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Tennis

«Mon ambition ? Entrer dans le Top 10»

par Jean-François Pérès

Article publié le 03/06/2008 Dernière mise à jour le 03/06/2008 à 13:41 TU

Takanyi GarangangaDR

Takanyi Garanganga
DR

Son nom est aussi compliqué que ses idées limpides : Takanyi Garanganga, Zimbabwéen de 17 ans et seul représentant masculin du continent noir chez les juniors, est fermement décidé à devenir l’un des meilleurs joueurs du monde. Et ce n’est pas son élimination in extremis au 2ème tour des Internationaux de France qui le fera changer d’avis. Rencontre avec un garçon d’une rare maturité, qui entend incarner la relève d’un tennis africain particulièrement amorphe ces temps-ci.

Deux générations se croisent dans les couloirs de Roland-Garros. Kevin Ullyett, 36 ans, vétéran du tennis zimbabwéen, qui en termine de ses obligations avec la presse, tombe par hasard sur Takanyi Garanganga. Ils se tapent dans la main, échangent quelques nouvelles. Tous deux viennent de s’incliner, Ullyett en ¼ de finale du double sénior, Garanganga au 2ème tour du simple juniors. Heureux de se retrouver, à mille lieux des problèmes raciaux et politiques de leur pays, le Blanc (Ullyett) et le Noir (Garanganga) prolongent l’instant et s’encouragent.

« Et pourtant, je suis déçu », confie le cadet. « J’ai eu des occasions, deux balles de match… » Au final, c’est le Chinois de Taipeh Tsung-Hua Yang qui s’est imposé (6/3 2/6 9/7). Mais Garanganga promet de retenir la leçon. « Le jeu sur terre battue, ce n’est vraiment pas facile. Il faut être patient, construire les points, faire les bons choix. Mais je pense que c’est une surface qui t’aide à devenir un meilleur joueur de tennis, elle te pousse à te concentrer. Ca vaut le coup de faire des efforts. »

Le souriant droitier sait de quoi il parle. Il a quitté Harare et sa famille à l’âge de 13 ans, en 2004, pour tenter sa chance aux Etats-Unis. D’abord à Atlanta, où il est pris en charge par l’ancien joueur sud-africain Grant Stafford, puis en Virginie, à Charlottesville, où il s’est installé en début d’année. « La rupture n’a pas été trop difficile, se souvient-il. OK, j’avais 13 ans, mais j’ai toujours été entouré de gens plus âgés que moi, et je pense que cela m’a permis d’être mature plus rapidement que les autres. »

A Charlottesville, Garanganga fait partie d’un petit groupe d’espoirs internationaux entraîné par Jacek Wolicki, ancien n°11 canadien. Son quotidien ? Trois heures de tennis le matin, deux heures l’après-midi. Le reste du temps, il étudie par correspondance et reste sagement chez lui devant sa télé ou son ordinateur. « Je n’aime pas trop sortir, car je suis souvent dehors », plaisante-t-il.

Champion d’Afrique juniors, en simple comme en double

A moitié d’ailleurs : depuis quelques mois, sa carrière décolle. En mars, Takanyi Garanganga a été la grande vedette des Championnats d’Afrique juniors, au Botswana, où il a été sacré en simple comme en double (avec son compatriote Mbonisi Ndimande). Seul Byron Black, référence majeure du tennis zimbabwéen, avait réalisé avant lui une telle performance.

Actuellement n°24 mondial juniors après une pointe à la 17ème place, Garanganga, premier joueur noir zimbabwéen à atteindre un tel niveau, attend la saison de gazon avec impatience, lui dont les qualités athlétiques s’expriment -pour l’instant- plus facilement sur surfaces rapides.

