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Addiction

Le Musée de l’absinthe à Auvers-sur-Oise

par Danielle Birck

Article publié le 22/08/2009 Dernière mise à jour le 24/08/2009 à 14:03 TU

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Les peintres qui ont fait au XIXe siècle la réputation de ce village du Vexin, ont souvent aussi entretenu celle de « la fée verte », l’absinthe, cette boisson très fortement alcoolisée qui a suscité un véritable engouement dans toutes les couches sociales avant d’être objet de scandale puis interdite en 1915.

Il était donc logique qu’Auvers-sur-Oise accueille un Musée de l’Absinthe. Fondé par Marie-Claude Delahaye, il est le premier entièrement dédié à l'histoire du célèbre alcool avec un fonds très important de pièces originales, oeuvres d’art, affiches, de documents et accessoires.

Cuillères à absintheDR

Cuillères à absinthe
DR


Et on va peut-être commencer par les « accessoires », plus précisément par l’un d’entre eux, la fameuse « cuillère à absinthe », puisque c’est par elle que Marie-Claude Delahaye est venue à s’intéresser à l’absinthe et son histoire, pour en devenir une spécialiste reconnue à l’échelon international. Devant l’impressionnante collection de cuillères à absinthe du musée elle raconte : « elles ont été rassemblées une à une, depuis la première en 1981, qui est aller tourner son propre rôle à Los Angeles pour le film Dracula, de CoppolaCette cuillère perforée m’a intriguée… une cuillère pour l’absinthe… Mais c’est quoi l’absinthe, et pourquoi c’est interdit ? … » Et de question en question, cette universitaire, maître de conférence en biologie cellulaire à l’université Pierre et Marie Curie, a poursuivi ses recherches, cela fait maintenant près de trente ans, et publié de nombreux ouvrages sur le sujet.

Un rituel

Cette cuillère est un élément clé du rituel de la consommation de l’absinthe au XIXe siècle, un rituel accompli « avec de très beaux objets… comme des verres soufflés à la canne par les maîtres verriers et dont la boule creuse, au fond, représente la dose d’absinthe qu’on va diluer par l’eau sucrée, à l’aide d’une cuillère percée où l’ on dépose le sucre sur lequel on fait couler le fin filet d’une eau très fraîche qui en tombant sur l’absinthe va la troubler…ce qui est dû au fait que l’eau et les huiles essentielles des plantes ne se mélangent pas, mais forment une émulsion ».

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Alors quelles sont ces plantes qui entrent dans la composition de la boisson absinthe ?  Il y a d’abord, bien sûr, l’absinthe, la « grande  absinthe » – on a pu en voir dans le jardin, avant d’entrer dans le musée.  «  En fait une variété d’armoise, comme on peut le constater sur ces bocaux de faïence, étiquetés ‘artémisia’, le nom latin de l’armoise, explique Marie-Claude Delahaye. S’il y a 200 variétés d’armoise, il n’y a qu’une seule « grande absinthe ». Quant à la « petite absinthe », qu’on peut voir également dans le jardin, elle va servir à la coloration ».

Côté saveur, « l’absinthe seule, plante de montagne, est amère et ce qu’on appelle l’absinthe, la boisson, c’est en fait un ensemble de plantes, dont certaines – la badiane, c'est-à-dire l’anis étoilé , le fenouil, l’anis vert - vont apporter la saveur anisée. Toutes ces plantes sont mises à macérer pendant 48 heures en alambic, dans un mélange d’alcool, que l’on fera chauffer pour la distillation. Un alcool qui contient donc les principes actifs des plantes et va titrer dans la bouteille  72° ! » On comprend qu’il est nécessaire d’ajouter de l’eau pour consommer cet ancêtre du pastis.  

               L’absinthe, une histoire franco-suisse

               racontée par Marie-Claude Delahaye

« Car tout a commencé en Suisse, dans le canton de Neuchâtel, où, à la fin du XVIIIe siècle, la mère Henriod fabrique cet élixir qu’un médecin français exilé de Franche-Comté, le Dr Pierre Ordinaire, administre à ses malades, lesquels s’en trouvent plutôt bien. Ce qui va vivement intéresser un commerçant du coin, le major Dubied, qui rachète la formule. Courtier en dentelles, il ne connaît pas grand-chose à l’alcool et va demander l’aide d’un jeune homme dont le père est bouilleur de cru, il s’agit d’Henri louis Pernod…

 

Buveuse d'absinthe au café de la nouvelle Athènes, gravure de 1896. Albert Bertrand.© Musée de l’Absinthe, Auvers-sur-Oise.

