par Cerise Maréchaud
Article publié le 08/07/2008 Dernière mise à jour le 11/07/2008 à 08:37 TU
A 200 mètres avant que le fleuve ne se jette dans la Méditerranée, des dizaines d’immeubles -entre lesquels slaloment des bulldozers- se dressent tels une cité Lego sur la côte. Bienvenue à Mediterranea Saïdia, projet pilote du Plan Azur, fer de lance de la politique marocaine visant les 10 millions de touristes en 2010 : il s'agit d'une nouvelle ville de 715 hectares, qui doit accueillir, dès 2009, jusqu’à 30 000 vacanciers entre villas et hôtels de luxe, golfs 18 trous, centre commercial, beachclub et marina. « Deux fois Deauville », vante le management.
« Deux fois Deauville » « Un crime écologique », dénoncent Mohamed Benata et Najib Bachiri. L’un est ingénieur agronome à la retraite, président de l’Espace de solidarité et de coopération de l’Oriental ; l’autre, professeur d’anglais, a fondé l’association Homme et Environnement. Réunis au sein de l’Ecolo-plateforme du Maroc du Nord, le tandem emprunte chaque jour, en 4L, la route vers la station balnéaire de Saïdia, aujourd’hui trustée par le méga-projet.
Sur le bas côté, des adolescents vendent de l’essence de contrebande. Dans cette région longtemps exsangue et dépendante de la frontière algérienne voisine, Mediterranea Saïdia, qui annonce 8 000 emplois directs, fait figure de moteur pour doper l’économie.
Mais ceci se met en place au prix d’un scandale environnemental que fustigent les écologistes. La liste de leurs doléances est longue : destruction de 400 hectares de la forêt de Tazegraret, décimation du seul écosystème au Maroc d’une Juniperaie endémique (genévriers rouges et pistachiers de l’Atlas), rasage du cordon dunaire et de son couvert végétal qui stabilisait la zone, habitat naturel de tortues grecques, caméléons et chalcidès (lézards).
Plus de 600 espèces
Là, ne sont pas les seules espèces menacées par le projet. L’embouchure de la Moulouya est classée « site d’intérêt biologique et écologique » (SIBE) par l’ONU : un écosystème fragile, où se concentrent plus de 600 espèces, dont deux cents d’oiseaux –sarcelle marbrée, goéland d’Audouin, courlis à bec grêle, héron pourpré, poule sultane, crabier chevelu, balbuzard pêcheur, lion blanc (faucon), chat ganté, mangouste, seps rifain…: « Nombre d'entre-elles sont menacée à l’échelle mondiale », explique Najib Bachiri. L’Union internationale pour la conservation de la nature était récemment sur place pour compléter sa liste rouge sur la biodiversité des zones humides en Afrique.
« En privatisant 7 kilomètres d’une plage populaire, Mediterranea Saïdia va accroître la pression anthropique sur la Moulouya, déplore Mohamed Benata. Le prélèvement de l’eau en amont du SIBE va affecter le débit naturel de l’oued, a fortiori l’humidité et la salinité de l’embouchure. En aval, les eaux usées ne peuvent que polluer le site. Et tous ces golfs, accroître le stress hydrique dans une région déjà assoiffée ».« Auparavant, ce coin était un marécage qui produisait zéro dirhams, minimise Mohamed Ibrahimi, gouverneur d’Oujda. Entre l’écologie et des emplois, mon choix est fait. Quatre autres stations vont bientôt voir le jour », poursuit-il en assurant que des études d’impact environnemental ont été faites. « Mensonge, ou incompétence », rétorque Najib Bachiri, rappelant que le Maroc n’a toujours pas de Loi Littoral.
« Fous anti-développement » ?
Selon Mohamed Ibrahimi, la viabilité même du projet touristique est contestable : bétonnage et déforestation empêchent le drainage des eaux pluviales, causant des inondations sur le site et dans l’arrière-pays. Pointant le va et vient des tracto-pelles, Mohamed Benata dénonce le « pillage du sable de la plage par des promoteurs pour assécher le sol de leurs résidences ».
L’abrasement du cordon dunaire aggrave l’érosion côtière et l’ensablement des constructions. Et le risque d’élévation du niveau de la mer par le réchauffement climatique (le site pourrait être immergé d’ici 2050), étudié par professeur Maria Snoussi de l’Université Mohammed V de Rabat, n’a pas été pris en compte.
Les écologistes sont ulcérés du silence des élus et du ministère de l’Environnement, tandis qu’eux sont vus comme des « fous anti développement ». Mais la biodiversité n’est pas non plus le souci des locaux. Abdellah Mkadmi, garde de sécurité, hausse les épaules : « Les problèmes écologiques ? Je n’en sais rien. Pour moi, c’est surtout un endroit fermé pour riches, il n’y a pas grand-chose à gagner ».
Pour en savoir plus :
Site de l'Union mondiale des écologistes (UICN)