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Tennis

Selima Sfar, «fière d’être Africaine»

par Jean-François Pérès

Article publié le 27/05/2008 Dernière mise à jour le 27/05/2008 à 20:05 TU

La Tunisienne Selima Sfar.(Photo : AFP)

La Tunisienne Selima Sfar.
(Photo : AFP)

Même si la pluie a reporté à jeudi le rendez-vous, la Tunisienne, seule représentante du continent africain dans les tableaux finaux de Roland-Garros cette année, s'apprête à affronter l’une des étoiles du circuit, l’Américaine Venus Williams. Un 2ème tour que Selima Sfar, 30 ans, attend avec gourmandise. Dans ce long entretien à RFI, l’ex-numéro 75 mondiale (aujourd’hui 241ème) évoque sa passion intacte pour le tennis, sa condition de championne arabe, ses rêves de médaille olympique… mais aussi l’inquiétante absence de relève continentale.

RFI : A 30 ans, savourez-vous toujours aussi intensément une présence au 2ème tour d’un tournoi du Grand Chelem ?

Selima Sfar : Cela fait bientôt 15 ans que je joue au haut niveau. J’ai déjà été au 2ème tour de tous les tournois du Grand Chelem. C’était normal, vu mon classement de l’époque autour de la 70ème place. Là c’est différent. Je n’ai pas été épargnée par les blessures, et j’ai continué à bosser. Bien jouer maintenant et ici, ce n’est pas une coïncidence, c’est le résultat du travail, de la fierté que j’y mets. Il y a eu un déclic en qualifications. J’ai fait trois bons matchs, sans perdre un set, puis j’ai gagné mon premier tour. C’est une énorme bouffée d’oxygène, un grand plaisir.   

RFI : Depuis combien de temps n’étiez-vous pas entrée dans le tableau final d’un tel tournoi ?

SS : Trois ans. J’y suis toujours en double, mais en simple, ça fait bizarre... Ce n’est pas évident de gérer tout ça, quand on est habituée à entrer directement, sans passer par les qualifications. Donc il faut prendre le maximum de plaisir sur le moment, bien en profiter et emmagasiner de la confiance pour les périodes plus délicates.

RFI : En 2005, vous ne cachiez pas votre lassitude du circuit. 

SS : Je régressais à ce moment-là. Je m’apercevais que ça devenait vraiment dur mentalement, j’avais du mal à me maintenir dans le Top 100. Ca ne me surprend  pas d’avoir tenu de tels propos. Il n’y a pas longtemps encore, j’étais dans cet état d’esprit. Mais il y avait toujours une étincelle, et puis ce physique que j’ai travaillé et qui me permet de tenir. J’ai selon moi l’un des meilleurs physiques sur le circuit, je le travaille au quotidien. Mais c’est surtout la passion, l’amour de ce sport qui me tient. Les amis que j’ai sur le circuit, c’est mon monde à moi, quoi.

RFI : A quoi ressemble votre vie le reste de l’année ?

SS : Depuis 15 ans, toutes les semaines, faire les bagages, prendre un taxi pour l’aéroport, aller à l’hôtel… Bon, on s’habitue, c’est notre routine, notre travail, même si c’est parfois pesant, on est bien chez soi, on aimerait bien rester plus de deux jours à la maison. Au fil des années, c’est de plus en plus dur. L’humeur dépend des tournois, et des résultats qu’on obtient. La victoire donne évidemment plus d’énergie, de plaisir.

RFI : Traversez-vous des moments de solitude parfois, de remise en question, dans des petits tournois, un soir de défaite ?

SS : Bien sûr, mais ça renforce. Il faut accepter ces moments. Quand on gagne, on a quand même une belle vie, d’énormes avantages. Les côtés négatifs ne doivent pas prendre le dessus, et puis il faut passer par là pour vivre de meilleurs moments comme ceux que je vis actuellement. J’ai mis des années à comprendre ça. J’ai appris à relativiser. C’était plus dur quand j’avais 16-17 ans.

RFI : La perspective de jouer face à Venus Williams pour l’un des matchs les plus prestigieux de votre carrière, est-ce une récompense ou une belle surprise ?

SS : C’est énorme ! C’est un moment privilégié, qu’on ne vit pas tous les ans. Jouer contre une telle championne, sur un grand court à Roland-Garros, c’est fabuleux. C’est un rêve pour moi. Je vais y aller sans retenue, avec beaucoup de plaisir.

RFI : En plus, vous dites aimer la foule, la pression… Vous allez être servie.

J’aime ça, oui et non. Là, je viens de gagner quatre matchs brillamment, j’ai l’impression de mériter ce qui m’arrive. Du coup, j’ai envie de me faire plaisir, d’affronter une grande joueuse sur un grand court. Je suis bien dans ma peau. En revanche, quand je manque de confiance, je préfère l’anonymat, la solitude. Ca dépend en fait de mon état d’esprit, de ma confiance.

