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America, le défi qui fait rêver les milliardaires

par Marc Verney

Article publié le 22/06/2007 Dernière mise à jour le 22/06/2007 à 13:46 TU

Aujourd'hui comme hier, les régates de la Coupe de l'America sont toujours spectaculaires.(ACM 2007/photo: Vincent Bosch)

Aujourd'hui comme hier, les régates de la Coupe de l'America sont toujours spectaculaires.
(ACM 2007/photo: Vincent Bosch)

A partir du 23 juin 2007, le bateau de l'équipe Emirates Team New Zealand affronte le navire suisse Alinghi dans les régates finales de la Coupe de l’America, à Valence en Espagne. La mission des Néo-Zélandais est simple : ramener le trophée dans l’hémisphère sud et faire oublier la lourde défaite 5-0 de la 31e Coupe qui avait vu les Helvètes d’Alinghi installer l’aiguière en argent massif sur les rives du lac Léman. Voici pourquoi un trophée d’un mètre de haut en argent ciselé fait régulièrement vibrer le monde de la mer.

Le plus ancien trophée de toute l’histoire du sport est né en Angleterre en 1851, à l’occasion de la première Exposition universelle. Une des manifestations phare de cet événement est une grande régate autour de l’île de Wight, dans le sud du pays, la Coupe des cent guinées. Nation maritime par excellence, l’Angleterre victorienne veut, avec ce défi, asseoir sa suprématie sportive et économique sur l’eau. Les règles sont simples : il s’agit de parcourir le plus vite possible 53 miles dans le sens des aiguilles d’une montre autour de l’île de Wight; le départ et l’arrivée se situant devant le port de Cowes.

La jeune nation américaine décide de relever ce défi et envoie l’America, une goélette de 39,60 m de long et de 153 t bâtie par John Cox Stevens, un riche industriel, commodore du New York Yacht Club. Le deux mâts américain, arrivé le 30 juillet non loin des côtes de la Grande-Bretagne frappe d’emblée un grand coup, le Lavrock, un des navires britanniques les plus performants du moment, est aisément distancé par les Américains qu’il était venu accueillir. Les Anglais, tétanisés par l’enjeu et inquiets de voir l’Amérique leur voler le leadership en matière maritime, ne se pressent pas pour aller affronter le redoutable voilier America.

La goélette l'<i>America</i>, qui remporte la Coupe des cent guinées en 1851. 

		(Collection François Chevalier)
La goélette l'America, qui remporte la Coupe des cent guinées en 1851.
(Collection François Chevalier)

Une course est finalement organisée le 22 août 1851. Il y a quatorze voiliers opposés à l’America. Des goélettes et des cotres pour la plupart. L’une des armes secrètes des Américains, ce sont les voiles : elles sont en coton et exploitent mieux le vent que celles des Britanniques, en lin. Le départ des Américains est cependant mauvais. Devant la reine d’Angleterre, venue assister au départ de la régate sur son yacht, America met une heure et demie à remonter ses concurrents. Mais après, c’est l’humiliation pour les Britanniques. Seul à tenir tête au voilier de John Cox Stevens, l’Arrow s’échoue sur un écueil; l’America peut alors franchir l’arrivée huit minutes devant son dernier concurrent l’Aurora, dix heures et trente-sept minutes après son départ du port de Cowes.

Humiliation britannique

Et même si la victoire américaine ne se déroule pas dans des conditions parfaitement limpides –America aurait «coupé» par le chenal de l’île de Wight- le Royaume-Uni voit partir la Coupe des cent guinées aux Etats-Unis dès sa première édition. Un bon mot contribue à installer la Coupe dans sa légende : demandant à un marin de son équipage quel navire était arrivé après l’America, la reine Victoria aurait obtenu cette réponse laconique : «Votre Majesté, il n’y a pas de second».

Au micro d'Arielle Cassim, l'architecte naval François Chevalier raconte la Coupe de l'America :

François Chevalier

Architecte naval, auteur d'«America's Yacht Design»

«Les Néo-Zélandais sont de très grands marins, le niveau de leurs barreurs est nettement supérieur».

Les Américains sont les maîtres de la Coupe

Arrivée au New York Yacht Club, la Coupe des cent guinées est débaptisée et devient une compétition internationale sur l’insistance de l’un des associés de John Cox Stevens. La Coupe de l’America est née. George Schuyler va, de plus, fixer les règles de sa remise en jeu. Le «Deed of gift», véritable texte fondateur de la Coupe, est envoyé le 21 juillet 1857 à une vingtaine de yachts clubs dans le monde entier.

