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Suède

Kiruna : bras de fer entre la mine et la ville

par Dominique Raizon

Article publié le 17/12/2007 Dernière mise à jour le 21/12/2007 à 09:12 TU

La mine de Kiruna, creusée dans les montagnes de Laponie, à quelque deux cents kilomètres au-dessus du cercle polaire arctique, est l’une des plus grandes mines de fer souterraines du monde. Son exploitation, par la société minière LKAB sous contrôle de l'Etat, pèse très lourd dans l’économie suédoise. Construite en 1900 autour de la mine de fer, la ville de Kiruna, quant à elle, compte aujourd’hui environ 20000 habitants. Face aux affaissements de terrain sous la ville, provoqués par les extractions minières, la société d’exploitation préfère engager des frais de déménagement de toute la ville plutôt que de fermer la mine. Un projet ambitieux et innovant.

Descente dans la mine de Kiruna.© Dominique Raizon / Rfi

Descente dans la mine de Kiruna.
© Dominique Raizon / Rfi

Jusque dans les années 1960, la mine était à ciel ouvert. Depuis, elle est exploitée sous terre. Dehors, la nuit est dense, il fait un froid sec. Carte magnétique, levée de barrière et le car amorce la descente. Les réflecteurs, régulièrement posés sur les flancs de la mine, réfléchissent la lumière des phares des véhicules. C’est la seule lumière qui éclaire cet espace gris anthracite, creusé de galeries, jusqu’à plus d’un kilomètre sous le sommet de Kiirunavaara. « Située au nord de la péninsule scandinave, la mine atteint des couches de masse minérale épaisses, parfois, d’une trentaine de mètres », souligne Anders Lindberg, responsable de la communication à LKAB.

Kiruna est la commune la plus septentrionale de Suède. Construite au pied du mont Kiirunavaara, la « montagne de la perdrix des neiges », et du Luossavaara, « la montagne du saumon », elle s’étend sur quelque 20 000 km², soit à peu près la moitié de la taille de la Suisse, abritant un peu plus de 22 000 habitants. Sous la ville, un vaste réseau routier s’étire sur quatre cents kilomètres. Les galeries, de 80 à 200 mètres de large, y sont reliées en quinconce le long d’un axe central qui descend en oblique, seule voie goudronnée de la mine, dont l’angle d’inclinaison est d’environ 60° sous la ville.

Plan de coupe de la mine de Kiruna.© LKAB

Plan de coupe de la mine de Kiruna.
© LKAB

En un siècle, un milliard de tonnes d’or gris

« Chaque nuit, lorsque la ville est paisiblement endormie, la veine de minerai de fer est dynamitée : l’explosion est provoquée à environ un kilomètre sous terre et, si les explosions ont lieu la nuit, c’est pour que l’air soit ventilé avant l’arrivée des équipes matinales », explique Anders Lindberg.

Essentiellement automatisé, le processus d’exploitation est contrôlé grâce à une batterie d’écrans sur lesquels il est possible de suivre les différentes étapes : de l’extraction au chargement télécommandé, en passant par le conditionnement.

Zone d’extraction du minerai.© LKAB

Zone d’extraction du minerai.
© LKAB

Des engins forent, des pelleteuses déversent, des machines broient, des camions et des wagonnets charrient. Diesel pour les camions, électricité pour les machines :  la ville grise et noire, qui s’agite sous la ville noire et froide, charge et transforme ainsi chaque jour, près de 80 000 tonnes de minerai avant leur exportation. « La mine, qui génère de l’emploi  pour 3 500 personnes -dont 1500 directement à la mine et un tiers sous-terre-, fonctionne sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre », explique Anders Lindberg.

Les fissures se creusent en surface

Eglise classée de Kiruna, bientôt déplacée.© Dominique Raizon / Rfi

Eglise classée de Kiruna, bientôt déplacée.
© Dominique Raizon / Rfi

« Il y a cent ans on savait déjà qu’il faudrait un jour déplacer la ville, mais on ne savait pas qu’il faudrait considérer les choses aussi rapidement », souligne Anders Lindberg : si en un siècle, en effet, plus d’un milliard de tonnes d’or gris ont sorties des entrailles de Kiruna, la zone urbaine est aujourd’hui menacée, ridée de fissures inquiétantes. Le long de la ligne de chemin de fer, qui permet d’acheminer le minerai jusqu’au port de norvégien de Narvik, les fissures se creusent. La route nationale et près de deux cents logements sont également classés zone à risque, ainsi que certains bâtiments, comme l’Hôtel de ville et la ravissante église en bois que d’aucuns considèrent comme une des plus belles de Suède.

Le phénomène n’est pas propre à la mine de Kiruna : toute exploitation de gisements souterrains créé des vides dans le sous-sol, pouvant provoquer des affaissements, des instabilités de terrain, voire des effondrements. Au fur et à mesure que l’exploitation s’étend au fond, les fissures se creusent en surface et provoquent des dégâts aux édifices et aux infrastructures. Ainsi, des cavités béantes peuvent apparaître, destructrices pour les constructions situées en aplomb ou des effondrements en cascade peuvent entraîner des déformations du sol, des changements de pente et un affaissement progressif des constructions.

Mais les géologues ont observé, en l’occurrence, que les fissures rocheuses évoluent beaucoup plus vite que prévu et estiment que le centre-ville de Kiruna devra être entièrement déplacé, avant 2033, si l’on veut éviter une catastrophe humanitaire. Certains bâtiments devront même déménager plus rapidement, à l’horizon de 2012-2013.

Un projet pharaonique encore à l’étude

Chemin de fer reliant Kiruna à Narvik en Norvège.© Dominique Raizon / Rfi

Chemin de fer reliant Kiruna à Narvik en Norvège.
© Dominique Raizon / Rfi

Déplacer toute la ville ? Oui. Pas d’autre choix. Kiruna a bâti sa richesse sur l’exploitation de la mine. Les réserves minères sont encore énormes mais si l'exploitation est poursuivie sur la lancée actuelle, c'est la ville qui tombe! En janvier 2007, le conseil municipal a donc choisi l’emplacement d'un nouveau centre-ville, au nord-ouest, à quelque cinq kilomètres du centre actuel, là où l’exploitation du minerai a cessé. Les projets d'aménagement sont encore à l’étude pour bâtir une ville moderne, attractive.

LKAB -« L » comme Luossavaara, « K » comme Kiirunavaara et « BA» comme Ltd.- a imaginé de tirer partie des contraintes de sécurité pour faire de Kiruna un nouveau pôle touristique attractif. Le projet est de créer deux sites proposant des activités diamétralement opposées nord/sud. L’opposition pourrait alors être matérialisée par l’implantation d'une station de ski au nord et d’un complexe de vaste piscine chauffée au sud, bassin qui serait bordé d’essences tropicales, sous une immense cloche de verre. Le projet est ambitieux et les fonds pour le réaliser sont à l’étude !