par Jean-François Pérès
Article publié le 03/09/2008 Dernière mise à jour le 03/09/2008 à 17:49 TU
Derrière l'enthousiasme des joueurs et des supporters (ici à l'Euro 2008), un sport gangréné par la corruption et le crime organisé ?
(Photo : Reuters)
« Entendons-nous bien, j’adore le football », précise d’emblée Declan Hill en préambule du lancement français de son livre, dans un grand hôtel parisien. « Ce n’est pas une attaque, mais une protection. Le football, c’est mon amour, je veux contribuer à le sauver... »
Un amour mis à rude épreuve après quatre années d’enquête et plus de deux cents entretiens avec des personnalités très diverses du football international (joueurs, dirigeants, arbitres, journalistes…).
Tout commence en 1999 quand ce reporter tout-terrain, collaborateur de la BBC et spécialisé dans le crime organisé, enquête sur l’influence de la mafia russe dans le hockey canadien. Il rencontre l’un de ses gros bonnets qui lui dit adorer autant le football que la NHL (le championnat national de hockey-sur-glace). Ce qui lui met la puce à l’oreille.
L’immensité du marché des paris sportifs en Asie
Declan Hill transporte rapidement le cadre de ses investigations en Asie, où la grande majorité des paris sportifs mondiaux, légaux et illégaux, est réalisée. Pour illustrer son choix, l’auteur, avec une efficacité toute anglo-saxonne dans la maîtrise de la promotion et de la communication, n’hésite pas à interrompre la conférence de presse pour comparer, gestes à l’appui, l’estrade aux marchés européen et américain et le reste de la (grande) salle au marché asiatique. « C’est énorme, énorme », répète-t-il à l’envi. « Des milliards et des milliards de dollars… »
Elément central de son ouvrage, Lee Chin (le nom a été changé par mesure de sécurité, le journaliste ayant travaillé sans révéler ses intentions), un puissant bookmaker asiatique mafieux qui dit posséder seize « coursiers » sur la planète pour truquer les résultats de certains matchs internationaux et empocher des fortunes sur les paris.
La preuve ? Grâce à Lee Chin, Hill a connu l’issue de quatre matchs du Mondial 2006 avant même leur déroulement. La plus grossière ? Le huitième de finale Brésil-Ghana, remporté 3-0 par les Brésiliens.
Manque de preuves
Du football anglais d’après-guerre à l’affaire VA-OM en France, en passant par la corruption sexuelle des arbitres et le scandale des matchs arrangés en Italie ou en Belgique, l’ouvrage fourmille de rappels historiques et témoigne du travail en profondeur de l’auteur. On y croise des personnages aussi familiers que Bernard Tapie, Luciano Moggi ou Jorge Nuno Pinto Da Costa, le sulfureux président du FC Porto.
Mais Hill a, selon nous, voulu embrasser trop d’affaires et de contextes différents en partant du principe que le football était aujourd’hui globalisé, donc uniformisé. De fait, certains passages ou démonstrations manquent de preuves tangibles et ne reposent que sur de fragiles témoignages verbaux. L’auteur se garde d’ailleurs (trop) souvent de toute conclusion et se retranche fréquemment derrière moult précautions oratoires.
Les chapitres concernant le football africain ne sont ainsi guère convaincants. Sur le Ghana, pays le plus montré du doigt, la pièce de résistance est offerte par l’ancien capitaine des Black Stars, Stephen Appiah, qui admet avoir touché 20 000 dollars lors des Jeux olympiques d’Athènes pour… gagner contre le Paraguay. Somme partagée ensuite avec ses coéquipiers.
« Comme par hasard, il n’y a pas dans ce livre de joueurs qui disent avoir touché de l’argent pour perdre un match, ce qui est pour le compte contraire à l’esprit de la compétition », déplore l’ancien gardien de but des Lions indomptables du Cameroun, Joseph-Antoine Bell, joint par RFI. « Je crains que cet ouvrage, du moins sur la partie africaine, ne repose que sur des affabulations. »
Bell : « De la mythomanie »
Le Cameroun est d’ailleurs cité à trois reprises, pour des matchs de Coupe du monde supposément truqués en 1982, 1994 et 1998. Le premier met en cause Cameroun-Italie, dernier match du premier tour du Mundial espagnol.