RFI : Depuis votre titre de championne d’Afrique à 17 ans, en 1994, vous n’avez pas eu à bousculer une énorme concurrence sur le continent, hormis peut-être la Sud-Africaine Amanda Coetzer ou les sœurs malgaches Randriantefy. Comment vivez-vous dans ce désert africain ? 

SS : On sait quand les joueuses arrivent au plus haut niveau, il y a des années de travail derrière. C’est sûr que si le nécessaire n’a pas été fait, aussi bien par les fédérations que par les joueurs, que le sacrifice n’a pas été consenti, c’est sûr qu’au bout d’un moment, il n’y a plus personne. C’est très dommage, mais en même temps j’espère que ça va constituer un déclic pour dire qu’il faut s’y remettre, que c’est faisable surtout. Quand même, tout un continent, un beau, un énorme continent comme l’Afrique, presque pas représenté…

RFI : Avec 52 pays en tout... Le manque d’argent explique-t-il tout ?

SS : Non, c’est plus un problème de mentalité, un ensemble de choses. Regardez les pays du Golfe, ils sont extrêmement riches, et pourtant, ils ne sortent pas beaucoup de sportifs de haut niveau. Bien sûr, les moyens, ça aide à former les jeunes. Mais le plus important, c’est la mentalité, la discipline qui découle de cette mentalité, la rigueur, le travail, la motivation, l’ambition, la confiance en soi. De ce côté-là, je pense qu’on a encore un peu de lacunes, et cela ne vient pas du jour au lendemain. Si à ma modeste mesure, je peux prouver que c’est possible, même à 30 ans… J’aimerais pousser, encourager, les jeunes à y croire.    

RFI : Avez-vous la fibre africaine ?

SS : Bien sûr. En 1994, quand j’ai été championne d’Afrique pour la première fois, j’ai pleuré une heure après le match tellement j’étais fière. Et j’ai encore la médaille ! Alors oui, en tant que Tunisiens, on regarde aussi vers l’Europe et les autres pays arabes, mais croyez-moi, on est Africains et on en est fiers, moi en tout cas je le suis. J’ai la fibre africaine et arabe. A 100% !

RFI : Comment vivez-vous le fait d’être l’une des rares championnes arabes ?

SS : Sans problème. Je n’ai jamais reçu de menace, si c’est de cela que vous voulez parler. Au contraire, les gens ont toujours été fiers, ils m’ont toujours encouragée. Le problème ne vient pas de la religion, mais du statut de la femme arabe. Avec notre culture, il n’y a pas beaucoup de femmes dans le sport de haut niveau. C’est, aujourd’hui encore, plus facile pour une famille ou une fédération de pousser un garçon à devenir un champion plutôt qu’une fille. Par culture, par mentalité. Ca évolue, heureusement. Mais une femme sportive, ça reste intrigant, ça attire l’attention. Tant mieux, finalement, si ça peut donner des idées à certaines.

RFI : Quel rôle a joué votre grand-père, Habib Cheikhrouhou, dans votre carrière ? Il fut un personnage important, fondateur du premier journal arabophone de Tunisie, Dar Assabah, il a eu des problèmes avec les autorités coloniales françaises…

SS : Mes parents étaient d’accord pour que je parte, que j’en aie le cœur net, savoir si j’étais faite pour le tennis. Mais c'est mon grand-père, qui était pourtant quelqu’un de très religieux, qui m’a poussée. Il a compris ce que je voulais. Je tiens un peu de lui pour la force de caractère. Son aide m'a été très précieuse. 

RFI : On a du mal à imaginer une petite Tunisienne prendre ses balles et sa raquette, aller jouer au tennis. On imagine plus une passion pour l’athlétisme, ou les sports collectifs… Etes-vous consciente de cette originalité ?

SS : Quand j’étais enfant, le tennis c’était juste « normal ». Mon école était collée à la maison de mon grand-père, qui était collée au tennis-club. C’était le lieu de rencontres des jeunes du quartier. Jusqu’à l’âge de 12-13 ans, je n’ai jamais pensé à en faire un métier, c’était juste une passion, un jeu. Et tant mieux d’ailleurs : je pense que cela m’a permis d’aimer encore le tennis aujourd’hui, je n’ai pas de saturation comme d’autres joueuses qui ont commencé plus tôt.

RFI : Vous arrivez en France, à Biarritz, à 13 ans. Quels souvenirs en gardez-vous ?

SS : J’ai été très bien accueillie, même si fatalement j’ai eu des moments de solitude dans une famille d’accueil que je n’avais jamais vue. Je ne parlais pas forcément très bien français à l’époque… Et puis je viens d’une famille très unie, la rupture fut difficile. Je savais que je pouvais rentrer du jour au lendemain si je sentais que je ne pouvais plus tenir, mes parents me l’avaient proposé. Mais je ne voulais pas, je voulais tenter ma chance. Jamais je ne me suis dit que j’allais rentrer. Il m’est arrivé pourtant de pleurer trois jours de suite après une visite de la famille… Des gros coups de blues, oui, mais pas de renoncement.

