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Jeux olympiques 2012

La France en état de choc

par Dominique Raizon

Article publié le 07/07/2005 Dernière mise à jour le 07/07/2005 à 18:21 TU

La défaite est en général toujours amère, elle est d’autant plus douloureuse que la conviction de gagner était forte.(Photo : AFP)

La défaite est en général toujours amère, elle est d’autant plus douloureuse que la conviction de gagner était forte.
(Photo : AFP)

L’ensemble de la presse française se fait l'écho jeudi 8 juillet, d’un état d’esprit qui oscille entre consternation, tristesse, rancœur et colère alors que la Ville-lumière, qui était annoncée gagnante s’est vue doublée à la dernière minute par les Britanniques, devant ainsi renoncer à ses rêves. Accusations et interrogations vont bon train aujourd’hui. Si cette défaite constitue une nouvelle déconvenue pour le chef de l’Etat, elle est aussi une déception d’autant plus douloureuse pour la majorité des Français que Paris, et derrière elle l’ensemble du pays, croyait fermement remporter les suffrages pour les Jeux de la XXXe olympiade.

Le président Jacques Chirac, dès son arrivée hier à Gleneagles pour le sommet du G8, a reconnu être «comme tous les Français, naturellement déçu par ce jugement du Comité» sans omettre de saluer «le travail fantastique de présentation, d’élaboration, de conviction» effectué par l’équipe française ayant en charge le dossier. Il est vrai que, engagé en faveur de cette candidature, le président Jacques Chirac comptait aussi sur cette victoire pour enrayer la chute de sa cote de popularité. Amer, Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris, a déclaré de son côté éprouver «beaucoup de tristesse». Maintenant, au-delà de sa propre déception, Bertrand Delanoë va devoir également gérer celle des Parisiens -déconfiture qui est à la mesure de leurs espérances- au lieu de se réjouir d’un succès médiatique. Laurent de Boissieu et Mathieu Castagnet évoquent pour le journal la Croix :«ce coup dur» et parlent d'une «mauvaise nouvelle politique», évoquant la mise à profit du succès qui, s'il s'était avéré, aurait joué en faveur d'une possible candidature présidentielle en 2012.

La défaite est en général toujours amère, elle est d’autant plus douloureuse que la conviction de gagner était forte. Du côté de la population, à l’annonce de la nouvelle, les émotifs les plus impliqués ont parfois éclaté carrément en sanglots, tandis que les plus colériques ont hurlé à «la magouille» et dénoncé «un pur scandale». La surprise passée et le choc encaissé, des chefs d’entreprise des jeunes et des chômeurs qui espéraient un coup d’accélérateur de l’emploi affichent aujourd’hui leur dépit. La défaite signifie concrètement la perte de 14 000 emplois liés à la seule tenue des Jeux et de 42 000 emplois pérennes entre 2012 et 2019; elle entraîne aussi le renoncement aux 35 milliards d’euros de retombées économiques promises à la ville lauréate par différents cabinets internationaux de consultants.

De fait, au total, personne ne comprend vraiment ce qui s’est passé : à la tête du Comité international olympique (CIO) le président voulait réduire la taille et le coût des Jeux, la France répondait le mieux aux exigences et pourtant le comité n’a pas accordé sa confiance au dossier qui paraissait offrir le plus de garanties sur le papier. Donc, tout le monde s’interroge : «Que s’est-il passé pour que Londres l’emporte dans l’attribution des Jeux olympiques 2012 ? ».

