par Dominique Raizon
Article publié le 02/01/2007 Dernière mise à jour le 02/01/2007 à 16:28 TU
Un peu plus de 150 000 Inuits vivent répartis entre l’Alaska, le Canada, le Groenland, la Scandinavie et la Russie.
(Photo : AFP)
«Les régions polaires comptent parmi les plus belles du globe. C’est également dans ces régions que la nature adresse en premier ses signaux d’alarme aux peuples qui y vivent de la dégradation de la couche d’ozone aux effets de la pollution chimique persistante», souligne Shafqat Kakakhel, directeur exécutif adjoint en charge du programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Il y eut déjà trois années internationales polaires : 1882-1883, 1932-1933 et 1957-1958 et «à peu près 60% de ce que l’on sait sur les régions polaires, en particulier sur l’Arctique, provient de l’effort de recherche effectué en 1958. La différence, aujourd’hui, c’est que la nouvelle année polaire s’inscrit dans un contexte de réchauffement climatique», explique Louis Fortier, directeur scientifique d’Arctic Net, réseau canadien de recherche sur l’Arctique. Les fonds alloués pour cette quatrième édition de l’API devront permettre d’étudier les phénomènes géophysiques des régions arctiques, mais la «dimension humaine» -sanitaire, économique et politique- est inscrite au cœur du cahier des charges des prochains programmes de recherche.
La fonte des glaces arctiques s’accélère : «Sur le plan scientifique, c’est fascinant. Sur le plan de l’environnement, c’est inquiétant. (…) A terme, la banquise va disparaître et la faune mythique avec elle (ours blancs, narvals, phoques). D’ici la fin du siècle, il y aura une ‘atlantisation’ de la faune. Mais il y aura d’autres impacts géopolitiques et socio-économiques, notamment en raison de l’ouverture convoitée du passage du Nord-Ouest. En fait, on peut voir l’Arctique comme un banc d’essai sur les gigantesques impacts qu’auront les changements climatiques sur nos sociétés», annonce Louis Fortier. Avec une contribution du quart du budget alloué à la recherche pour ce vaste programme d’études des pôles, le Canada est le principal bailleur de fonds de l’API, suivi par les pays scandinaves et les Etats-Unis. En finançant largement ce programme d’études, le but du Canada est d’inviter les chercheurs à s’intéresser à l’Arctique canadien, qui représente plus du tiers du pôle arctique.
Réchauffement climatique : l’impact humain
Les spécialistes de l’Arctique, région aujourd’hui considérée comme «baromètre» des changements climatiques, se limitaient par le passé à des observations biologiques, physiques ou géographiques. Les chercheurs continueront à s’intéresser à des sujets tel que la biodiversité des araignées arctiques. Ils poursuivront des études sur les écosystèmes comme celui par exemple du Lac Vostok, situé à quatre kilomètres sous les glaces de l’Antarctique, qui est unique en son genre car ses eaux n’ont pas été en contact avec l’atmosphère et la biosphère terrestre depuis des millions d’années : l’absence totale de lumière, un long isolement et une composition spécifique de l’eau laissent supposer que des formes de vie différentes de celles que connaît la science contemporaine pourraient être mises en évidence dans ce lac. D’après les spécialistes, l’étude de la glace et des eaux de ce lac devrait permettre d’établir un scénario de la part naturelle des changements climatiques dans les millénaires à venir et dans l’étude de la vie sur la planète. Ces travaux, financés par la Russie, constitueront, à terme, un important apport au programme de l’API 2007-2008. Globalement, les premières observations scientifiques des différents programmes devraient être collectées à partir du mois de mars, et devraient s’échelonner sur deux ans. A travers elles, les chercheurs étudieront «l’état du système [climatique] à l’heure actuelle et établir des prévisions sur son évolution au cours des cinq -voire des vingt- prochaines années», espère Louis Fortier. Les résultats des études ne seront pas disponibles avant 2009-2010.
Mais, pour cette quatrième édition de l’API, la santé des populations, leur adaptation au réchauffement planétaire, l’impact de l’activité humaine et du développement industriel sur l’environnement seront pour la première fois au cœur des interrogations. «Il est difficile de faire de la recherche comme nous le faisions il y a 50 ans. La science doit tenir compte des populations du Nord, les inclure de façon à ce qu’elles puissent tirer profit de la recherche. Nous essayons de nous assurer que nos découvertes seront pertinentes pour la politique publique», indique David Hik, spécialiste de l’Arctique à l’université d’Alberta (Canada).
Les Inuits : hier objet de la recherche, aujourd’hui acteurs
Le programme de l’API prévoit d’embaucher de la main d’œuvre locale et de développer des partenariats avec la population autochtone afin de former des chercheurs issus de la région. «Autrefois, les Inuits étaient des objets de recherche. Maintenant, ils veulent être des partenaires acteurs de la recherche», explique Louis Fortier. Un peu plus de 150 000 Inuits vivent répartis entre l’Alaska, le Canada, le Groenland, la Scandinavie et la Russie, des territoires qui jouxtent l’Arctique. Il s’agit aussi, à travers ces partenariats, de veiller à garantir aux populations du Nord un avenir plus sûr et plus prospère, alors que «l’Arctique est en passe de devenir une zone économique majeure en ce qui concerne les minéraux, l’extraction de gaz et de pétrole», souligne Shafqat Kakakhel.
L’Arctique est de plus en plus convoité pour ses ressources en énergie et en matières premières. «L’intérêt de l’industrie touristique et de la pêche commerciale, toutes deux désireuses d’exploiter les vastes et abondants stocks de poissons, a également augmenté. Tout cela représente à la fois une opportunité et une menace pour les peuples autochtones qui y vivent et pour la planète», souligne Shafqat Kakakhel. Yupiks, Inuits, Nenets, Tchouktches, mais aussi simples «continentaux» venus du sud de la Russie, des Etats-Unis ou du Canada vivent des ressources des pôles. Jusqu’à quand et Comment ?