Mauritanie
Une «démocratie» sans opposition
Contre-coup du conflit israélo-palestinien, la situation devient tendue en Mauritanie. Les émissions en FM de RFI à Nouakchott ont été interrompues par les autorités locales. Gros plan sur une «démocratie» qui ne tolère pas de véritable opposition.
Au lendemain des célébrations du 40e anniversaire de la naissance du pays, le président Maouya Ould Taya, comme son ministre de la communication Rachid Ould Saleh, ont apporté des précisions sur les reformes politiques que la Mauritanie devrait connaître sous peu. Elles visent «un ancrage de la démocratie et non de l'extrémisme», à travers une certaine «dose de proportionnelle permettant une plus grande participation des différents acteurs politiques». En clair, le président mauritanien vise à récupérer les petits partis politiques déjà engagés dans un dialogue avec le pouvoir, qui ont jugé «plutôt positive» cette proposition; mais aussi à écarter définitivement l'opposition radicale représentée par l'UFD (Union des forces démocratiques) d'Ahmed Ould Daddah, ouvertement accusée d'« extrémisme ». Celle-ci a aussitôt qualifiée la déclaration du pouvoir de «plaisanterie de mauvais goût».
Cette prise de position du pouvoir vise aussi à calmer quelque peu le jeu, depuis la dissolution de l'UFD, le 28 octobre dernier, l'arrestation de quatre de ses dirigeants, et surtout les nombreuses manifestations de mécontentement. Nouakchott a ainsi vu apparaître des graffitis et des tracts hostiles au président, une forme de lutte qui avait fait florès au début des années 90 en Mauritanie. Ahmed Ould Daddah est pratiquement obligé de vivre dans une sorte de semi-clandestinité, vraisemblablement dans la capitale.
L'UFD est également à l'origine d'une grande manifestation, qui avait dénoncé la politique pro-israélienne du pouvoir, alors même que des dizaines de manifestants palestiniens étaient tués par l'armée israélienne. L'opposition, qui a en vain réclamé la rupture des relations diplomatiques entre Nouakchott et Tel Aviv, a aussitôt été accusée de «menées subversives» et «troubles à l'ordre public».
L'entente avec Israël intrigue
Cette «entente cordiale» depuis un peu plus d'un an entre Israël et la Mauritanie ne cesse d'intriguer, et ce d'autant plus que le président Ould Taya figurait parmi les plus ardents défenseurs de l'irakien Saddam Hussein, notamment durant la guerre du Golfe : une prise de position qui n'avait guère étonné à l'époque, car la Mauritanie a toujours été très proche de l'Irak, voire du parti baas irakien, notamment au sein du mouvement des Kadihines, de tendance socialiste. Mais aujourd'hui les deux pays sont sur le bord de la rupture : début novembre Bagdad a même refusé qu'un avion mauritanien transportant des parlementaires et des tonnes de médicaments atterrisse en Irak en provenance de Nouakchott.
Comment expliquer ce revirement ? On sait qu'Israël a constamment su faire bénéficier de son aide, à la fois économique et militaire, de nombreux pays africains, à faible population de religion musulmane, comme le Zaïre de Mobutu Sese Seko ou le Cameroun de Paul Biya. Il en va autrement de la Mauritanie, un pays musulman membre de la Ligue arabe comme de l'OCI. Visiblement Nouakchott est devenue une véritable tête de pont d'abord d'Israël - qui dispose d'une ambassade très imposante - mais encore plus des Etats-Unis, plus qu'engagés dans une sorte de «reconquête» de l'Afrique, notamment depuis l'arrivée au pouvoir de Bill Clinton. Les relations très étroites qui existent désormais entre les deux pays ont même permis d'organiser des exercices communs entre les deux armées, dans le but de «promouvoir la stabilité régionale». Washington «gère» une école pour officiers, située à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal, dans la ville de Rosso. Dans un bâtiment qui accueillait autrefois une école militaire de coopération franco-mauritanienneà
En fait, les relations entre Nouakchott et la quasi totalité de ses partenaires traditionnels et ses voisins ne cessent de se détériorer. En ce qui concerne les relations entre la France et la Mauritanie, l'expulsion en septembre dernier de l'attaché militaire français - accusé de favoriser un complot de l'opposition - a confirmé que les tensions apparues depuis plus d'un an n'ont guère disparu. Alors que les massacres réciproques de Noirs et de Maures, en Mauritanie et au Sénégal à la fin des années 80 n'ont toujours pas permis des relations normales entre les deux pays divisés par le fleuve Sénégal, les rapports entre le président Ould Taya et le roi marocain Mohammed VI ne semblent pas non plus au mieux. Une visite déjà programmée du souverain chérifien en Mauritanie - la première du genre depuis l'indépendance de la Mauritanie - a été reportée sine die en raison de la politique proisraélienne de Nouakchott.