Pendant 132 ans et 24 épreuves, les Américains resteront maîtres du trophée, avec un «Deed of gift» souvent tourné à leur avantage. Notamment jusqu’en 1958, avec la règle qui imposait que le bateau challenger doive naviguer par ses propres moyens jusque sur les lieux de la régate. Les bateaux anglais, qui devaient traverser l'Atlantique pour participer à la compétition, étaient systématiquement plus lourds et moins manœuvrant que les bateaux américains qui, eux, régataient à domicile.

Somptueuse classe J

C’est l’époque des tycoons, ces flamboyants capitaines d’industrie qui mettent leur fortune au service de la conquête du trophée, une «vieille timbale», dira à l’époque Sir Thomas Lipton, magnat du thé, qui passera trente années de sa vie a essayer de faire revenir la Coupe de l’America en Grande-Bretagne. Les plus beaux voilier de la Coupe furent construits durant cette période, dont notamment les somptueux classe J, Rainbow, Endeavour ou Ranger qui s’affrontaient entre les deux guerres. Pour la compétition, rien n’était trop beau. Ces véritables cathédrales de toile (2 200 m2) pouvaient atteindre 40 mètres de long, 165 tonnes et avoir jusqu’à 31 hommes d’équipage.

Défis multiples

En 1970, c’est le début d’une nouvelle époque pour la vénérable Coupe de l’America. Pour la première fois en effet, le New York Yacht Club reçoit deux défis en simultané. Il faut organiser des éliminatoires afin de savoir qui aura, des Français et des Australiens, le droit d’affronter les Américains. Treize années plus tard, le principe des régates de challenger est acquis : c’est la Coupe Louis Vuitton qui voit s’affronter sept compétiteurs représentant cinq nations. C’est aussi en 1983 que la Coupe change de mains : John Bertrand, sur Australia II bat Dennis Conner et met fin aux 132 années d’invincibilité américaine.

En 1995, la Coupe de l’America échappe une fois encore aux Américains. Le trophée est aisément gagné par les Néo-Zélandais avec Black Magic. L’histoire rebondit en 2003 avec la victoire des Suisses d’Alinghi. Le team helvétique est le premier à ramener la Coupe en Europe depuis 1851.

Et les Français ?

Dans la France des années 70, la Coupe de l’America est associée au nom du baron Bich. Le cofondateur de l’entreprise de stylos à billes Bic se lance en 1966 dans l’aventure alors que l’Hexagone ne possède aucune expérience dans la construction des très pointus voiliers de la Coupe de l’America de l’époque, les 12-Mètres. L’idée de Bich est de demander, en 1969, à un ingénieur naval connu, Britton Chance, de lui dessiner un 12-Mètres prototype, Chancenegger, construit secrètement en Suisse, dans les chantiers d’Hermann Hegger. Les plans serviront de base au travail de l’architecte naval André Mauric pour créer le navire du défi français. France I est finalement bâti grâce aux équipes suisses à… Pontarlier, dans le Jura afin de respecter la clause de nationalité inscrite dans le «Deed of gift» de la Coupe de l’America. Mais ces ingénieux transferts de technologie ne servent pas le baron Bich. Par quatre fois, en 1970, 1974, 1977 et 1980, le défi français rate les qualifications pour la finale et sort de la Coupe de l’America en n’ayant remporté qu’une seul régate en finale de la coupe éliminatoire, en 1980, grâce à son skipper inspiré, Bruno Troublé. C’est Marc Pajot, le marin au long cours, vainqueur de la Route du Rhum 82, qui va prendre la relève. Si, en trois campagnes (de 1987 à 1995), le navigateur ne peut dépasser le stade des demi-finales, il fait entrer la Coupe dans l’ère du sponsoring moderne avec un bateau qui porte -une première dans l’histoire de la compétition- le nom d’une marque. Puis, en 2001, c’est une nouvelle équipe qui naît : nommée un temps K-Challenge elle est rebaptisée Areva Challenge en 2006. A Valence, ce défi français s’est classé 8e des premiers tours de la Coupe Louis Vuitton 2007.

Pour en savoir plus :

Le site internet de la Coupe de l’America (lire)

Toute l’histoire de la Coupe de l’America, tous les plans des voiliers engagés…
un ouvrage monumental en français et en anglais : America’s cup yacht design (par François Chevalier et Jacques Taglang), disponible chez les auteurs, 25, avenue Philippe-Auguste, 75 011 Paris, France.

Cinquante histoires de la Coupe. L'ouvrage de Grégory Magne, journaliste, spécialiste de la voile, nous emmène à travers l'histoire, longue et riche en rebondissements, de la Coupe de l'America... Coupe de l'America, 150 ans de défi est paru chez Timée Editions.

Bruno Troublé

Organisateur de la Coupe Louis Vuitton

On ne peut pas rêver meilleur scénario pour la Coupe de l'America 2007.

29/06/2007 par Arielle Cassim