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Kenya

Hécatombe à l'alcool frelaté

Depuis mardi, les cas d'empoisonnement à l'alcool frelaté se multiplient au Kenya. Le nombre des victimes, qui a désormais dépassé la centaine, s'allonge d'heure en heure, tandis que la police affirme avoir arrêté un homme suspecté d'être le fabricant de la cuvée empoisonnée.
De notre correspondant en Afrique de l'Est

Depuis samedi matin, on connaît le visage d'un des responsables présumés de l'empoisonnement à l'alcool frelaté qui a fait à ce jour plus d'une centaine de morts au Kenya et envoyé 400 personnes à l'hôpital dans un état critique. Samuel Njoroge Karanja, selon le East african standard, a en effet été arrêté la veille au soir par la police dans les locaux de sa société commercialisant des produits chimiques. L'homme est un récidiviste: il avait déjà été arrêté l'année passée pour avoir fabriqué 6430 litres de chang'aa, un alcool illicite, distillé traditionnellement à partir de sorgho ou de mil, mais dont la fabrication clandestine à partir de produits de toutes sortes fait l'objet d'une véritable industrie parallèle au Kenya.

L'enquête dira si Samuel Njoroge Karanja est bien le responsable de la fabrication de la cuvée meurtrière de chang'aa coupée au méthanol distribuée depuis mardi dernier dans les débits de boissons des bidonvilles, où le verre vaut l'équivalent d'un franc français. Il y a pourtant peu d'espoir que la production et la consommation de chang'aa cessent pour autant, et avec eux les accidents. Car la chang'aa est désormais l'alcool des pauvres au Kenya, pour lesquels même la bière est un luxe inaccessible, et qui trouvent dans cette boisson à fort degré d'alcool le moyen d'oublier un quotidien misérable. Les fabricants clandestins se disputent d'ailleurs la palme des chang'aa les plus fortes, n'hésitant pas à employer les pires sous-produits de l'industrie chimique pour corser un peu plus leur potion.

La mort en quelques heures

Au Kenya, il ne se passe en général pas un mois sans que soit relaté dans les journaux un cas d'intoxication, notamment à cause du méthanol employé par les distillateurs pour doper leur production, et qui peut rendre aveugle en petites dilutions. En fortes concentrations, comme dans le cas de l'actuelle cuvée circulant dans les bidonvilles, ce diluant agit en véritable poison, s'attaque au système nerveux central, aux reins et à l'appareil digestif et peut tuer en quelques heures dans d'atroces souffrances.

Mais l'habitude des empoisonnements est telle, désormais, que les buveurs n'ont pas cessé depuis mardi de consommer de la chang'aa, malgré les efforts de l'ensemble de la presse pour les dissuader, à grand renfort de reportages dramatiques sur l'agonie terrible des victimes. Néanmoins, l'interpellation de Samuel Njoroge Karanja risque de n'être suivie d'aucun effet. Il est de notoriété publique que la police contrôle une grande partie du marché de la chang'aa. Sans protecteurs, en effet, pas de distillation. En témoignent les nombreux alambics qui fonctionnent au vu et au su de tous dans les bidonvilles de la capitale kenyane, où vivent dans des conditions effroyables plus d'un million de personnes.

Après sa dernière arrestation, Samuel Njoroge Karanja avait d'ailleurs été relâché sans raison valable au bout de quelques jours, et la chang'aa saisie au moment de son arrestation, pourtant parfaitement illicite, lui avait été restituée, puis mise en circulation. Interdite formellement depuis 1995 au Kenya, la chang'aa est ainsi devenu l'objet de tous les trafics, de tous les bénéfices pour ses parrains, et de tous les risques pour ses clients. Sans changement de la législation et sans contrôle de l'état sur sa qualité, elle risque de faire encore de nombreuses victimes.



par A Nairobi, Jean-Philippe  REMY

Article publié le 18/11/2000