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Algérie

La France torturée par sa mémoire

Près de quarante ans après la signature des accords d'Evian et la fin de la guerre d'Algérie, la question de la torture «généralisée et institutionnalisée» - selon les propres termes du général Massu - pratiquée par l'armée coloniale huit ans durant divise l'opinion publique comme la classe politique française. Un débat qui resurgit au moment où des opinions divergentes commencent à s'exprimer parmi les principaux «accusés» : les généraux en charge de ce qu'on appelait très pudiquement «le maintien de l'ordre».
Faut-il opter pour le «devoir de mémoire», reconnaître la «torture d'Etat» pratiquée en Algérie, la condamner par une «déclaration publique», voire faire un geste solennel de «repentance», comme le réclame un manifeste lancé début octobre par des intellectuels proches du Parti communiste? Ou poursuivre une «stratégie de l'oubli», en cantonnant cette question dans le domaine très réservé du «secret d'Etat», ou en la laissant aux seuls historiens ?

De nombreuses questions sont soulevées par les médias français depuis que cette nouvelle «affaire» liée au «passé qui ne passe pas» a éclaté l'été dernier, à l'occasion de la publication par le Monde du témoignage poignant de Louisette Ighilahriz, une militante du FLN qui a été torturée en 1957, durant la fameuse «bataille d'Alger». Une affaire qui continue d'empoisonner les relations franco-algériennes, et conditionne les rapports entre l'ancienne puissance coloniale et ses ex-colonies.

Alain Richard opte pour la transparence

Le groupe communiste à l'Assemblée nationale a demandé dès mercredi la création d'une commission d'enquête sur les tortures commises durant la guerre d'Algérie, dans le but de «contribuer à la vérité, recueillir des témoignages, mesurer l'ampleur des crimes commis, les motivations et les conséquences». Le PCF a toutefois modifié la formulation de sa demande, en supprimant la mention-clé «et les crimes contre l'humanité commis par la France», qui figurait dans une première version. Autant dire que cette affaire provoque d'ores et déjà des controverses qui ne manqueront pas de rebondir.

Les socialistes ont paru en effet plutôt prudents - sinon circonspects - quant à la création d'une telle commission d'enquête. Paul Quilès, qui avait présidé la mission d'information sur le Rwanda, s'est borné à dire qu'il n'avait pas d'avis sur cette question. Jacques Floch, un député socialiste, auteur du texte par lequel l'Assemblée nationale a officiellement reconnu en juin dernier la «guerre d'Algérie», s'est quant à lui prononcé pour une commission d'enquête uniquement sur «les origines de la guerre et pourquoi on a fait la guerre en Algérie». Pour lui «il n'y a pas la guerre propre et la guerre sale, il y a la guerre tout court, et la guerre entraîne la torture, le viol, le vol, le massacre des populations. La torture, c'est l'horreur la plus absolue».

Le député MDC Jacques Desallangre a déclaré quant à lui qu'il était favorable à une commission d'enquête «sur toute la guerre d'Algérie», dans le but de «faire la lumière sur tout, les actes de tortures menés par l'armée française mais également les exécutions du FLN ou la liquidation du MNA» (un mouvement nationaliste algérien modéré). C'est aussi la position du député de centre droit (DL) Claude Goasgen qui a souhaité «que l'on fasse la lumière des deux côtés». Enfin, le député Alain Néri a pour sa part opté pour une «mission d'information» - à l'image de celle sur le génocide rwandais -, ce qui permettrait d'éviter le principal écueil qui semble hanter de nombreux politiques : la responsabilité pénale et les conséquences politiques du «travail de mémoire» qui peut être effectué par une véritable commission d'enquête.

Car, si faire acte de «repentance», même au plus haut niveau de l'Etat, ne peut ouvrir la porte à des sanctions, il en va tout autrement d'une éventuelle qualification de la torture comme crime contre l'humanité. De plus il serait difficile d'éviter qu'une telle commission d'enquête recherche les responsabilités de la pratique généralisée de la torture à la fois chez les militaires et chez les politiques en charge de l'Algérie durant toute la guerre. "La torture, c'est exact, a déclaré très opportunément le general Bernard Gillis, du Cercle des Combattants d'Afrique du Nord française, mais l'armée agissait "sur ordre des pouvoirs publics".

Dès son arrivée au pouvoir en 1981 François Mitterrand a opté pour la «stratégie de l'oubli», en amnistiant officiers putschistes et anciens de l'OAS. Il était sans doute conscient que la «question algérienne» n'était pas de celles que l'on déterre à la légère. Ni sans risque. Le ministre de la Défense Alain Richard a estimé pour sa part que «l'institution militaire aujourd'hui, ce sont des hommes et des femmes qui croient aux valeurs de la République, qui savent qu'il se battent aujourd'hui pour les droits de l'homme, pour les libertés et qui seront, je crois, satisfaits que la transparence soit faite sur ces questions».




Article publié le 23/11/2000