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Egypte
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La langue française à la rescousse des fans de football
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Peu de supporters égyptiens peuvent se payer le voyage pour Tunis, ceux qui restent au pays regardent les matchs sur la 2e chaîne de télévision avec des commentaires en français. ©AFP
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Grâce à un accord commercial de dernière minute, les amateurs de football peuvent suivre en direct la CAN 2004 sur une chaîne publique. Beaucoup d’entre eux devront cependant se contenter des images, les commentaires étant en langue française.
De notre correspondant au Caire
Comme tous les Africains, les Egyptiens sont atteints de «footballite » aiguë. Une maladie qui, jusqu’à récemment, n’avait qu’un seul remède. Un remède qui consiste à se rendre au temple des dieux du stade. Là, on participe à la cérémonie collective faite d’ovations et d’invectives, de rires ou de larmes. Mais ce remède, dans le cas de la CAN 2004, n’est à la portée que des seuls riches qui peuvent se payer l’avion Caire-Tunis, sans parler de l’hôtel, des taxis et des billets d’entrée. Pour les désargentés et autres indigents, le palliatif consiste à adorer un parallélépipède rectangle faisant office d’oracle des dieux..
Mais ô malédiction du destin, même cet objet de culte communément appelé télévision, a perdu ses pouvoirs. Amon-Râ n’a pas réussi à convaincre les dieux de Carthage de lui céder les droits de diffuser la grand-messe en direct. La télévision étatique égyptienne n’a pas réussi à débourser les millions de talents réclamés par ART (Arab Radio Télévision), propriétaire des droits de retransmission. Après avoir poussé quelques retentissants «Delenda Carthago », les descendants des Pharaons commencent à se faire une raison. Des dizaines de milliers d’entre eux se sont résignés à passer sous les fourches caudines d’ART. Ils se sont abonnés au décodeur satellitaire des barbares venus de la péninsule arabique. Huit euros pour suivre la compétition sur le bouquet «Awaél » d’ART. Ceux là se mordent aujourd’hui les doigts.
En effet, la nécessité étant la mère de l’invention, un petit débrouillard de la télévision étatique égyptienne a trouvé la solution. La société Sportfive de Jean-Claude Darmon qui possède les droits de retransmission de la CAN 2004 a vendu à ART les droits de diffusion en arabe et en anglais. Le français a été oublié. Résultat, la seconde chaîne nationale égyptienne a conclu un accord avec Sportfive en vertu duquel elle diffuse les matchs en directs et commentés en français.
Communion collective garantie
Des millions d’Egyptiens ont ainsi pu voir samedi le match d’ouverture entre la Tunisie et le Rwanda avec des commentaires en français. Et qu’importe si seulement quelques élus ont pu les suivre. Le spectacle est gratuit et les commentateurs francophones ont une qualité inégalable : personne, ou presque, ne comprend ce qu’ils disent. Ils ne peuvent donc pas faire lourdement étalage de leur science infuse comme cela peut être le cas avec les commentateurs égyptiens ou arabes. Et puis, au fond, pour suivre un match de foot télévisé a-t-on vraiment besoin de commentaires ? Ne suffit-il pas d’écouter les noms des joueurs qui sont les mêmes dans toutes les langues malgré quelques différences d’accent ?
Quant aux inconditionnels du commentaire arabe, ils peuvent toujours aller au café ! N’importe lequel, du boui-boui de bidonville au pub à l’anglaise de l’hôtel cinq étoiles, les matchs seront diffusés. Il suffira de consommer pour pouvoir regarder. Du thé recyclé au whisky 18 ans d’âge qu’importe ! Le spectacle sera le même pour celui qui aura payé un demi euro comme pour celui qui en aura déboursé une vingtaine. En prime, il y aura cette communion collective que seuls les stades permettent : une cinquantaine de gosiers qui hurlent en même temps, des congratulations et des embrassades avec des inconnus, ou de grandes funérailles où le chagrin est plus supportable parce que partagé.
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Alexandre Buccianti 28/01/2004
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