Article publié le 27/09/2007 Dernière mise à jour le 27/09/2007 à 12:14 TU
Michel Kazatchkine, président du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose
(Photo : Unicef)
Les donateurs du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose sont actuellement réunis à Berlin. Pour le président du Fonds, Michel Kazatchkine, la lutte contre ces maladies a réalisé de grands progrès mais souffre encore de sous-financement.
RFI : La conférence de Berlin s’achève vendredi. Avez-vous déjà la certitude de remplir convenablement les caisses du Fonds mondial ?
Michel Kazatchkine : Non, je n’ai pas cette certitude. D’abord parce que je ne connais toujours pas le montant que certains donateurs apporteront dans leur contribution, dans cette journée de jeudi. Ensuite parce que, quels que soient les efforts et les espoirs que j’ai, je crains que nous restions toujours en deçà des engagements des chefs d’Etats du G8 en matière de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. J’espère que nous pourrons recueillir au moins ou plus de 8 milliards de dollars comme première contribution à la lutte contre les trois maladies, pour les années 2008 à 2010. Cela représenterait déjà un doublement de nos ressources par rapport à celles dont nous avons bénéficié dans la période des trois années précédentes.
RFI : Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire pour les populations menacées ou atteintes du sida, du paludisme, de la tuberculose ?
Michel Kazatchkine : Concrètement, c’est un espoir parfaitement justifié, puisque lorsque vous voyagez maintenant dans les pays en développement ou les pays affectés par ces maladies, vous verrez que le paysage est en train de changer. Il y a quatre ans, les gens n’avaient pas accès au traitement antirétroviral. Au moment où nous parlons, il y a deux millions cinq cent mille personnes dans le monde en développement qui accèdent au traitement du sida. Il y a quatre ans, la tuberculose et le paludisme ne bénéficiaient pratiquement d’aucun financement. Maintenant, avec les financements du Fonds mondial, dans les pays les plus touchés, on voit des diminutions tout à fait significatives de la prévalence. On voit aussi des baisses de la mortalité parmi les petits enfants, qui sont les premières victimes du paludisme, depuis qu’on a pu financer des programmes à très grande échelle de distribution de moustiquaires imprégnées, par exemple, pour prévenir la maladie.
RFI : Néanmoins pour le sida, 70% des malades ne sont pas sous traitement aujourd’hui.
Michel Kazatchkine : Effectivement. C’est environ 30% de la population mondiale qui a accès au traitement, avec de grandes inégalités. J’étais récemment en Asie centrale, dans certains pays, où il y a maintenant ce qu’on appelle un « accès universel au traitement ». Mais dans d’autres pays - notamment les pays les plus touchés de l’Afrique australe, où d’ailleurs plus de 80% des gens qui sont séropositifs ne se savent pas séropositifs - on est encore loin de l’accès universel.
RFI : En ce qui concerne la tuberculose, avec le développement de formes résistantes, est-ce que l’argent sert à quelque chose ?
Michel Kazatchkine : Oui, l’argent est justement là pour éviter la résistance, en traitant correctement la tuberculose non résistante là où elle doit être traitée. Car l’une des premières sources de résistance, c’est un traitement incomplet ou incorrect.
RFI : Parlons des pays donateurs, généreux ou pas. Les ONG se plaignent que la France ne donne pas assez au Fonds mondial. Quel est votre sentiment ?
Michel Kazatchkine : Je disais tout à l’heure que les pays du G8 sont les premiers donateurs du Fonds mondial, et que, pour l’instant, ils n’ont pas contribué au point que nous puissions, de façon réaliste, envisager d’aller vers l’aspect universel dans les trois prochaines années pour les trois maladies. Mais la France continue d’être, et sera –je crois— ce soir, au terme de cette conférence de reconstitution, le deuxième donateur au Fonds mondial, derrière les Etats-Unis, et le premier donateur européen. Donc la France, qui, quelque part, a été à l’origine du concept du Fonds mondial, après l’appel au traitement dans les pays pauvres du président Chirac et de Bernard Kouchner en 97 à Abidjan, reste à la pointe de ce combat.
