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Sciences

Greffe de visage: un avis pour rien ?

par Hédy SELLAMI

Article publié le 03/03/2004 Dernière mise à jour le 02/03/2004 à 23:00 TU

Dans un rapport rendu public mardi, le Comité consultatif national d’éthique se montre réservé sur les transplantations faciales. Reste à savoir si les chirurgiens renonceront à ce type d’opération.
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, mardi 2 mars, son avis concernant les greffes de visage. Rassurez-vous: il ne s’agit bien évidemment pas de poser la tête de A sur le corps de B. L’opération consiste simplement à prélever des éléments de peau, de muscles, de nerfs, voire d’os, sur la face d’un cadavre, appelé «donneur». Puis, à s’en servir pour réparer le visage d’une autre personne, le «receveur». Comme le précisent les spécialistes, une fois greffé, le patient se retrouverait avec une physionomie qui ne serait pas celle du donneur. «se retrouverait» car, pour l’instant, cette opération n’a jamais été réalisée. Plusieurs équipes sont cependant sur les rangs. Dont celle du professeur Lantieri, de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). C’est d’ailleurs ce professeur qui, le 19 février 2002, a saisi le CCNE afin que celui-ci examine les problèmes médicaux et éthiques posés par les transplantations faciales.

Or, le CCNE se montre très réservé quant à ces dernières. Que ce soit pour les cancers de la face, pour les tentatives de suicide par coup de pistolet, pour les blessures de guerre, pour les brûlures ou encore pour les malformations congénitales, la greffe du visage lui semble peu raisonnable. Et ce, notamment à cause des risques de rejet, qu’il juge importants. Risques qui obligent le receveur à prendre des médicaments anti-rejet pendant le restant de ses jours, avec des effets secondaires plus ou moins dangereux. Dès lors, pour le CCNE, les techniques traditionnelles sont préférables (prothèses, tissus prélevés sur le receveur lui-même). Toutefois, le CCNE n’exclut pas totalement le recours à la transplantation de visage. Selon lui, elle pourrait parfois être envisagée de façon limitée: lorsqu’il y a des séquelles tardives après une réparation faciale opérée par un procédé classique.

Légalement, les recherches peuvent se poursuivre

Le CCNE insiste également sur les troubles psychiques qui pourraient survenir chez le receveur au cas où, finalement, la transplantation du visage ne marcherait pas. D’autres se demandent si de tels troubles ne sont pas inévitables quand bien même l’opération marcherait. Certes, pour Gracieuse Paget-Blanc, psychanalyste, «Le visage est un élément du corps bien particulier. Mais il ne faudrait pas donner l’impression que seules les greffes de cet élément sont susceptibles de poser problème d’un point de vue psychologique. Tout greffé connaît nécessairement une période d’adaptation, que ce soit pour la face ou pour un doigt. Avec la face, le risque de problèmes psychiques sera d’autant plus grand que la personne avait des problèmes d’identité avant même son accident. Mais, à mon avis, si elle n’en avait pas, le fait que la transplantation concerne son visage ne pose pas plus de problèmes psychologiques que s’il s’agissait d’une main». Quant au professeur Lantieri, contrairement au CCNE, il paraît considérer que greffe faciale et greffe de main ne se différencient pas fondamentalement sur le plan technique. Hier soir, il n’a pas semblé vouloir renoncer à l’idée d’une transplantation de visage.

Il est vrai que, comme sa dénomination l’indique, l’opinion du CCNE est un simple avis consultatif. Juridiquement, rien n’empêche donc le professeur Lantieri, ou un autre, de continuer ses recherches comme il l’entend. Il n’en reste pas moins que si c’était le cas, l’autorité du CCNE en serait entamée. Mais les scientifiques prendraient un gros risque, notamment vis-à-vis de l’opinion. Celle-ci pourrait les voir comme des gens ne tenant pas compte le moins du monde de préoccupations morales.