« N’importe quoi, réagit Bell, alors doublure de Thomas N’Kono. L’Italie avait ouvert le score, nous avions égalisé et nous voulions absolument gagner. L’entraîneur italien avait dit que cette rencontre allait permettre à ses joueurs de soigner la différence de buts, nous étions très remontés et eux jouaient leur qualification. Le match nul (1-1) nous avait éliminés, et pas eux… »
Pour 1994, Declan Hill cite un bookmaker malaisien véreux qui dit avoir contacté « le coursier d’un réseau de footballeurs corrompus du Cameroun » : « Il me demande 100 000 dollars. Ensuite, je les ai rencontrés, je les ai vus, le leur ai parlé et ils ont dit : ‘On veut bien faire affaire sur notre premier match avec le Brésil’».
Lors de cette phase finale aux Etats-Unis, Joseph-Antoine Bell était le gardien titulaire des Lions. « Grosse erreur. Le premier match, ce n’était pas le Brésil, mais la Suède. On avait fait une bonne prestation (2-2) et on n’avait aucun intérêt à balancer le match contre le Brésil. On parle-là d’équipe nationale en Coupe du monde. Jouer le Brésil, c’est pour beaucoup le sommet d’une carrière. Et même pour l’argent, il y a bien plus à gagner qu’à perdre dans ces circonstances, crois-moi... Qui vendrait le sommet de sa carrière ? »
Très remonté, l’ancien capitaine camerounais ajoute : « Un, l’avantage d’être Noir, c’est qu’on reconnait facilement les autres. Or je n’ai pas vu le moindre Asiatique de toute la Coupe du monde 1994 dans les hôtels où nous sommes descendus ou autour de l’équipe. Deux, à l’époque, la plupart des joueurs étaient encore au pays, et aucun d’entre eux ne jouait en Asie. Il ne pouvait pas y avoir de réseau de footballeurs corrompus. C’est de la mythomanie. »
Malgré ses faiblesses, une initiative louable
Dernier exemple, France 1998. Pal, le bookmaker malaisien, assure avoir saboté un match du Cameroun par l’intermédiaire du même coursier qu’en 1994. « J’ai installé l’eau dans son village. C’est comme ça que j’ai truqué les matchs (sic) », est-il écrit.
Bell s’insurge : « Aucun Camerounais n’accepterait un tel marché ! Il prendrait l’argent et se débrouillerait tout seul, tellement cela poserait de problèmes de versements et de suivi de chantier, sans compter les surfacturations dues à un financement étranger… Je pense que le football est devenu un tel fantasme que l’on écrit tout et n’importe quoi à son sujet. Mon sentiment est que ce journaliste a probablement été manipulé. »
Et pourtant : au-delà de ses faiblesses et de son mélange parfois crispant de récit à la première personne et d’investigation journalistique (très anglo-saxon, là aussi), «Comment truquer un match de foot ?» nous parait une initiative louable. Le monde décrit par l’auteur n’est pas utopique et le signal d’alarme qu’il déclenche dans cette synthèse fourre-tout est tout sauf inopportun.
Auteur de "Comment truquer un match de foot ?"
"Franchement, au début, j'étais sceptique..."
Accompagné sur l’estrade par Jens Sejer Andersen, le directeur danois de l’ONG « Play the game » (Jouez le jeu), qui prône plus de démocratie et de transparence dans le sport international, Declan Hill espère simplement qu’il n’est pas trop tard. « Nous pouvons gagner ce combat et ce sport le mérite », conclut-il, aussi grave que sincère.
Son éditeur français est quant à lui optimiste : 25 000 exemplaires ont été imprimés, un tirage "XXL" pour une enquête traitant de sport.