de mistral » a été réalisée en 1952 par Paul Fouque : pour la première fois, le mouvement et la vie étaient introduits dans l’art du santon, jusque là très statique. Un succès immédiat a couronné cette création, devenue l'emblème de la maison, l'une des raisons de sa notoriété, maintes fois copiée et contrefaite. Depuis cette date, le berger obstiné aux genoux rapiécés est même offert sous forme d’exemplaire numéroté à chaque Président de la République depuis Charles De gaulle. Tout un symbole ! Ce ne fut cependant pas le cas de Nicolas Sarkozy puisqu’ « il était déjà client de longue date chez nous, par la mairie de Neuilly ». La création du "coup de mistral"Ecouter Mireille Fouque
Quand Mireille Fouque, à l'orée de la trentaine, décide de reprendre le flambeau familial en 1985, l'atelier de son père, « un artiste mais pas un comptable », est au plus bas. « Il faisait travailler quatre personnes mais il ne savait même pas quel était le salaire de chacun ! », raconte-t-elle. Elle créée donc à son tour des santons, dans la plus stricte tradition provençale, pour enrichir une collection de modèles qui en compte désormais plus de 1800. Elle apporte aussi sa touche personnelle, fière d’avoir introduit le symbolisme comme « la comtadine à la gerbe de blé », porteuse d’espérance, ou « le semeur », incarnant le renouveau et l’éternel recommencement. Tous se distinguent par la pureté de leur argile et la précision de leurs détails : il est parfois nécessaire d’utiliser plusieurs moules pour réaliser les différentes parties d’un seul sujet qu’une barbotine (argile délayée) viendra assembler. Séchage, ébarbage, cuisson…un processus lent que couronne la peinture très minutieuse des vêtements mais aussi des visages : ainsi, trop de blanc dans les yeux et la figurine prend un air effrayant et il faut retoucher !
Crèche clé en main.
Si la continuité du savoir-faire est assurée, il a fallu partir de zéro pour le faire savoir ! Mireille Fouque opère donc une sévère remise à plat, prend un statut de société, s'affirme auprès des fournisseurs, organise de vrais circuits de distribution capable d'écouler sa production toute l'année et, c’est une vraie prouesse, parvient à faire travailler jusqu’à 20 personnes dans les temps forts comme la fin d’année. Son second mari, Michel Guillot s’implique lui aussi. Sans posséder l'expertise de son épouse qui détecte d'un seul coup d'oeil l'année de fabrication d'une figurine, il assume sa part des tâches : c'est lui qui s'occupe de la lourde logistique quand il s'agit pour elle de réaliser une crèche comme celle que les New-Yorkais ont pu admirer sur la 5ème avenue pendant 3 ans ou celle de cette années aux Galeries Lafayette de Berlin, au marché de Neuilly ou rue Violet, dans le XVème arrondissement de Paris.
Cette activité d'expositions clé en main en direction des municipalités ou des grands hôtels ainsi que la qualité des santons réalisés à l'ancienne avec beaucoup de minutie entretiennent la notoriété de la maison. Elle comble aussi la sensibilité artistique de Mireille Fouque et son goût pour la décoration. Chaque année, ses crèches sont différentes, abritent de nouveaux personnages. Ce petit peuple qui prend forme sous ses doigts garde vivaces des traditions provençales qu'elle connaît par cœur, ce qui explique que la société vende des santons toute l’année.
Normalement, une vraie crèche ne s'achète jamais en entier. En effet, la tradition requiert que chaque génération offre à ses enfants une partie des santons qui constituera à son tour le point de départ d'une nouvelle crèche et ainsi de suite. En dehors des incontournables sujets bibliques, on peut ainsi l'étoffer grâce aux personnages caractéristiques de la vie d'un village. Emmanuel Fouque, 4ème génération vient de créer par exemple une laitière versant du lait. Plus bling-bling, certains santons existent désormais en couleur or 24 carats. Plus traditionnels, d’autres personnages sont aussi les acteurs de la pastorale de Maurel, un conte moral qui se joue traditionnellement entre le 25 décembre et la chandeleur en Provence. Bartoumiou et Pistachié, Grasset et Grassette, l'arlésienne et le tambourinaire…tous sont figurés dans les costumes du XVIIIème siècle.
L'on peut enfin ajouter des santons d'argile bruts que l'on achètera pour ses enfants ou ses petits-enfants afin qu'ils les personnalisent et puissent figurer eux aussi dans la crèche !