par Manon Rivière
Article publié le 12/12/2007 Dernière mise à jour le 13/12/2007 à 18:49 TU
Pour consulter la carte des pays participant à la campagne pour éliminer les fistules, cliquez ici.
© UNFPA, Fonds des Nations Unies pour la population.
La fistule, « la lèpre secrète de la femme africaine », mal connue, est une pathologie qui résulte d’accouchements précoces ou difficiles. Elle consiste en une perforation de la paroi du vagin, qui entre ainsi en contact avec la vessie et/ou le rectum. En clair, la femme fistuleuse devient incontinente. Officiellement, la fistule touche 2 millions de femmes dans le monde.
« J’ai vécu le choc de la fistule en 1978. Depuis, je n’ai jamais abandonné ces femmes ». Le chirurgien français Ludovic Falandry, urologue à la retraite, se souvient très bien du jour où il a découvert l’existence des fistules. Il venait alors d’arriver au Burkina Faso, en tant que coopérant. « J’ai repéré une femme, allongée dans un coin de l’hôpital de Bobodioulasso. Une nuée de mouches planait au-dessus d’elle. Quand j’ai voulu l’aider à se mettre debout, un flot d’urine s’est déversé sur mes genoux. Je n’oublierai jamais cet instant terrible. »
Selon le dictionnaire Larousse, la fistule est « un canal accidentel qui fait communiquer un organe avec un autre ». Survenant souvent chez les très jeunes filles, la fistule dite obstétricale est provoquée par des accouchements difficiles et prolongés. Quand la tête du bébé appuie trop longtemps sur les tissus de la mère, qui finissent par se nécroser.
« La fistule est en fait une perforation qui entraîne un contact entre les voies génitales et les voies urinaires et/ou digestives de la femme », explique le docteur Thierno Ousmane Coulibaly, chargé du programme de la santé et de la reproduction auprès du FNUAP
Un trou de la taille d’une tête d’épingle pour les cas les moins graves, ou une béance informe et irréparable dans les situations les plus extrêmes.
Punition sociale
Encore mal connue, la fistule est une pathologie honteuse. Elle signifie souvent « incontinence et isolement » pour ces femmes déchirées dans leur intimité.
« La fistule est perçue comme une sanction », reconnaît le gynécologue Jacques Milliez. « La tradition veut qu’une femme qui a du mal à accoucher soit soupçonnée de tous les maux. On se dit qu’elle a sûrement mal agi dans son couple et qu’elle est punie pour cela ».
15 millions de femmes
L’une des raisons majeures de l’apparition de fistules reste l’absence de soins obstétriques d’urgence dans de nombreux pays en développement. En brousse, les femmes sont condamnées à se tordre de douleurs durant de longues heures, voire parfois plusieurs jours, avant que leurs proches ne se décident à les évacuer vers un centre de santé, parfois situé très loin de chez elles.
« Il faudrait suivre l’exemple éthiopien », estime Marie-Claude Tesson-Millet, la présidente de l'organisation non gouvernementale, Équilibre et Population, qui se charge d’opérer deux fois par an les femmes fistuleuses en Mauritanie.
« Là-bas, les anciennes fistuleuses se promènent sur les marchés avec un bâton d’1,5m et lorsqu’elles croisent une femme enceinte qui est plus petite qu’1,5m, elles l’orientent vers le centre de santé le plus proche, pour que sa grossesse soit convenablement suivie ».
L’Éthiopie figure en tête de pont des pays africains pour la lutte contre la fistule : sa capitale, Addis-Abeba, dispose depuis 1974 d’une clinique spécialisée dans le traitement des fistules.
Malheureusement, ce souci de sensibilisation ne pèse pas lourd dans un contexte socioculturel dominé par la tradition. Dans de nombreux pays d’Afrique, les filles continuent d’être mariées trop jeunes, parfois même à partir de leur dixième anniversaire. Ainsi, lorsqu’elles tombent enceintes, leur bassin est insuffisamment formé et trop étroit pour permettre le passage de l’enfant.
« On nous dit qu’il y a 2 millions de femmes fistuleuses dans le monde, s’exclame l’urologue Ludovic Falandry « mais moi, je doute de ce chiffre ! Si l'on se base sur les statistiques de la mortalité maternelle, je pense qu’il existe au moins 15 millions de fistuleuses qui attendent d’être sauvées ! »
Malgré ce tableau sombre, il existe quelques raisons d’espérer. En effet, si la fistule ne se guérit pas d’elle-même, elle peut être réparée dans le cadre d’une intervention chirurgicale. En cas de lésions simples et si l’opération a lieu dans les mois qui suivent l’accouchement, les chances de succès sont de l’ordre de 90%.
« Huit ans après mon accouchement, j’ai enfin été guérie de la fistule grâce à des chirurgiens français. Mais entre temps, mon mari m’a abandonné », témoigne Nette, une jeune femme mauritanienne.
Depuis le lancement en 2003 de la campagne du FNUAP pour l’élimination des fistules, plus de 30 pays africains ont décidé de mettre en œuvre des programmes de lutte contre ce fléau. Mais les moyens manquent.
« L’un des défis majeur reste l’absence de ressources humaines. Les autorités sont obligées d’aller chercher du personnel qualifié dans la sous région », déplore le gynécologue libérien John Mulbah, de l’hôpital J.F.K de Monrovia.
« Nous manquons de matériel médical, nous avons besoin d’une vraie salle d’opération et aussi de lits supplémentaires », lâche amer le Dr Salih el Tahir, seul gynécologue de l’hôpital de Zallingei, situé dans l’Ouest du Darfour, en proie depuis 2003 à la guerre civile.
Les conflits armés compliquent naturellement le travail des médecins. « En RDC, la questions des violences sexuelles vient malheureusement s’ajouter à celle de la fistule », confirme ainsi un gynécologue congolais.
Repères |
Les anneaux du logo de la Campagne pour éliminer les fistules symbolisent l'intégrité physique et le bien-être, ainsi que le partenariat. Dans de nombreux pays, les femmes se tressent mutuellement les cheveux une fois qu'elles sont remises de l'opération de la fistule. Les anneaux se chevauchent pour symboliser la guérison médicale, sociale, économique et psychologique. |