RFI : La France s’engage sur trois ans pour 900 millions d’euros. [chiffre confirmé par le secrétaire d'Etat français à la Coopération, Jean-Marie Bockel. NDLR]. Contre un milliard et demi, pour la Grande-Bretagne, sur 8 ans. La Grande-Bretagne met beaucoup en avant son engagement sur un plus long terme.
Michel Kazatchkine : D’un côté, je trouve extrêmement intéressant qu’un pays s’engage sur 8 ans, parce qu’effectivement, la lutte contre ces maladies est un long combat, et qu’il nous faut avoir des ressources prévisibles, des ressources sur le moyen et le long terme. Comment peut-on débuter un traitement antirétroviral dans une population sans, en même temps, assurer ces gens que les ressources seront là dans les années qui viennent ? Donc la Grande-Bretagne démarre un mouvement en faveur de la « soutenabilité », de la pérennisation, et de la prévisibilité des programmes. Mais d’un autre côté, la Grande-Bretagne sur les trois premières années –celles qui nous concernent aujourd’hui dans la conférence, 2008-2010--, affiche une augmentation de seulement 10% par rapport à sa contribution des trois années précédentes. Ce qui est, à mon avis, très modeste. Vous parliez de la France tout à l’heure : la France augmentera, avec ses 900 millions de 30% sa contribution par rapport aux trois années précédentes.
RFI : Pouvez-vous nous expliquer également la signature d’une nouvelle initiative, qui s’appelle « dette pour la santé », très inédite, et qui a été signée lors de cette conférence de Berlin ?
Michel Kazatchkine : C’est un mécanisme tout nouveau de financement du développement. Le nom de « dette pour la santé » est très difficile à comprendre, mais le mécanisme en fait est assez simple : pour un certain nombre de pays endettés vis-à-vis de pays riches –et l’expérience pilote va porter sur 4 pays : l’Indonésie, le Pérou, le Pakistan, et le Kenya-- une partie de la dette qu’ils ont vis-à-vis des pays riches sera effacée, à condition qu’une partie de l’argent qu’ils devaient payer à ces pays soit réinvesti pour le financement des programmes du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose dans leur propre pays. L’accord a été signé entre l’Allemagne et l’Indonésie : l’Allemagne efface 50 millions d’euros de dettes que lui doit l’Indonésie, mais celle-ci s’engage à verser 25 millions d’euros au programme indonésien de lutte contre les maladies, soutenu par le Fonds mondial, et 25 millions d’euros sont, eux, totalement effacés. Donc c’est une reconversion d’une partie de l’argent dû, vers les programmes de santé dans les pays eux-mêmes.
RFI : C’est une véritable avancée, une trouvaille très prometteuse, selon vous ?
Michel Kazatchkine : Cela fait partie de ce que l’on appelle dans notre jargon « les mécanismes innovants de financement du développement ». Nous n’avancerons pas assez vite vers les objectifs du millénaire si nous ne trouvons pas, en plus de nos mécanismes traditionnels de reconstitution des fonds, des mécanismes additionnels, innovants, de financement. Le premier qui est arrivé, c’est la taxe sur les billets d’avion. Le second qui arrive aujourd’hui, c’est cet effacement de la dette, en échange d’un réinvestissement dans la santé.
RFI : Les systèmes de santé des pays pauvres ont-ils la capacité aujourd’hui d’absorber tous ces dons du Fonds mondial, et de les transformer ensuite en programmes qui marchent ?
Michel Kazatchkine : La réponse est : dans certains contextes, oui ; dans d’autres et dans de nombreux pays, les systèmes de santé sont insuffisants. C’est pourquoi il faut que les financements du Fonds mondial contribuent également au financement de ces systèmes de santé. Et ce n’est pas une notion abstraite. Dans un pays où plus de 50% des patients qui sont dans les hôpitaux sont des patients du sida, et plus de 50% des malades qui viennent en consultation sont des malades du paludisme, lutter contre le paludisme et le sida, c’est aussi lutter pour structurer les systèmes de santé, construire des infrastructures, payer du personnel de santé, et élaborer des mécanismes d’achat et de distribution des médicaments.
Entretien réalisé par Emmanuelle Bastide