Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Libye

Les <i>«Etats-Unis d'Afrique</i>» sont mal partis

Le rêve du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi de devenir le parrain des «Etats-Unis d'Afrique» risque de faire long feu face aux violences anti-noires qui ont éclaté dans son pays depuis le mois d'août, provoquant l'exode forcé de plusieurs milliers de Nigérians, de Ghanéens, de Nigériens, de Tchadiens ou de Soudanais, sans que la communauté internationale s'en émeuve particulièrement.
Le colonel Kadhafi lui-même les a attribué à des «mains hostiles» û sans autre précision. Certains analystes pensent que son discours du 1er septembre, date anniversaire de sa prise de pouvoir, a été la goutte d'eau qui a fait déborder la vase, attisant la colère des foules libyennes: il a, en effet, préconisé une plus grande ouverture des frontière et encouragé les mariages mixtes entre Libyens et Africains pour mieux réussir le croisement arabo-africain.

Cependant, son ministre des affaires étrangères Abdulrahman Shelgram a évoqué de combats entre gangs d'Afrique noirs. Il a même affirmé que les Nigérians et les Ghanéens tués lors de ces violences, dont le nombre exact reste encore à préciser û certains parlent de plus d'une centaine, les rescapés d'encore plus û étaient «des criminels» et a souligné que la Libye «n'était pas un pays raciste».

Mais les témoignages des immigrés rentrés au pays, dont certains portent encore les marques de violences, concordent avec les récits anonymes de diplomates en poste à Tripoli: ils évoquent des chasses à l'homme perpétrées par de jeunes Libyens qui, parfois, s'en sont même pris à des ressortissants Libyens originaires du sud du pays, qui avaient le faciès trop foncé.

La Libye traverse une crise économique

Les ambassades du Nigeria et du Niger ont aussi été attaquées et les violences se sont déroulées sans que les forces de l'ordre, pourtant omniprésentes en Libye, n'interviennent véritablement pour les arrêter. Elles se sont contentées de regrouper les immigrés dans des camps de transit avant leur expulsion par la route, vers le Tchad ou le Niger, ou par avion, si leurs pays n'avaient pas de frontières communes avec la Libye.

Officiellement les autorités cherchent à se débarrasser de travailleurs clandestins, sans papiers en règle, venus chercher du travail en Libye faute de pouvoir se rendre en Europe, qui n'en veut pas non plus.

«En fait, il s'agit plus d'un mouvement de l'homme de la rue, surtout des jeunes dont un grand nombre est frappé par le chômage, qui pour la première fois ont contesté ouvertement les décisions de leur chef», explique un diplomate familier de la Libye. Car malgré ses pétro-dollars, ce pays , le plus riche d'Afrique en terme de revenus par habitant û la population est de 5 millions, selon les dernières estimations û traverse une crise économique, résultant en partie des sanctions appliquées pendant des années par la communauté internationale.

Certains experts estiment que de nombreuses familles libyennes vivent avec 170 dollars par mois (un peu plus de mille francs français) même si les revenus pétroliers du pays attendus cette années dépasseront les 11 milliards de dollars.

«Depuis des années le peuple libyen qui vit mieux que d'autres dans la région mais qui a du souvent se restreindre, a vu des milliards dépensés pour l'achat d'armements très vites obsolètes ou trop sophistiqués, pour le financement de mouvements de toutes sortes, y compris terroristes, pour l'entraînement militaire de ôcombattantsö venus du monde entier et aujourd'hui pour renflouer les caisses de plusieurs pays africains», ajoute ce même diplomate.

Et en fait la générosité du colonel Kadhafi semble avoir payé, puisque peu de dirigeants africains ont réagi, à l'exception du président ghanéen Jerry Rawlings venu lui-même chercher par avion 250 de ses ressortissants expulsés. Des responsables nigérians ont même cherché à accréditer la thèse libyenne de combats entre «criminels», ce qui a provoqué des émeutes à Lagos.

Le chiffre exact des immigrés africains en Libye n'a jamais été publié, certaines sources occidentales parlant d'un million.

La Libye a toutefois fait travailler des dizaines de milliers d'étrangers û il y a eu une époque des centaines de milliers de Coréens pour les travaux gigantesques de la «rivière artificielle» dans le désert, et beaucoup d'Egyptiens et de Tunisiens.

Parfois, certains ont du quitter précipitamment le territoire lorsque le colonel Kadhafi s'était brouillé avec les dirigeants de leurs pays, ce qui a été le cas pour l'Egypte et la Tunisie.

En fait le colonel Kadhafi n'a pas attendu sa proposition d'Union africaine avec à terme l'ouverture des frontières pour voir affluer les ressortissants d'Afrique noire. Il en avait fait venir en masse dans les années 70-80 pour les enrôler dans la «légion islamique» qui s'est battu notamment au Tchad.

Ces Africains ont travaillé durement dans le désert ou ont remplacé les Egyptiens et les Tunisiens, notamment dans de grands hôtels à Tripoli où ils s'occupaient de toutes les basses besognes.

Pour les observateurs, il semble impossible, dans ce climat de tension raciale, que Kadhafi puisse continuer à se présenter comme le père du panafricanisme, d'autant plus que l'Afrique a une longue expérience des affrontement ethniques entre les arabes du nord et les noirs de l'Afrique sub-saharienne. «Nous nous sentons floués car après avoir utilisés le soutien africain pour contrer les sanctions, Kadhafi se retourne à nouveau vers ses frères arabes qui l'avaient pourtant ignorés quand il avait été mis au ban de la communauté internationale,» constate avec amertume un intellectuel africain qui vit à Paris.

Au moment des expulsions massives Kadhafi était effectivement en tournée dans plusieurs pays arabes.



Article publié le 18/10/2000