par Danielle Birck
Article publié le 08/05/2009 Dernière mise à jour le 08/05/2009 à 16:33 TU
En mai 1889 la tour Eiffel s’ouvrait au public, à l’occasion de l’Exposition universelle dont elle était la vedette incontestée et l’attraction la plus spectaculaire. Ce qui était alors le monument le plus haut du monde, allait faire la renommée universelle de son auteur. Mais l’ingénieur Gustave Eiffel (1832-1923) avait déjà à son actif des réalisations imposantes et novatrices, avec notamment ses ponts et viaducs en France et à l’étranger. Il y aura aussi des projets visionnaires, comme un pont sous la Manche ou un métro. L’exposition Gustave Eiffel, le magicien du fer, présentée jusqu’au 29 août 2009 à l’Hôtel de Ville de Paris, retrace la carrière de l’ingénieur et du chercheur et évoque des aspects plus intimes du personnage. Visite guidée.
Caroline Mathieu, commissaire de l’exposition est une passionnée de Gustave Eiffel. Pour la conservatrice en chef du musée d’Orsay, responsable des collections d’architecture, l’ingénieur mérite tout à fait ce titre de magicien du fer[1]. Un magicien qui a laissé un peu partout dans le monde des traces de son savoir faire – de l’armature de la Statue de la Liberté à New York, à la gare de Budapest, en passant par le pont routier sur l’oued Djemma en Algérie ou le pont ferroviaire sur le Douro au Portugal.
Ponts et viaducs
C’est en effet avec la construction de ponts et de viaducs que Gustave Eiffel commence sa carrière. Et tout particulièrement avec ce Pont de Bordeaux (1858-1860) qui enjambe la Garonne sur 500 mètres : « Eiffel a 26 ans et il construit ce pont qui est le plus long de France et qui est assez compliqué en raison de la vitesse des eaux. Il doit donc utiliser des fondations à air comprimé, une technique mise au point par les Anglais et qu’il dominait très bien. Une technique qu’il reprendra pour la Tour Eiffel », explique Caroline Mathieu.
A l’époque Gustave Eiffel est employé par la compagnie belge des Matériels de chemin de fer. La notoriété acquise par ce chantier de Bordeaux lui attire d’autres commandes et va lui permettre de créer sa propre entreprise installée à partir de 1866 à Levallois-Perret. C’est à partir de cet atelier de la banlieue parisienne que les « ponts portatifs » démontables qu’il met au point vont être exportés dans le monde « en pièces détachées, en kit. On assemblait l’ensemble du pont sur la rive et on le jetait sur le fleuve », comme on peut le voir sur les photographies anciennes exposées sur la mezzanine, dans la salle Saint-Jean de l’Hôtel de ville. Ces ponts, utilisés jusque dans les années 1940, constitueront une activité très lucrative.
Le pont Maria-Pia sur le Douro à Porto (Portugal), montage de l’arc.
(Crédits: RMN (Musée d’Orsay / H. Lewandowski)
C’est le pont sur le Douro à Porto au Portugal qui, à partir de 1877 va asseoir la renommée internationale de l’entreprise Eiffel, « comme une des plus grandes entreprises métallurgiques ». Ce viaduc de chemin de fer vaut qu’on s’y arrête avec sa technique innovante et sa facilité de construction (l’arc plein cintre est monté sans échafaudage), son élégance, mais aussi un coût beaucoup moins élevé qui a permis à ce « chef d’entreprise extrêmement avisé et très compétitif » qu’est aussi l’ingénieur Eiffel de remporter le concours. Qu’on en juge : « le projet anglais est à 2 750 000 francs or, tandis que celui de Gustave Eiffel est à 965 000 francs or », précise Caroline Mathieu.
Le pont sur le Douro lui vaut de nombreuses commandes dans la péninsule ibérique et, en France, le marché du fameux viaduc de Garabit, dans le Cantal. Un pont de chemin de fer qui culmine à 122 mètres au-dessus de la vallée de la Truyère. Un dessin éloquent en donne la mesure en montrant qu’on peut « empiler la tour de Notre-Dame et la colonne Vendôme sans parvenir en haut du tablier du viaduc de Garabit ». La construction de cet ouvrage est aussi l’occasion d’améliorer la résistance au vent, après la désastreuse expérience du viaduc de la Tardes, alors également en construction et dont le tablier était tombé dans le vide lors d’une tempête.
Les connaissances acquises dans la construction des ponts, Eiffel les met à profit pour d’autres ouvrages, comme la structure de la statue de la Liberté (1879), offerte par la France aux Etats-Unis, ou la coupole de l’observatoire de Nice.
