Santé
Onchocercose : fini le spectre de la cécité
par Alpha Barry
Article publié le
16/12/2002
Dernière mise à jour le
15/12/2002 à 23:00 TU
Considéré comme l’une des meilleures réussites en matière de projets de développement en Afrique, le programme de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’ouest (OCP) vient de fermer ses portes. Avec un bon résultat : l’élimination de l’onchocercose comme une grave maladie de santé publique dans la région.
De notre correspondant au Burkina Faso
«Je me souviens particulièrement de la situation du village de Tagou dans la région de Tenkodogo. Ce village était abandonné par ses bras valides, les jeunes. Il ne restait plus que des vieux et des vieilles qui à cause de l’onchocercose ne pouvait mener aucune activité. Ils vivaient tous cloîtrés dans leurs cases. Aveugles et ne pouvant donc aller de case en case, ces gens communiquaient entre eux, le soir, à haute voix pour se faire entendre.» Ce témoignage pathétique d’un ancien agent de santé qui a ouvert le bureau de lutte contre l’onchocercose à Tenkodogo (sud-est ) en 1975 illustre bien le désastre causé à l’époque par cette maladie en Haute Volta. Transmise par la simulie, une petite mouche qui vit dans les rivières notamment en région de savane, l’onchocercose provoque des lésions oculaires pouvant aller jusqu’à la cécité. D’où son appellation : cécité des rivières.
Elle provoque aussi des lésions cutanées, des éruptions accompagnées de violentes démangeaisons, des dépigmentations… et un éléphantiasis des organes génitaux. Elle touche 37 pays dont 30 en Afrique, six en Amérique et un dans la péninsule arabique. Il y a encore quelques années, l’onchocercose était un grave problème de santé publique en Afrique de l’ouest. En 1986, sur une population de 30 millions d’individus vivant dans les zones affectées en Afrique de l’ouest, 2,2 à 2,4 millions sont infectés dont quelque 100.000 d’entre eux sont aveugles ou souffrent de troubles graves. Douze ans plus tôt, le taux d’infection dépassait les 10 pour cent.
En visite en 1974 en Haute Volta, l’un des principaux foyers, le président de la Banque mondiale Robert McNamara se rend compte de l’ampleur de la catastrophe causée par l’onchocercose. Outre les problèmes de santé publique qu’il posait, cette maladie était un véritable frein au développement économique. En effet, pour fuir la simulie, les populations des zones affectées n’avaient d’autre choix que d’abandonner les vallées des rivières qui, pourtant constituent les terres les plus fertiles. La Banque mondiale accepte alors de mobiliser des fonds auprès de nombreux donateurs pour financer un vaste programme de lutte (OCP) piloté par l’OMS. Son siège est basé à Ouagadougou.
500 000 personnes préservées de la cécité
Conçu au départ pour sept pays, le programme qui démarre ses activités en 1974 est étendu en 1986 à quatre autres États d’Afrique de l’ouest. L’objectif de l’OCP est d’éliminer la cécité des rivières en tant que maladie dangereuse pour la santé publique et comme obstacle au développement économique. Les activités de lutte commencent d’abord par des épandages à l’aide d’hélicoptères d’insecticides dans les rivières de la zone pour rendre inoffensives les simulies. Celles-ci s’intensifient ensuite à la fin des années 80 avec la mise au point d’un médicament – l’ivermectine fabriqué gratuitement par le laboratoire Merck & Co., Inc. – qui permet d’éviter de devenir aveugle même en cas de piqûre de simulie.
Vingt-huit ans après le début de la lutte, l’OCP présente un bilan jugé positif. La lutte anti-vectorielle et la distribution gratuite et à large échelle de l’ivermectine connu sous le nom commercial de Mectizan ont permis d’éliminer les manifestations cliniques dues à l’onchocercose. Selon les résultats présentés par le Programme, environ 40 millions d’individus sont désormais protégés contre une infection de l’onchocercose et près de 500 000 personnes ont été préservées de la cécité ou de troubles oculaires graves. Et puis le processus d’infection a été stoppé pour 1,5 d’individus qui avaient reçu les piqûres de simulie. Le spectre de l’onchocercose a pratiquement disparu.
Le programme a permis de libérer 25 millions d’hectares de terres fertiles autrefois abandonnées. Depuis plusieurs années, on assiste à un repeuplement de ces terres. L’espoir renaît donc dans les 11 pays d’Afrique de l’ouest. En effet, 12 millions d’enfants nés depuis le début des opérations de l’OCP ne courent plus le risque de devenir aveugles du fait de l’onchocercose. Le cycle de la fatalité a été rompu. Ainsi, des images, comme celles des vieux guidés à l’aide de cannes par des enfants eux-mêmes condamnés à devenir aveugles comme leurs parents, auxquelles on était habitué dans les villages tendent à disparaître à jamais.
Devant ces succès, les ministres de la Santé des 11 pays concernés réunis le 6 décembre à Ouagadougou ont décidé de mettre fin au 31 décembre 2002 aux activités de l’OCP. Toutefois, il est prévu des actions de surveillance dans la zone et particulièrement dans quelques foyers au Togo, au Ghana, en Guinée et en Sierra Leone où on note encore une «transmission résiduelle» de la maladie.