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Egypte

Le pouvoir sauvé par les «indépendants» et le gong !

Pour la première fois, le parti au pouvoir a subi une déroute électorale lors de la première phase des élections législatives qui s'est tenue les 18 et 24 octobre et les Frères musulmans font leur retour au parlement. Des résultats rendus possibles grâce à la surveillance du scrutin par la justice.
De notre correspondant en Egypte

Le Parti National Démocrate (PND) du président Moubarak a subi une défaite historique même s'il n'a pas perdu la guerre des élections. En effet, au terme du second tour du premier tiers des législatives dont les résultats ont été annoncés mercredi 26 octobre, le PND n'a remporté que 59 sièges sur les 148 à pourvoir. Un événement sans précédent car depuis le coup d'Etat de juillet 1952, jamais une formation au pouvoir n'avait obtenu moins des deux tiers des sièges du parlement. Lors des élections de décembre 1995 le PND, à titre d'exemple, avait raflé 317 des 444 sièges à pourvoir. Un confortable 71% qui lui permettait tous les caprices (désignation du candidat unique à la présidence) auquel le pouvoir était habitué depuis un demi-siècle. Mais l'appétit venant en mangeant, le PND s'était rallié 113 députés «indépendants» pour parvenir au chiffre astronomique de 96,9%. «Un résultat que même Dieu n'obtiendrait pas du fait de l'opposition des athées, des incroyants et autres impies» avait ironisé un éditorialiste.

Mais aujourd'hui, il y a pour la première fois un vrai rapport de forces avec des élus sans étiquette qui sont non seulement aussi nombreux que ceux du PND (59) qu'il ont rallié mais qui surtout, donnent au pouvoir une majorité confortable de 80%. «Il y aura un prix à payer», a estimé un politicien égyptien. Du côté du PND on reconnaît, en privé, que le résultat est «catastrophique» et même «doublement catastrophique». La seconde « catastrophe » vient du fait que 7 islamistes, dont 6 Frères musulmans, ont été élus. La confrérie interdite n'était pas parvenue à faire passer un seul député lors des dernières élections. Pourtant, le gouvernement n'avait pas lésiné sur les moyens pour rendre impossible la mission de frères musulmans. Cela a commencé par les arrestations «préventives» qui depuis un an ont visé les figures de proue «éligibles» du mouvement. La confrérie a ensuite été privée de sa couverture légale avec le gel cet été par la commission des partis du Parti socialiste du travail (PST ex national-socialiste). Pas d'infrastructure ni ne même de siège n'ont pas suffit. Le commission de la presse contrôlée par le pouvoir a suspendu le bi-hebdomadaire islamiste Al Chaab qui servait d'organe de propagande aux islamistes malgré deux arrêtés de justice.

Victoire à la Pyrrhus

A l'issue du premier tour, quand deux frères musulmans sont passés à travers les mailles du filet à Alexandrie et que plusieurs autres se sont retrouvés en ballottage, le gouvernement a mis les grands moyens. Des barrages des forces de l'ordre, relativement neutres dans les autres circonscriptions, ont été érigés devant les bureaux de vote où les candidats islamistes étaient favoris. Une mesure qui a provoqué de violents accrochages entre la police et les sympathisants des candidats islamistes. Les plus violentes manifestations ont eu lieu à Achmoune (40 km au nord ouest du Caire) où une personne a été tuée et des dizaines d'autres blessées. Les lignes de chemin de fer reliant le nord du pays à la capitale ont été barrées par les manifestants «qui troublaient l'ordre public» a indiqué un communiqué du ministère de l'intérieur. Les policiers s'en sont même pris aux journalistes et une reporter de l'agence américaine Associated Press a été jetée à terre dans les incidents qui ont été dénoncés par «Reporters sans frontières» et l'Organisation égyptienne des droits de l'homme. Enfin à Alexandrie, le ministère de l'intérieur a profité d'une action en justice déposée par une candidate pour annuler les élections dans une circonscription où deux Frères musulmans étaient en tête lors du premier tour. Fait notable, toujours à Alexandrie, un éternel député du PND a perdu son siège à cause de la campagne de son adversaire l'accusant de «commercer avec les Juifs». La seule fois où la politique étrangère a compté dans des législatives égyptiennes.

Pour ce qui est du reste des élus de l'opposition, il y a 15 « indépendants » qui le sont restés, 4 nassérien (se réclamant du président Gamal Abdel Nasser) 3 du Rassemblement Progressiste Unioniste (post-communiste) et un seul du Wafd pourtant donné comme probable chef de file de l'opposition.

Cette déroute du PND, transformée en victoire à la Pyrrhus, n'est pas seulement due au raz-le-bol croissant des Egyptiens qui font face à un marasme économique et à des difficultés croissantes de la vie quotidienne. L'autre raison, et sans doute la principale, est l'intervention des juges. Pour la première fois il y eu un arbitre pour la rencontre où jusque là le PND créait les règles en cours de partie. La Haute cour constitutionnelle a annulé la précédente loi électorale et forcé le raïs à adopter un décret où la magistrature supervisait le déroulement du scrutin de A à Z. Les juges égyptiens, réputés pour leur intégrité et leur indépendance à l'égard du pouvoir, ont appliqué la loi à la lettre rendant pratiquement impossible le bourrage des urnes si commun par le passé. Quelle sera la réaction du PND ? Suite aux prochains numéros lors des scrutins du 29 octobre et du 8 novembre où 294 sièges seront en jeu.



par Alexandre  Buccianti

Article publié le 27/10/2000