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Patrimoine

Le grand orgue de Deneuvre, gardien des sonorités classiques

par Caroline Lafargue

Article publié le 13/07/2009 Dernière mise à jour le 07/08/2009 à 13:17 TU

(Photo : Roland Lopès)

(Photo : Roland Lopès)

A l’occasion de la 42ème édition du festival de l’Académie de l’Orgue de Saint-Dié des Vosges, du 14 au 24 juillet, et au rythme d’un concert chaque soir, élèves et professeurs font fait chanter les tuyaux de sept orgues installés à St-Dié et dans les villages avoisinants. Dont le grand orgue de l’église Saint-Rémy de Deneuvre, un monument du classicisme français.

L'église de Saint Rémy de Deneuvre.DR

L'église de Saint Rémy de Deneuvre.
DR

Petit village de 600 habitants, situé sur un promontoire dominant la vallée de la Meurthe, s’il est moins renommé que son voisin Baccarat, Deneuvre possède pourtant des charmes insoupçonnés. A quelques mètres du plus important sanctuaire de sources de la Gaule antique dédié au Dieu Hercule, l’église semblerait bien morne, n’était le souffle de l’orgue qui envahit le parvis. Mais en ce samedi après-midi, nous trouvons portes closes, jusqu’à l’arrivée providentielle du curé du village.  

La Rolls Royce de l'orgue

A l’intérieur de cet église-grange sans cachet, construite sous Louis XIV, trois magnifiques lustres en cristal de Baccarat attirent immédiatement l’œil. Autant de points de suspension qui mènent le regard vers le fond de l’église : à la console de l‘orgue majestueux, Michel Treger, l’organiste en titre, répète pour la messe de 18h la célèbre cantate de Jean-Sébastien Bach, Jésus, que ma joie demeure. L’orgue, un classique français construit en 1704, souffle une sonorité ronde et flûtée. L’organiste s’interrompt pour nous ouvrir ce qu’il appelle sa « Rolls-Royce ».

(Photo : Roland Lopès)

(Photo : Roland Lopès)

Dans la tradition des artistes- artisans de l’Ancien Régime, habitués à s’effacer devant leur œuvre, le facteur Claude Legros, a glissé sa signature en toute discrétion, dans l’obscurité du « secret », endroit inaccessible du sommier. Formé par Alexandre Thierry, le facteur d’orgue de Louis XIV, le Champenois Claude Legros était capable de construire un orgue de 4 pieds comme celui de Deneuvre en moins d’une année. Mais il en aura fallu cinq pour venir à bout de sa restauration…

Classé Monument Historique en 1982, l’orgue classique de Deneuvre a « ressuscité » en 1997. Il a fallu du temps et de l’obstination à Michel Treger, à la tête de l’Association des Amis de l’Orgue de Deneuvre, pour réunir les fonds nécessaires. « Avant 1997, c’était une ruine. Il était habité par les vers ! Donc on a monté une association pour le restaurer, pour apporter la part de la commune, alors on a fait plein de choses, on pins, tombolas, un orgue en croquante, et on a récolté ce qu’il fallait pour la restauration, qui a coûté 1,8 million de francs. »

Michel Treger

Association Amis de l'Orgue

13/07/2009 par Caroline Lafargue


Comme tous les biens de l’Eglise, l’orgue de Deneuvre a beaucoup voyagé dans la tourmente de la Révolution, si bien qu’on ne sait pas pour quelle église Claude Legros l’a initialement construit. Il a ensuite subi de multiples transformations au cours du XIXe siècle, au gré des finances de la commune. « Au XIXe siècle,  on a enlevé les tuyaux du XVIIIe pour remettre des tuyaux orchestre. Ce qui donnait un buffet classique avec une sonorité romantique. On a fait ça quasiment dans toutes les villes où il y avait de l’argent. »

Michel Treger

Du classique au romantique

13/07/2009 par Caroline Lafargue


Au diapason des sonorités classiques

(Photo : Roland Lopès)

(Photo : Roland Lopès)

Contrairement à d’autres instruments, qui ont gardé leur double nature classico-romantique, l’orgue de Deneuvre a été remis au diapason des sonorités classiques françaises du XVIIIe siècle, ce qui en fait une rareté dans cette région Alsace-Lorraine traditionnellement riche en facteurs d’orgues.  Le restaurateur de la manufacture d’orgues luxembourgeoise, Georg Westenfelder, a pu conserver les « sommiers » (les pièces qui reçoivent les chevilles servant à tendre les cordes), l’abrégé et les tuyaux de bois d’origine, mais pour recréer les autres pièces, retrouver les plans de cet instrument n’a pas été de tout repos. « Il est de 1704, c’est pratiquement le plus ancien du département, il n’y en a plus des orgues comme ça, donc on l’a refait dans son état d’origine. Georg Westenfelder a du aller copier le jeu de trompette d’un autre orgue de Legros dans une autre église de la région, pour que celle-ci ait la même sonorité », raconte Michel Treger.

Michel Treger

Restauration à l'ancienne

13/07/2009 par Caroline Lafargue


Au final, les 23 jeux, 2 claviers et demi et le pédalier de 26 notes, forment un jeu savant de pressions, qui permet de jouer le répertoire français des XVIIe et XVIIIe siècles. Il correspond en tout point à la définition de Balzac : « L'orgue [...] est un orchestre entier, auquel une main habile peut tout demander, il peut tout exprimer ». Usant de ses mains voltigeuses, l’organiste en fait la démonstration en prenant le temps d’une petite leçon d’orgue.

Michel Treger

Leçon d'orgue

13/07/2009 par Caroline Lafargue


(Photo : Roland Lopès)

(Photo : Roland Lopès)

Michel Treger n’est pas le seul à faire chanter les tuyaux de cet orgue classique. Grâce à l’Académie de l’Orgue de Saint-Dié, des organistes illustres comme Michel Chapuis ou l’organiste titulaire de Notre-Dame de Paris, Jean-Pierre Leguay, ont eux aussi fait jouer les anches de l’orgue de Deneuvre. Des étudiantes japonaises ont aussi eu ce privilège. « On prête notre instrument tous les ans en juillet pour l’Académie d’Or de Saint-Dié. On a des étudiants du monde entier qui viennent s’entraîner ici. En contrepartie, les professeurs viennent donner des concerts. », explique Michel Treger.

Michel Treger

Un orgue très demandé

13/07/2009 par Caroline Lafargue


(Photo : Roland Lopès)

(Photo : Roland Lopès)

Cette année, le 16 juillet, c’est Pierre Laustriat, ancien élève d’Edouard Souberbielle, qui maniera le souffle rond de l’orgue de Deneuvre. Une fois passé ce traditionnel tourbillon estival, l’orgue et son organiste se sentent un peu seuls le reste de l’année. Développer cette musique en milieu rural tient encore de la gageure, reconnaît Michel Treger. « Hélas je n’ai pas de jeune pour prendre la relève ! On est deux à jouer, c’est moi qui ai formé le deuxième organiste, il a 35ans. L’église est souvent fermée et les jeunes préfèrent faire de l’orgue électronique. Je pense qu’il y a des jeunes qui étudient l’orgue en ville, mais ici non. Je laisse pourtant la porte de la tribune toujours ouverte, mais personne ne monte », conclut-il dans un rire.