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Peine de mort

Texas : un système judiciaire en question

Les deux candidats au Bureau ovale se disent de fervents partisans de la peine de mort. Mais au-delà de leurs convictions, il y a un système entaché d'irrégularités qui font frémir. Le reportage de Jean-Frédéric Saumont.
De notre envoyé spécial à Austin, au Texas

« Si vous venez au Texas et que vous n'êtes pas pour la peine capitale, c'est une catastrophe ! Il y a presque une machine à mort ici, personne ne peut le nier mais une majorité de Texans, je veux dire 80%, sont pour la peine de mort ». Le constat de Jay Root, journaliste au quotidien Star Telegram est un résumé concis, juste et glaçant. La peine capitale est devenue une forme de routine au Texas : 233 exécutions depuis sont rétablissement en 1976. 145 depuis que George W. Bush est gouverneur du Texas : la dernière a eu lieue le 1er novembre et cela n'a fait que quelques lignes dans les journaux locaux. Ce jour là, à Huntsville où sont regroupés tous les condamnés à mort Jeffrey Dillingham, 27 ans, a été exécuté par injection létale qui a remplacé la chaise électrique au Texas. Malgré la pluie battante, une poignée de militants abolitionnistes se sont rassemblés devant Walls Unit, une prison de brique rouge où se trouve le quartier des condamnés à mort.

Jeffrey Dillingham avait 19 ans lorsqu'il a commis le crime pour lequel il va mourir : son âge est probablement la seule circonstance atténuante d'un crime sordide. Il avait battu à mort Karen Koslow et grièvement blessé son époux après s'être introduit à leur domicile. C'est leur propre fille et son fiancé, un ami de Jeffrey qui avaient projeté le double meurtre des Koslow pour percevoir l'héritage, promettant un million de dollars de récompense à Jeffrey. Dillingham avouera son crime, sera condamné à mort à l'issue de son procès. Ses deux comparses purgent une peine de prison à vie. « Mais ce ne sont pas les pires criminels, ceux qui ont commis les pires crimes qui sont condamnés mort au Texas mais ceux qui sont le moins bien défendus » explique Jim Marcus, directeur du Texas Defender Service, une association d'avocats texans qui assistent et défendent gratuitement les condamnés à mort. Le rapport qu'ils viennent de publier est sans appel : « Le système judiciaire texan est si gravement sinistré, précise Maurie Levin, avocate et membre du Texas Defender Service, qu'il produit des erreurs judiciaires en série et qu'on ne sait même pas avec certitude si les condamnés sont coupables ou innocents ».

Bush et Gore favorables à la peine capitale

Deux cas ont récemment donné matière à polémique : Odell Barnes, exécuté le 1er mars dernier et Gary Graham le 22 juin. L'un et l'autre sont noirs, ils ont clamé leur innocence jusqu'à leur dernier souffle de vie. Pour Odell Barnes comme pour Gary Graham, il n'y avait aucune preuve formelle de leur culpabilité. Mais en dépit de la mobilisation internationale, ils n'ont pas été arrachés du couloir de la mort. Le gouverneur Bush n'a accordé sa grâce qu'une seule et unique fois, un sursis à exécution de trente jours comme le lui autorise la loi constitutionnelle du Texas.
Ce mercredi 1er novembre, devant la prison de Huntville, personne n'espérait de sursis pour Jeffrey Dillingham. La campagne électorale n'a pas fait varier George W. Bush sur la peine de mort. Et son adversaire démocrate, le vice-président Al Gore, même s'il s'entoure de précautions oratoires, est lui aussi favorable à la peine capitale.

Mais au-delà des convictions, il y a un système entaché d'irrégularités qui font frémir. Le Texas Defender Service a relevé 84 cas de condamnations à mort où des faux témoignages ont été présentés, des preuves dissimulées par la police. Il y a aussi le trop fameux Docteur Grigson, baptisé « Docteur La Mort » qui a témoigné dans plus d'une centaine de procès, affirmant que l'inculpé représentait un danger pour la société sans même avoir examiné l'inculpé. A tel point que la société psychiatrique américaine l'a exclu de ses rangs, arguant que sa psychiatrie n'était pas une science et que ce type de témoignage n'a aucune valeur. « Il est trop tard pour tenter de réparer ce qui ne marche pas dans le système judiciaire texan, conclut Maurie Levin. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est un moratoire sur les exécutions pour regarder de près comment la peine de mort est administrée au Texas ».
Un moratoire ? L'idée fait son chemin depuis que le gouverneur républicain de l'Illinois a décidé de suspendre les exécutions après que douze condamnés ont été innocentés dans son état. Mais la route est longue pour les abolitionnistes. Déjà huit exécutions sont programmées au Texas d'ici la fin de l'année; la prochaine aura lieu le lendemain de l'élection présidentielle.



par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 04/11/2000