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Afrique

La démocratisation,<br> <br> dix ans après

Dix ans après l'apparition des processus de démocratisation de la vie politique dans l'espace francophone, et spécialement, en Afrique, quel bilan peut-on tirer des acquis et des failles constatés dans les processus en cours : c'est à cette question que tente de répondre la conférence de Bamako, qui a aussi pour ambition de proposer des perspectives concrètes d'évolution.
Organisée du 1er au 4 novembre dans un des pays africains, le Mali, souvent cité en exemple pour son expérience de démocratisation, la rencontre de Bamako est l'aboutissement de toute une série de conférences préparatoires qui se sont tenues au long de l'année 2000.
A N'Djamena, en mars, comme à Sofia, fin juin, ou encore à Paris, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a invité tout ce que l'espace francophone compte d'experts, de juristes ou d'universitaires, mais aussi d'acteurs du terrain, à débattre en commun autour de quelques grands thèmes : institutions, processus électoraux, mécanismes de la vie politique ou propagation d'une «culture» de la démocratie, il s'agissait dans ces différents secteurs de dresser un état des lieux des transitions démocratiques, une décennie après les premiers soubresauts de la contestation populaire qui a accompagné le «vent d'est» soufflant avec la fin de la guerre froide.
Une contestation qui, au lendemain de la chute du mur de Berlin, a été symboliquement illustrée par la fameuse conférence nationale du Bénin (en février 1990) : celle-ci inaugurait, de façon assez exemplaire, une magistrale redistribution des cartes dans le jeu politique des pays africains francophones. L'exemple béninois, on le sait, a fait tâche d'huile au point que, deux ans après, on pouvait considérer que l'ensemble du continent africain s'était engagé dans une série de réformes institutionnelles destinées à marquer le passage de systèmes essentiellement autoritaires à une régulation démocratique de la vie politique. Un phénomène notablement plus spectaculaire, mais pas totalement étranger à ce qui pouvait s'observer, selon des modalité toutefois très différentes, dans d'autres pays francophones, au Maghreb et au Proche-Orient, ainsi qu'en Europe centrale et de l'est.
Dix ans, c'est peu pour un bilan, considèrent de nombreux observateurs, pour lesquels les transitions démocratiques en cours sont loin d'avoir atteint un stade de consolidation du champ politique. Du Rwanda ou de la Guinée à la Côte d'Ivoire, l'actualité, en particulier en Afrique, semble donner raison à ceux qui doutent du caractère irréversible de la dynamique démocratique, laquelle aurait au contraire déclenché une succession de phénomènes d'instabilité, tandis que se développaient des conflits sous-régionaux d'une nature et d'une intensité jusque-là inconnue.

Il reste que les années 90 ont bien connu ce que l'ivoirien René Degni-Segui qualifie «d'explosion constitutionnelle et démocratique», sanctionnée par tout un ensemble de nouveaux comportements politiques : libertés d'opinion et de presse, formules nouvelles de contrôle démocratique par des institutions effectives (parlements et organes de régulation institutionnels), déplacement des enjeux et des «sites» de pouvoir plus favorable à la diffusion d'une pratique politique associant la société civile, et bien sûr expériences d'alternance au pouvoir par le biais de mécanismes électoraux de mieux en mieux structurés. Les exemples ne manquent pas qui indiquent qu'un «seuil» a été franchi dans la voie d'une large diffusion du modèle démocratique, quelque soient les carences dans son imposition, et bien qu'on puisse toujours s'interroger sur la validité d'un exercice démocratique influencé par le dogme libéral de l'économie de marché.

Ecouter ce qu'ont à dire

les acteurs du «terrain»

Dans ce contexte, que peut apporter la réflexion initiée par la Francophonie ? Elle peut déjà consister à proposer un relevé d'expériences multiples, et peut-être contradictoires, en écoutant les enseignements dégagés par les acteurs eux-mêmes, et au premier chef par les juristes et constitutionnalistes confrontés dans leurs espaces nationaux à la délicate adéquation entre les principes, inscrits dans les textes fondateurs, et leur application.
En la matière, comme lorsqu'il s'agit d'examiner la rectitude des processus électoraux, il faut savoir prendre en compte les méthodes forcément empiriques qui ont pu voir le jour pour réguler la transition démocratique : ainsi peut-on examiner l'expérience des «commissions nationales électorales» indépendantes, apparues un peu partout en Afrique, dont le fonctionnement offre toujours matière à débat, bien que leur institutionnalisation ne souffre plus guère de discussion.
L'exercice électoral concentre, d'une manière générale, des préoccupations qui relèvent de l'urgence, tant le passage par les urnes apparaît comme une étape essentielle de la démocratisation. Forte de son expérience en matière d'observation des processus électoraux, la Francophonie s'efforce, d'une réunion à l'autre, telle celle qui s'est déroulée à Paris, en avril dernier, de mettre en relief des critères concrets de bonne gouvernance électorale : en mettant ainsi l'accent sur la nécessaire diffusion d'une culture d'acceptation des résultats électoraux, une fois assuré le respect de règles claires de l'exercice électoral, on vise à installer une sorte de code de conduite des acteurs politiques, qui lui-même découle de tout un ensemble de dispositions (telles une plus grande préparation et un meilleur suivi des opérations de vote, ou la consolidation, en particulier financière, des partis politiques, ou encore la prise en compte du rôle d'une société civile neutre et indépendante).

Dans la multitude et la complexité, voire l'imbrication des dispositions destinées à favoriser la démocratisation, émergent de la sorte quelques points-clés : telle la question du coût et du financement des exercices électoraux, pour lesquels le manque d'autonomie des pays concernés est patent, tandis que la philosophie d'un contrôle extérieur des élections par des missions ad'hoc reste âprement discutée.
Dans l'ordre de la vie politique, la Francophonie a souhaité aussi s'interroger sur les formules de gouvernement d'union nationale, qui ont fleuri avec des fortunes très diverses, au risque de pervertir un jeu démocratique où la possibilité de l'alternance reste une notion fondamentale. On peut aussi débattre, souligne Christine Desouches, délégué aux droits de l'homme et à la démocratie de l'OIF, de la question d'une «prime à la démocratie» : on doit en effet se demander comment formuler celle-ci, et si les partenaires extérieurs ont toujours su moduler leur attitude en fonction de stricts critères démocratiques.
On le voit, la matière est vaste, mais ses implications sont très concrètes. La rencontre de Bamako s'inscrit dans cette démarche où il convient pour les pays francophones à la fois d'envisager tous les aspects, y compris à long terme, de l'exercice démocratique, mais aussi de formuler des propositions directes. Un programme d'action doit y être adopté, mais aussi, volet plus politique, un ensemble d'engagements solennels des chefs de délégation à la conférence, consignés dans une Déclaration de Bamako qui pourrait constituer une manière de viatique pour la démocratisation.
On retrouve là, d'ailleurs, une préoccupation de la Francophonie, qui est de constituer un socle de «références» juridiques pour le développement de la démocratie dans l'espace francophone : ainsi ont été collectés les textes considérés comme fondateurs, examinés ou adoptés dans les différents pays membres, tandis qu'une synthèse parallèle vise à collecter l'ensemble des textes et des principes internationaux en matière de démocratie, ce qui remplirait, paradoxalement, un vide à l'heure où la notion est tellement usitée.




par Thierry  Perret

Article publié le 31/10/2000