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Ethiopie-Erythrée:<br> pour quelques bouts de terre

L'Ethiopie et l'Erythrée s'affrontent à nouveau dans un conflit pour quelques bouts de terre situés sur leur frontière commune. Une guerre absurde qui a fait des dizaines de milliers de morts et se poursuit malgré les efforts d'une multitude de médiateurs internationaux.
Rarement conflit aura mobilisé autant de médiateurs. Les Nations Unies, tout récemment, mais aussi l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'Union européenne, l'Italie, les Etats Unis, l'Allemagne, l'Egypte, la Libye, Djibouti, le Rwanda, et même le Zimbabwe: chacun y est allé de sa bonne volonté pour tenter de trouver une issue à une guerre d'autant plus absurde que, pour quelques dizaines de kilomètres carrés de territoire, des dizaines milliers de soldats y ont déjà trouvé la mort.

En mai 1998, une vulgaire dispute entre l'Ethiopie et l'Erythrée sur le tracé de leur frontière commune a en effet dégénéré en un affrontement sanglant dans lequel chacune de ces nations de la Corne de l'Afrique a massivement engagé ses forces armées. L'enjeu n'est pas une bande de territoire riche en pétrole ou un quelconque antagonisme ethnique ou religieux. Il s'agirait plutôt d'une " querelle de famille " qui a dégénéré. Car le destin de ces deux pays est étroitement lié. Indépendante depuis 1993, l'Erythrée a longtemps fait partie de l'Ethiopie. Mais surtout, son président, Issayas Afeworki, et le premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, sont d'anciens compagnons d'armes. Ensemble, ils ont combattu contre la dictature du colonel Mengistu, qui dirigea l'Ethiopie d'une main de fer jusqu'à son renversement en 1991. Et il n'y a pas si longtemps, le président Clinton, désireux d'impulser une nouvelle politique américaine en Afrique subsaharienne, classait ces deux dirigeants parmi ces " nouveaux leaders " porteurs d'espoir pour le continent noir.

En fait, cette entente cachait des désaccords. Et si personne ne s'attendait à ce qu'ils dégénèrent à ce point, la tension entre les deux voisins était déjà perceptible. La décision erythréenne, en novembre 1997, de battre sa propre monnaie, le nafca, avait été mal accueillie à Addis-Abeba. L'Ethiopie, Etat enclavé, y voyait un obstacle aux échanges, forcément importants puisque l'Erythrée restait son principal accès à la mer. Pour sa part, Asmara s'irritait de la décision de son voisin d'exiger, en représailles, que les transactions entre les deux pays se fassent en dollars US. En outre, les autorités du nouvel Etat ont fait du nationalisme un axe important de leur politique.

Plusieurs tentatives pour trouver une solution

A priori sans relation directe avec le conflit actuel, cette affaire a contribué à matérialiser un peu plus une frontière dont le tracé était depuis longtemps sujet à controverse. Addis-Abeba revendiquant un bout de territoire peu à peu conquis par l'ancien régime de Mengistu et l'Erythrée s'en tenant à un traité de délimitation des frontières conclu il y a près d'un siècle entre l'Italie et l'empire Ethiopien. C'est la mort d'un érythréen, début mai 1998, à Badmé, une poche de territoire sous administration éthiopienne située sur la partie ouest de la frontière, qui a servi de détonateur. En représailles, les troupes d'Asmara ont investi la zone. La riposte d'Addis-Abeba a été immédiate et les combats se sont étendus à d'autres régions : Tsorona et Zala Ambessa au centre de la frontière, puis Burié à l'est. Après plusieurs mois de combats, une trêve des attaques aériennes a été conclue, en juin 1998. Un plan de paix de l'OUA, prévoyant un retrait des troupes érythréennes et le déploiement d'une force internationale, a même été adopté vers la fin de l'année.

Il est resté lettre morte et les hostilités ont repris de plus belle, en février 1999, entraînant près de 500 000 soldats de part et d'autre. Les morts se comptent par dizaines de milliers et au moins un demi million de personnes ont été déplacées. Par ailleurs, les deux pays ont expulsé un grand nombre de leurs ressortissants respectifs. Les conséquences ne sont pas seulement humaines. Elles sont aussi économiques, puisque les échanges entre le géant éthiopien (1, 1 millions de km2 ; 58,3 millions d'habitants) et la petite Erythrée ( 121 000 km2, ) se sont effondrés. Privée de son accès à la mer, l'Ethiopie a dû dévier ses exportations vers Djibouti. Et inversement, l'activité des ports érythréens de Massawa et Assab, sur la mer Rouge, a brusquement chuté.

Les efforts pour mettre fin à la guerre se sont néanmoins multipliés, courant 1999. Lors du sommet de l'Organisation de l'unité africaine à Alger, mi-juillet, les deux gouvernements ont même réitéré leur acceptation de l'accord cadre de l'OUA. Des émissaires américains, mais aussi libyens et allemands, ont également fait la navette entre les deux capitales, dans les semaines qui ont suivi. Le chef de l'Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, auquel échoit la présidence tournante de l'Organisation de l'unité africaine, n'a pas n'ont plus ménagé ses efforts. Et la semaine dernière, une mission des Nations Unies menée par l'ambassadeur américain Richard Holbrooke a tenté une négociation de la dernière chance. Mais Addis-Abeba et Asmara, après s'être mutuellement accusés de vouloir saboter la mise en £uvre du cessez-le-feu, ont repris leur affrontement fratricide.



par Christophe  Champin

Article publié le 20/05/2000