Etonnant mélange de décontraction africaine et de confiance en soi « made in USA », ce fils d’universitaires (sa mère est professeur d’anglais, son père météorologue) ne masque pas ses ambitions. « Peu de choses peuvent m’arrêter, à part moi-même. Etre seul comme je le suis depuis quatre ans, cela permet de mieux prendre les décisions importantes. Je suis le premier Noir à ce niveau dans mon pays, c’est bien, mais je n’en fais pas un but. Je veux arriver beaucoup plus haut. Dans les dix premiers mondiaux. » Le tout dit sans forfanterie, avec une calme détermination.

Déjà membre de l’équipe nationale de Coupe Davis, qu’il souhaite à terme « ramener dans le groupe mondial », Takanyi Garanganga incarne-t-il la relève d’un tennis africain de plus en plus désertique ? Cette année, à Roland-Garros, seule la Tunisienne Selima Sfar, 30 ans, représentait le continent chez les séniors, hommes et femmes confondus. Depuis quelques années et le retrait progressif des générations spontanées marocaine, sud-africaine, malgache et… zimbabwéenne (les frères Wayne et Byron Black, leur sœur Cara, Kevin Ullyett), le phénomène tend à s’aggraver.

« Il ne faut pas forcer les jeunes, mais les encourager »

« C’est dommage, il pourrait y avoir bien plus de joueurs, estime le jeune Zimbabwéen. Cela va prendre du temps, mais c’est avant tout une question de mentalité. Chez nous, beaucoup de familles sont obsédées par la réussite scolaire. Elles ne veulent pas prendre de risques pour leurs enfants. Pourtant, les talents existent, j’en croise sur le circuit. Je pense qu’il ne faut pas forcer les jeunes, mais les encourager, essayer de développer leur confiance en eux. »

Quelques minutes auparavant, Kevin Ullyett regrettait devant nous le « manque d’écoles de tennis en Afrique. Le football mange tout, et c’est difficile de former des champions dans ces conditions, avec des courts aléatoires, du matériel dépassé et des mauvaises balles. D’autant que l’argent disponible n’atterrit quasiment jamais dans les bonnes mains. La corruption est un problème majeur sur le continent, raison pour laquelle je ne suis pas très optimiste pour l’avenir immédiat du tennis africain. »

Aujourd’hui exilé à Londres pour fuir le régime Mugabe, comme beaucoup de ses compatriotes blancs, l’ex-numéro 3 mondial en double, vainqueur de deux tournois du Grand Chelem (Australie, US Open), se dit prêt à aider son pays une fois le calme revenu. « Le Zimbabwe est à genoux, et son image est déplorable. Quand ma carrière sera terminée, c'est-à-dire bientôt, j’ai la volonté de m’investir dans le développement du tennis au pays, pour peu que les choses évoluent enfin. » Un conseil au cadet ? « Qu’il s’entoure d’amis pour mieux supporter la vie du circuit et prenne toujours du plaisir à jouer. »

Quant aux parents, restés à Harare, ils s’intéressent de plus en plus à la carrière du gamin. « Ma mère était sceptique au début, elle n’aimait pas trop le tennis. Ca va mieux désormais. Mon père est capable de regarder mes matchs trois heures durant sur Internet, c’est pour dire… »     

Takanyi Garanganga fêtera ses 18 ans dans moins d’une semaine, le 9 juin. Il sera alors à Londres pour participer au tournoi du Queen’s. Grâce au système des ITF Teams (duos) mis en place par la Fédération internationale de tennis, le champion d’Afrique juniors partage trois mois en Europe avec l’un de ses congénères. « Une chouette expérience. On vit ensemble, on voyage ensemble, on apprend à se connaitre. »

Au fait, comment s’appelle l’alter ego ? « Kittiphong Wachiramanowong. Il est Thaïlandais, et très talentueux ». Dommage que les noms propres soient interdits au Scrabble, avec une telle paire de patronymes… « Oui, mais il va falloir vous y habituer », conclut malicieusement Takanyi Garanganga. Vu son assurance, on serait porté à le croire.