Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Architecture

La Poubelle et l’Architecte

par Danielle Birck

Article publié le 15/01/2009 Dernière mise à jour le 15/01/2009 à 16:39 TU

(Source : Actes Sud)

(Source : Actes Sud)


Vers le réemploi des matériaux,
le sous-titre de l’ouvrage que publient les éditions Actes Sud, La Poubelle et l’Architecte, dans la collection L’Impensé, éclaire l’intention de son auteur, Jean-Marc Huygen. Cet ingénieur civil et architecte, professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble, y définit une autre conception de l’architecture fondée effectivement sur le « réemploi » des matériaux et analyse son impact sur l’environnement et les relations entre les hommes.

(Photo : DR)

(Photo : DR)

La Poubelle et l’Architecte, un titre où le premier mot n’a pas seulement  valeur métaphorique pour signifier le lieu par excellence où l’on jette ce dont on ne veut plus, mais pour Jean-Marc Huygen marque un moment de l’Histoire qui a profondément modifié le rapport des hommes à leurs déchets et rebuts. Il fait référence à cette date du 24/11/1883, qui est celle de l’arrêté du préfet de Paris Eugène Poubelle imposant la poubelle obligatoire. « Une date importante, dit-il, parce que c’est à partir de ce moment-là qu’on en est arrivé petit à petit jusqu’au XXe siècle, à ne plus prendre conscience des déchets  que nous produisons et à les rejeter tout simplement, sans nous en soucier. Et pour lui, « la première  nouveauté de notre XXIe siècle, c’est de redevenir, ou même devenir, conscients des déchets que nous produisons ». Témoin de cette « nouveauté », l’instauration progressive en France, depuis une dizaine d’années du tri sélectif pour mieux recycler les déchets.

Ecoutez Jean-Marc Huygen

De l'importance de la poubelle

15/01/2009 par Danielle Birck

Réemploi : une redécouverte

Mais attention ! recyclage n’est pas réemploi. Au premier, Jean-Marc Huygen, d’ailleurs, veut « tordre le cou »! Bien sûr, créer les conditions d’un « nouveau cycle de la matière » vaut mieux que de ne pas recycler, mais pour lui, « avant d’envisager le recyclage, il faut envisager d’abord la réutilisation , c'est-à-dire utiliser plus longtemps un objet pour l’usage dans lequel il a été conçu ». Et lorsque l’objet devient vraiment obsolète, avant de le recycler, « il y a d’autres phases, sans doute plus efficaces au niveau de l’énergie, de la matière consommée ». C’est là que, pour Jean-Marc Huygen, intervient cette notion de « réemploi », lequel s’inscrit entre « une simple réutilisation dans le même usage que l’objet premier » et le recyclage, puisqu’il s’agit « d’utiliser l’objet avec les traces de ses anciens usages, de l’amour avec lequel il a été confectionné, les traces de sa vie, tout simplement, de la vie des autres, pour construire de nouveaux objets ».

Ecoutez Jean-Marc Huygen

Le réemploi n'est pas le recyclage

15/01/2009 par Danielle Birck


Une pratique dont on a de nombreux témoignages dans l’antiquité et le passé – telle église construite sur et avec les ruines d’un ancien temple – mais que le XXe siècle, « cette « époque d’hyperconsommation », nous a fait oublier, du moins dans les sociétés industrielles. Tandis qu’aujourd’hui, « avec le développement durable, et la prise de conscience des limites de la planète (…) cette notion de réemploi est particulièrement d’actualité », souligne Jean-Marc Huygen.

Le Palais Idéal du facteur Cheval, 2006.(Photo : Michel Fischer)

Le Palais Idéal du facteur Cheval, 2006.
(Photo : Michel Fischer)

Sans oublier quelques « réemployeurs » de génie comme le facteur Cheval et son « Palais » à Hauterives en France, ou les monuments fantastiques de Gaudi à Barcelone… 

Une architecture relationnelle

Un « réemploi » qui enrichit le nouvel objet d’une « composante patrimoniale »  qui met en relation «  l’usager d’aujourd’hui et celui d’hier ». Une architecture » relationnelle » pour laquelle milite Jean-Marc Huygen et à laquelle il fait participer ses étudiants.  Avec notamment ces « Folies liégeoises », des petites structures réalisées par des équipes mixtes d’étudiants architectes et ingénieurs de Grenoble, d’étudiants en architecture à Liège et en création textile à Bruxelles. Ces constructions ont été installées pour un an tout au long d’un parcours dans l’espace public.

(Source : Jean-Marc Huygen)

(Source : Jean-Marc Huygen)

Une expériences globalement plutôt bien accueillie : « les gens se font photographier devant, il y a des objets nouveaux qui apparaissent, certains qui disparaissent » … et de citer « la Folie jardin, constituée de deux baignoires, un jeu d’eau, une espèce de banc, à laquelle a été ajoutée une tête de cheval, qui est restée là pendant plusieurs jours avant de disparaître (…) Le fait que ces structures aient été construites avec des matériaux particuliers, qui ont une histoire qui évoque le rêve, eh bien ça conduit à rêver et à mettre le rêve en pratique …On n’est plus dans une ville dure et qui se prémunie contre toute intervention des différents utilisateurs des espaces publics, mais dans un « réel espace public », un espace qui nous appartient à tous, aujourd’hui et avec les traces d’hier, mais avec une matière qui dit quelque chose d’autre qu’une simple matière qui sert à construire », conclut Jean marc Huygen…

Signifier quelque chose avec la matière, en conciliant efficacité et esthétique, c’est aussi ce qu’a réalisé l’architecte Patrick Bouchain avec le Lieu Unique, cet espace artistique et culturel construit dans l’ancienne usine des Biscuits LU à Nantes, avec notamment le plafond acoustique de la principale salle de spectacle, réalisé avec des bidons métalliques, dans un éloquent aller-retour Nord-Sud, puisque expédiés sur le continent africain comme déchets du monde industriel, ils y reviennent comme matériau de réemploi pour satisfaire une double exigence, technique et esthétique.

L'ego de l'architecte

Une tout autre conception de l’architecture que celle pratiquées par «certains architectes » qui « se comportent en habitants de la planète riche », ce qui n’est pas le cas de l’architecte  réemployeur,  « lequel, indique Jean marc Huygen, n’a comme matériaux à disposition que ceux qui sont là, avec leur présent, leur vie, et pas des matériaux fabriqués exprès pour satisfaire l’ego de l’architecte ». 

Ecoutez Jean-Marc Huygen

L'architecte réemployeur

15/01/2009

 

Jean-Marc Huygen.

Jean-Marc Huygen.

Quant à l’ego de l’auteur de La Poubelle et l’Architecte, on pourrait parier qu’il se sentirait déjà satisfait avec la réalisation d’un rêve, d’une utopie, esquissée dans le livre : la transformation dans les immeubles de l’actuel local à poubelles en une sorte de  grenier collectif, «  une espèce de  réserve d’objets obsolètes dans laquelle on irait puiser, en allant chercher chez l’autre ce qu’il a accumulé ... Une mise en relation des individus »…