par Danielle Birck
Article publié le 04/08/2009 Dernière mise à jour le 30/10/2009 à 10:02 TU
Sur le parcours de quelque 8 km, de la gare de Douai au Centre historique minier de Lewarde, dans cette région riche en argile, les maisons de briques s’alignent, vestiges des « corons », ces logements et habitations construits à partir du XIXe siècle par les compagnies minières soucieuses d’attirer et de fixer leur main-d’œuvre. Un habitat qui évoluera au fil des décennies, comme on le découvrira un peu plus tard en visitant le musée. Réhabilités dans les années 1970, ces logements - 70 000 au total - ne sont plus occupés aujourd’hui que par quelque 40% d’anciens mineurs ou d’ayants droits.
Ces informations, on les tient du conducteur de l’une de ces navettes « Taxi-Tub » qui relient la gare de Douai au Centre Historique Minier, en complément des bus et en l’absence du tramway dont la mise en service a été apparemment renvoyée aux calendes grecques. Ces véhicules sont aussi mis à la disposition des anciens personnels de la houillère, ou de leurs veuves, par la CARMI (Caisse régionale minière), dont l’activité couvre majoritairement les bassins miniers du Nord/Pas-de-Calais et de l'est français. Un « patrimoine » qui comprend des centres de soin, des pharmacies, et un service de transports en complément des ambulances.
Vingt ans après la fermeture du dernier puits du bassin en 1990 la « culture minière » au sens large, héritée du XIXe siècle, est encore présente dans cette région du nord. Une culture dont le Centre historique minier se veut le témoin durable et tourné vers l’avenir.
La fosse Delloye, de la fermeture…
Son ouverture en mai 1984 est le résultat d’une action de longue haleine, de la validation du projet par la direction des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais en 1973 à la création en 1982 de l’Association du Centre historique minier, avec la participation de l’Etat (ministère de la Culture), du Conseil régional du Nord/Pas-de-Calais, du Conseil général du Nord.
Pour l’implantation, le choix s’est porté dès 1973 sur la fosse Delloye à Lewarde, et ses 8000 mètres carrés de bâtiments industriels et de superstructures, au centre du bassin minier, en instance de démantèlement après sa fermeture – la première de la région – en 1971. Dès lors, matériels et documents vont affluer des autres puits au fur et à mesure de leur fermeture, auxquels vont s’ajouter les archives collectées auprès de la population locale. Résultat : le Centre détient les trois quarts de l’iconographie minière en France, un millier de films et 7000 ouvrages. « Nous pouvons puiser dans notre propre fonds, c’est ce qui fait la richesse du Centre », souligne André Dubuc, son directeur depuis 1990. Un fonds qui a servi notamment pour le tournage de Germinal, le film de Claude Berri, sorti sur les écrans en 1993.
La richesse du Centre c’est aussi un conseil scientifique de trente membres représentant toutes les disciplines universitaires, y compris la linguistique, pour explorer l’univers de la culture minière dans toutes ses composantes.
… à l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco ?
Véritable conservatoire de la mémoire de la mine et de la richesse de la culture minière dans la Région, c’est le plus important musée de la mine en France et le musée de site le plus fréquenté de la région, avec quelque 150 000 visiteurs annuels. Le centre de Lewarde compte bien d’ailleurs augmenter et élargir son public avec l’ouverture de l’antenne du Louvre à Lens – autre ancien site minier - prévue en 2012. Une date qui pourrait aussi être celle de l’inscription de Lewarde au patrimoine mondial de l’Unesco, puisque la candidature, déposée depuis 2005, sera proposée officiellement par l’Etat français en 2010.
La mémoire de la mine
Elle se raconte au fil d’expositions permanentes et temporaires. Avec, pour les premières, Les trois âges de la mine, qui évoque l’histoire du bassin minier Nord/Pas-de-Calais du XVIIIe au XXe siècle ; A l’origine du charbon, le Carbonifère, consacrée au processus de formation du charbon il y a 320 millions d’années ; La vie dans la cité minière, qui restitue le quotidien du mineur avec des reconstituions d’intérieurs, évocation de leurs passe-temps (jardinage, colombophilie, musique – voir encadré), les vacances… Le tout très encadré par les directions des Houillères. Mais aussi les mouvements sociaux, les grandes grèves qui ont jalonné l’histoire de la mine.