La Tour, quand même
Si l’exposition est l’occasion de découvrir les travaux de l’ingénieur Eiffel en dehors de la Tour, qu’on se rassure, celle-ci y a tout de même sa place, à commencer par les reproductions en métal et en albâtre qui trônent au centre de la salle Saint-Jean. Les différents projet du concours - et la difficulté pour imposer un édifice métallique -, la construction de la Tour, les aménagements, « tous plus fous les uns que les autres », suggérés à l’issue du droit d’exploitation concédé pendant vingt ans à la société Eiffel, les artistes – peintres, écrivains, photographes, cinéastes, designers - qu’elle a inspirés : la Tour est là, dans tous ses états, au travers de documents, photos et œuvres diverses.[2]
La genèse de la Tour Eiffel
Mais la Tour, apothéose de la carrière de Gustave Eiffel constructeur, en marque aussi le déclin. Eclaboussé par le « scandale de Panama », sans y être impliqué de manière frauduleuse - il s’est considérablement enrichi avec la construction des écluses – il sera condamné en 1992, on lui retirera sa légion d’honneur, et, en dépit de sa réhabilitation la même année, il décide en 1993, à 61 ans, de se retirer de la Société des Etablissements Eiffel. Il va désormais se consacrer exclusivement à la recherche.
Scientifique et chercheur
C’est là sans doute un aspect moins connu du travail de Gustave Eiffel, amorcé dès 1890 avec pour fil conducteur le vent, élément qui avait été déterminant dans son travail de constructeur. Il se livre à des recherches expérimentales sur l’aérodynamique – à partir de la Tour – qui seront saluées en 1908 par l’Académie des Sciences.
Maquettes d'hélices à quatre pales et profils d'ailes d'avion (1912-1915) issues du laboratoire aérodynamique Eiffel
(Photo : D. Birck / RFI)
L’aéronautique prend le relais avec la construction d’une soufflerie sur le Champs de Mars, puis d’un laboratoire plus performant rue Boileau, dans le XVIe arrondissement, où il travaille avec les constructeurs de l’époque et qu’il mettra à disposition de l’armée française pendant la guerre de 1914-1918, pour l’étude du profilage des obus, dont on peut voir deux exemplaires dans l’exposition. Le « Laboratoire Eiffel » reconnu internationalement, fonctionne encore aujourd’hui, servant d’expérimentation dans le domaine du bâtiment. Gravures, photos, prototypes d’hélices et autres objets témoignent de cette dernière phase des recherches de Gustave Eiffel, qui s’éteint le 27 décembre 1923, à 91 ans.
Monsieur Eiffel
Derrière l’ingénieur, l’entrepreneur, le scientifique et le chercheur, qui était Gustave Eiffel ? Il semble qu’il soit difficile au constructeur d’ouvrages grandioses de ne pas se sentir lui-même un grand homme. Photos et portraits en témoignent, comme l’archivage scrupuleux des lettres et publications le concernant et sa Biographie scientifique et industrielle en trois volumes écrite à la troisième personne…
Gustave Eiffel, Jeannine Salles et deux petites fillettes en ballon, juin 1920
(Crédit : RMN (Musée d’Orsay) / M. Coursaget)
Son sens des affaires, les retombées lucratives du succès de la Tour lui ont assuré une aisance matérielle qui lui permet, au milieu des années 1995, d’acquérir des demeures à Paris, Sèvres, sur la Côte d’Azur et en Suisse. Des photos d’Eiffel chez lui nous le montrent dans un décor assez pompeux, voire théâtral.
Il semblerait donc que novateur dans son métier d’ingénieur, Gustave Eiffel le fut apparemment beaucoup moins dans son mode de vie. Côté famille, il aura cinq enfants de la femme de 15 ans sa cadette qu’il épouse en 1863.
Tous ces documents et informations réunis à l’occasion de cette exposition proviennent des archives personnelles de Gustave Eiffel, des archives de l’entreprise Eiffel, partagées entre la Société nouvelle de la tour Eiffel (SNTE) et les Archives nationales (en particulier celles du monde du travail à Roubaix) et le fonds Eiffel du musée d’Orsay. Malgré tout, une grande partie des dossiers relatifs à l’activité de la Société Eiffel a été détruite, « creusant à jamais une béance dans la connaissance des réalisations de l’entreprise », déplore Caroline Mathieu.
Henri Rivière – Les Trente-six vues de la tour Eiffel, 1888-1902, frontispice.
(Crédits : Agagp / RMN / R-G Ojéda)
A écouter sur le même sujet