Buveuse d'absinthe au café de la nouvelle Athènes, gravure de 1896. Albert Bertrand.
© Musée de l’Absinthe, Auvers-sur-Oise.

« 1798 : première distillerie en Suisse. Pernod voit très vite que les Français de l’autre côté de la frontière s’intéressent à l’absinthe. Il va donc s’installer à Pontarlier dans le Doubs. 1805 : première distillerie française. Première d’une série, avec une nette progression à partir de 1870 lorsque le monde ouvrier commence à s’intéresser à l’absinthe, pour arriver à quelque 2000 distilleries officielles en France en 1900.

 

« L’absinthe, originaire de Suisse et de Franche Comté, va rester locale pendant 25 ans. Mais on envoie les troupes en Algérie et les militaires emportent l’absinthe avec eux, qu’ils mettent dans l’eau des marigots pour se protéger de la dysenterie et de la malaria. De retour à Paris ils s’attablent dans les cafés et commandent l’absinthe à laquelle ils ont pris goût ! La bourgeoisie suit et les artistes, toujours à la recherche de sensations nouvelles… 1840, démarre la grande mode de l’absinthe qui devient parisienne, la « fée verte » des artistes et des boulevards…

… Jusqu’à son interdiction  en mars 1915

Il y a l’alcoolisme, bien sûr, « 72° noyés par une eau fraîche légèrement sucrée, ça se boit bien et provoque une addiction à l’alcool assez insidieuse ». Mais aussi la toxicité d’une plante médicinale qui, « si elle est  bonne pour la digestion, la circulation sanguine, indiquée  contre la fièvre, les vers, aux vertus toniques et stimulantes, contient une molécule qui va s’avérer neurotoxique, entraînant des convulsions, voire des crises épileptiformes chez les gros buveurs ».  Au point que l’académie de médecine va parler « d’absinthisme », pour bien marquer la différence avec l’alcoolisme. Il s’agit en fait d’un « alcoolisme aggravé », résume Marie-Claude Delahaye.

Le buveur d'absinthe, autoportrait par Jean D'esparbes  (Photo : Danielle Birck/ RFI)

Le buveur d'absinthe, autoportrait par Jean D'esparbes
(Photo : Danielle Birck/ RFI)


La campagne contre l’absinthe commence dans les années 1870. Dans le musée, tableaux, affiches et documents accompagnent cette double perception de l’absinthe, la « fée verte » dont on fait la publicité – avec notamment les affiches de Cappiello - ou la boisson « qui rend fou »… Mais il n’y a pas que le souci sanitaire. Des intérêts économiques sont en jeu, car, comme le fait remarquer Marie-Claude Delahaye,  l’absinthe s’est imposée dans un pays essentiellement viticole. Devenue ‘ boisson nationale’, elle a remplacé les flacons de vin sur les tables à l’heure de l’apéritif ».  D’ailleurs,  « Tous pour le vin, contre l’absinthe », c’est le mot d’ordre d’une grande manifestation qui rassemble viticulteurs et ligues anti-alcooliques à Paris en 1907 !

L’absinthe aujourd’hui

Si la prohibition de l’absinthe, adoptée en 1915, est toujours en vigueur, depuis 1998, des « spiritueux aux plantes d’absinthe » - une appellation officielle - ont fait leur apparition. Explication : « Michel Rocard a signé en 1988 un décret-loi autorisant la présence de la plante absinthe, ceci à la demande de l’OMS. Parce que cette plante intervient dans la fabrication des vermouths et des liqueurs, type chartreuse et bénédictine. Les distillateurs ont repris les anciennes formules, les techniques de fabrication sont identiques, les degrés alcooliques sont les mêmes (jusqu’à 68 ou 72°). Ce qui change c’est la proportion de plante absinthe, qui est moindre, et la molécule neurotoxique, la thuyone, qui est réglementée par l’OMS, le conseil de l’Europe et ne doit pas dépasser 35mg par litre. Tout cela est un peu ambigu », conclut La directrice du musée de l’absinthe.

Reconstitution d'un café de la fin du XIXe siècle au sein du musée(Photo : Danielle Birck/ RFI)

Reconstitution d'un café de la fin du XIXe siècle au sein du musée
(Photo : Danielle Birck/ RFI)