Quant au « circuit minier » - un peu le « clou » de cette évocation permanente de la mémoire de la mine - il reconstitue l’itinéraire du mineur, du vestiaire et de la lampisterie à la galerie souterraine. 450 mètres de galeries ont été reconstitués qui racontent l’évolution du travail du mineur au fil des décennies, avec des matériaux et des machines que le guide, un ancien mineur, fait fonctionner. Bien sûr, les conditions de travail ont évolué, vers plus de sécurité, mais les menaces (éboulement, coup de grisou…) n’ont jamais disparu pour le mineur « toujours sur le qui vive », souligne Patrick Houdelette.
Notre guide sait de quoi il parle : entré dans la mine en 1966 à 15 ans – après son père, son grand-père et son arrière grand-père - il a cessé d’y travailler en 1996. C était dans les houillères du Dauphiné, où il a été mineur 15 ans et dont l’exploitation a cessé en 1997. La mine, Patrick Houdelette l’aime, et être guide à Lewarde, pour lui, « c’est un bonheur », il le ferait bien « jusqu’à 80 ans ».
Il n’empêche : « on se demande comment les mineurs ont pu travailler dans ces conditions jusqu’en 1990 », s’interroge André Dubuc. Il y a les catastrophes (Courrières en 1906 avec plus d’un millier de morts, la plus grande catastrophe en Europe; Liévin en 1974, plus de 40 mineurs tués; Plus d’une vingtaine à Forbach en Lorraine, en 1985, pour ne citer que celles-là). Il y a aussi les maladies, comme la silicose qui a provoqué la mort de 50 000 mineurs depuis 1946, et « des anciens mineurs continuent à mourir », souligne le directeur du Centre minier.
Innovation, puissance et énergieMais la mémoire du monde de la mine, ce n’est pas seulement l’évocation de ses dangers, de l’abnégation et du courage de ses « gueules noires ». C’est aussi « rendre hommage à toute cette corporation, y compris aux ingénieurs et aux inventions qui ont vu le jour dans la mine », indique André Dubuc. L’industrie minière source d’innovation, mais aussi et surtout « de puissance ». Et de rappeler que « la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) a été le premier noyau de ce qui est aujourd’hui l’Union européenne ».
Depuis 1990, il s’agit donc « d’écrire une nouvelle page » de cette histoire de la mine. D’où la création d’un Centre de Culture scientifique de l’Energie, sur le site de Lewarde, avec pour objectif de présenter les enjeux historiques de l’activité minière et d’amorcer une réflexion sur le rôle de l’énergie dans le développement des sociétés contemporaines. Une réflexion que la mise en place d’un réseau européen des musées de la mine devrait permettre de mutualiser.
Enfin, dans le cadre de l'année de la France au Brésil, le Centre Historique Minier présente une soixantaine de documents issus d’une exposition temporaire réalisée en 2008, Pays vert/Pays noir, empreintes de l'industrie minière dans le Nord-Pas de Calais, dans trois villes de la région du Minas Gerais au Brésil, du 21 avril au 15 novembre.
En cette année anniversaire, l’exposition temporaire est consacrée à la musique et à l’importance de celle-ci dans la vie des mineurs depuis le XIXe siècle.
Sur un air de mine, la musique dans la culture minière |
Pour les compagnies houillères, qui organisent non seulement le travail, mais aussi la vie quotidienne et familiale des mineurs (habitat, éducation, santé, loisirs…), c’est un moyen supplémentaire de cohésion et de paix sociale, tout en faisant œuvre de promotion culturelle, avec éducation, diplômes, etc. Les avantages consentis (prêt d’instruments et de costumes, frais de déplacement…) seront assortis d’une réglementation très stricte, les primes d’assiduité aux répétitions le disputant aux amendes pour absence… En 1860, la plupart des communes minières possèdent au moins une société musicale.
Les étendards, instruments, uniformes, documents, photographies, films présentés dans l’exposition témoignent de cet univers des sociétés musicales qui trouvent encore un écho encore aujourd’hui où au sein de la Confédération musicale de France la région Nord/Pas-de-calais est celle qui compte le plus de sociétés fédérées. Dix neuf ans ans après la fermeture du dernier puits, " il y a encore des harmonies des mines dirigées par des professeurs du conservatoire", indique le directeur du Centre historique minier. |
Une musique qui va revivre par le biais de la création d'une oeuvre, Entre Terres, dédiée à la mine, par Nicolas Bacri (compositeur) et Philippe Murgier (liobrettiste). Une oeuvre inspirée par deschants populaires issus de la culture minière et qui sera jouée le 8 novembre 2009 à Douai, par l'orchestre de la ville, à l'auditorium Henri Dutilleux.