En ce qui concerne le monde sportif, «la détresse de Marie-José Pérec et le dépit de Douillet»  font l’objet d‘une page dans le Parisien. La triple championne olympique a déclaré : «Je crois surtout que c’est une plus une sanction qu’autre chose. Notre dossier était excellent. On n’aurait pas pu mieux faire. Et quand on repense que Londres a fait faux bond à la Fédération d’athlétisme au moment d’organiser les Championnats du monde… comment peut-on leur faire confiance ? (…) je me suis vite dit que cela allait bien au-delà du sport (…) Où sont les valeurs de l’olympisme dans tout ça ?». David Douillet, double champion olympique de judo, bat sa coulpe : «C’est certain que l’on n’a pas énormément parlé avec les sportifs au sein de notre candidature. Peut-être que si l’on avait été plus en avant…». Mais il pointe aussi le doigt sur des raisons politiques: «On doit comprendre que le CIO ne veut pas de nous. Apparemment la politique a joué un rôle important. Beaucoup de voix émanant des pays de l’Est qui piétinent aux portes de l’Europe, ne se sont pas reportées vers nous». Bernard Amsalem, président de la Fédération française d'athlétisme abonde dans le même sens : «Il y a sans doute des arguments qui ne sont pas sportifs, qui sont de type géopolitique, qui ont dû l'emporter, et ça, ça me questionne».

«Blair dédie son triomphe à la jeunesse du monde»

 «J’ai rencontré de nombreux membres du CIO qui m’ont dit ‘on ne comprend pas’, a déclaré Bertrand Delanoë. (…) Je respecte la victoire de Londres (…) simplement je ne suis pas sûr que, par rapport aux règles de la compétition nous ayons procédé de la même manière». Interrogé par le Figaro, le maire de Paris y déclare : «Notre dossier était excellent, notre état d’esprit était vraiment en adéquation avec le sport et l’olympisme. Ce sont d’autres choses qui ont amené la victoire de Londres. Mais je ne suis pas sûr qu’elles soient de l’ordre du sport». Le quotidien la Croix rapporte par ailleurs le propos d’un membre du Conseil de Paris qui dénonce «une injustice flagrante. Le lobbying parisien a moins bien fonctionné que celui des Anglais», analyse partagée par l’ancien sprinter tricolore Bruno Marie-Rose selon lequel «Paris a joué la carte de la vertu. Elle était sans doute trop en avance sur les mœurs de son temps».

En somme, le doute plane sur la loyauté des gagnants, tandis que les éditorialistes politiques mettent eux en avant le dynamisme de Londres, s’interrogent sur l’image de la France dans le monde et soulignent comment les deux stratégies observées pour défendre le dossier ont été diamétralement opposées. Paris avait certes un «dossier solide», mais le Figaro met l’accent sur l’«habileté politique indubitable» du Premier ministre qui ne s’est pas adressé seulement aux Britanniques. Bref, les uns parlent d’«habileté» britannique là où les autres parlent de manque de fair-play, mais il s’agit des deux versants d’un même savoir-faire. La France manquerait-elle de ce savoir-faire ?

Henri Sérandour, président du CIO français reconnaît qu’une fois en lice avec Londres, et peut-être trop sûre de son avance, la France a probablement négligé «de regarder dans ses rétroviseurs, ce qui lui aurait permis de voir son adversaire revenir sur elle et de tisser des alliances, ce qu’elle n’a jamais fait». Il a ajouté : «On m’a aussi dit que Londres avait un programme sportif entouré de politique et que Paris avait un programme politique entouré de sport». Selon le politologue Pascal Boniface : «C'est une victoire exceptionnelle pour Tony Blair (…) Peut-être que le CIO a pensé que le vent de la modernité soufflait plus du côté de Londres que de Paris.». Cette analyse est partagée par les quotidiens francophones la Libre Belgique, le Soir, la Dernière heure : «Hier, la géopolitique a rattrapé une simple élection olympique. Elle est restée dans l’air du temps».

Le quotidien Libération posait la question : «Pourquoi, après dix ans de chiraquisme, la France croit-elle si peu en elle qu'elle ait besoin du miroir de l'olympisme pour s'admirer ? ». Morose et déroutée par l’échec, la France n’aurait-elle pas intérêt maintenant à s’interroger davantage sur son rayonnement dans le monde : l’éditorial du Washington Post, à Washington encensait aujourd’hui: «Blair [qui] a fait de  la capitale britannique le centre européen de la finance, la Mecque des artistes et un aimant pour tous les talents d’Europe et du monde».