RFI : C’est à Biarritz que vous faites la connaissance de Nathalie Tauziat, ex-numéro 3 mondiale, que vous surnommez « Le Professeur »…  

SS : Elle m’a apporté toute son expérience. Elle a joué jusqu’à 35 ans, atteint la finale à Wimbledon, obtenu son meilleur classement à 33 ans…

RFI : Ca donne des idées ?

SS : Oui, même si je ne me compare pas à elle. Elle a un tel palmarès ! Mais on a un point commun, ce jeu d’attaque, de service-volée qui nous permet peut-être de durer plus longtemps que d’autres. Elle a également beaucoup de rigueur, de discipline. Elle m’a montré la voie à suivre. On se voit souvent, d’autant qu’elle est mon capitaine d’équipe au Racing Club de France-Lagardère.

RFI : Comment a évolué votre jeu depuis 1999 et vos débuts professionnels ?

SS : J’ai un meilleur fonds de jeu. Les filles d’aujourd’hui sont de plus en plus physiques, elles frappent de plus en plus fort. Donc si on veut attaquer il faut avoir un service et un retour très solides, des bases fortes pour prendre le filet le plus vite possible. Hélas il y a de moins en moins de variations dans le jeu, et l’évolution générale du tennis n’est pas très esthétique. C’est pour cela que la retraite de Justine Hénin est triste. Elle jouait tellement bien…

RFI : Que représentent pour vous les Jeux Olympiques de Pékin ?

SS : Un rêve énorme ! Une médaille olympique, ce serait fabuleux. Je donnerais tout ce que j’ai pour ça. Entre une finale de Grand Chelem et un podium olympique, je prends le podium, pas de problème !

RFI : De quoi dépend votre participation aux JO ?

SS : Du Comité international olympique et de la Fédération internationale de tennis, qui décident qui doit participer pour l’Afrique. Pour entrer directement dans le tableau, il faut être dans les 50 premières. Comme il n’y a personne en Afrique à ce niveau-là, ce sont les instances qui tranchent. En tant que numéro 1 africaine, on peut dire que c’est un bon argument… Mais ce n’est pas si évident, il y a beaucoup de critères qui entrent en compte. Le choix sera fait le 2 juillet.

RFI : Les Jeux pour vous, c’est une affaire individuelle ou collective ?

SS : Des échéances individuelles, j’en ai toute la saison. Si je tiens tant à aller aux Jeux, c’est pour la performance collective. C’est pour mon pays, pour la nation arabe, pour tous les gens qui me suivent. Ce serait ma fierté. Je suis une petite ambassadrice du monde arabe, parce que je suis la seule à le représenter à ce niveau-là. Quand je joue des grands tournois, le drapeau tunisien n’est jamais loin. Je suis un cas particulier, je le sais, et je fais de mon mieux pour le faire durer le plus longtemps possible ! J’espère dans le futur faire beaucoup de choses en Tunisie et dans les pays arabes pour poursuivre dans cette voie.

RFI : La relève pointe-t-elle le bout du nez ?

SS : Je n’en sais rien. Je ne vis pas en Tunisie, et quand j’y vais c’est pour être en famille, pas pour jouer au tennis. La relève, on la verrait dans les classements juniors ou séniors. Pour l’instant, on ne la voit pas. J’espère qu’elle existe...

RFI : La Fédération tunisienne et la Confédération africaine de tennis s’intéressent-elles à vos performances ?

SS : Il faut le leur demander… En tout cas, je n’ai pas de contact régulier. Attention, nous sommes en bons termes ! Là par exemple je vais appeler mon président de fédération pour lui dire que mercredi, je joue contre Venus Williams…

RFI : Souhaitez-vous vous investir davantage dans le tennis tunisien ?

SS : Je ne sais plus trop comment ça se passe là-bas, donc je ne peux pas pour l’instant servir à grand chose. Il y a tellement à faire, à mettre en place, à changer peut-être… Il faudrait que j’aille directement sur place pour me rendre compte, voir si des jeunes montent. Pour l’instant, je suis à 100% dans ma carrière.

RFI : En voyez-vous la fin ?

SS : Ca dépendra des résultats. Deux ans, trois peut-être. Et puis on verra, en fonction de l’état de santé, des blessures (elle touche du bois). Pour l’instant, en tout cas, je suis bien.            

RFI : Y-a-t-il quelque chose d’inédit que vous aimeriez réaliser avant de vous retirer ?

SS : Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas réalisées. Pour être réaliste, je dirais atteindre enfin le troisième tour en Grand Chelem. A cause de mon classement, je tombe très vite sur des têtes de série, c’est difficile… Mais ce serait vraiment génial.