Sur le plan intérieur, les relations sont de plus en plus tendues entre le parti au pouvoir (PRDS) et l'opposition de l'UFC. Dernière pomme de discorde en date, les voyages d'Ahmed Ould Daddah d'abord en Syrie et ensuite en Libye, deux pays soupçonnés par le président Taya de vouloir déstabiliser la Mauritanie. Mais, au-delà des deux partis, les deux leaders mauritaniens représentent deux clientèles électorales que tout oppose. Taya et le PRDS (un parti de notables) comptent sur une majorité présidentielle basée sur une clientèle fidèle : les Maures «blancs» de l'Adrar (d'où Taya est originaire) et d'autres régions, des nombreux Maures «noirs» (ou haratines, anciens esclaves affranchis) ainsi que des notables négro-africains qui ont fourni l'essentiel des cadres de l'administration. De son côté Ahmed Ould Daddah peut disposer d'une alliance entre divers partis d'opposition, basée sur l'UFD qui regroupe surtout des radicaux de profession libérale. Mais le demi-frère de l'ancien président Moktar Ould Daddah peut lui aussi compter sur des Maures «blancs» originaire de sa région (Trarza), ainsi que sur des couches populaires chez les haratine comme chez les Négro-africains.
Lors de l'élection présidentielle de 1992, en dépit de nombreuses fraudes, Ahmed Ould Daddah avait enregistré un score plus qu'honorable : 32% des voix, contre 62% au président Taya. On peut raisonnablement penser que, si des élections véritablement démocratiques étaient organisées aujourd'hui en Mauritanie, les deux candidats auraient des chances pratiquement égales de l'emporter. C'est sans doute pour cela que l'opposition réclame de plus en plus la création d'une véritable Commission électorale indépendante du pouvoir en place. Comme au Sénégal et en Côte d'Ivoire.
Cette prise de position du pouvoir vise aussi à calmer quelque peu le jeu, depuis la dissolution de l'UFD, le 28 octobre dernier, l'arrestation de quatre de ses dirigeants, et surtout les nombreuses manifestations de mécontentement. Nouakchott a ainsi vu apparaître des graffitis et des tracts hostiles au président, une forme de lutte qui avait fait florès au début des années 90 en Mauritanie. Ahmed Ould Daddah est pratiquement obligé de vivre dans une sorte de semi-clandestinité, vraisemblablement dans la capitale.
L'UFD est également à l'origine d'une grande manifestation, qui avait dénoncé la politique pro-israélienne du pouvoir, alors même que des dizaines de manifestants palestiniens étaient tués par l'armée israélienne. L'opposition, qui a en vain réclamé la rupture des relations diplomatiques entre Nouakchott et Tel Aviv, a aussitôt été accusée de «menées subversives» et «troubles à l'ordre public».
L'entente avec Israël intrigue
Cette «entente cordiale» depuis un peu plus d'un an entre Israël et la Mauritanie ne cesse d'intriguer, et ce d'autant plus que le président Ould Taya figurait parmi les plus ardents défenseurs de l'irakien Saddam Hussein, notamment durant la guerre du Golfe : une prise de position qui n'avait guère étonné à l'époque, car la Mauritanie a toujours été très proche de l'Irak, voire du parti baas irakien, notamment au sein du mouvement des Kadihines, de tendance socialiste. Mais aujourd'hui les deux pays sont sur le bord de la rupture : début novembre Bagdad a même refusé qu'un avion mauritanien transportant des parlementaires et des tonnes de médicaments atterrisse en Irak en provenance de Nouakchott.
Comment expliquer ce revirement ? On sait qu'Israël a constamment su faire bénéficier de son aide, à la fois économique et militaire, de nombreux pays africains, à faible population de religion musulmane, comme le Zaïre de Mobutu Sese Seko ou le Cameroun de Paul Biya. Il en va autrement de la Mauritanie, un pays musulman membre de la Ligue arabe comme de l'OCI. Visiblement Nouakchott est devenue une véritable tête de pont d'abord d'Israël - qui dispose d'une ambassade très imposante - mais encore plus des Etats-Unis, plus qu'engagés dans une sorte de «reconquête» de l'Afrique, notamment depuis l'arrivée au pouvoir de Bill Clinton. Les relations très étroites qui existent désormais entre les deux pays ont même permis d'organiser des exercices communs entre les deux armées, dans le but de «promouvoir la stabilité régionale». Washington «gère» une école pour officiers, située à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal, dans la ville de Rosso. Dans un bâtiment qui accueillait autrefois une école militaire de coopération franco-mauritanienneà
En fait, les relations entre Nouakchott et la quasi totalité de ses partenaires traditionnels et ses voisins ne cessent de se détériorer. En ce qui concerne les relations entre la France et la Mauritanie, l'expulsion en septembre dernier de l'attaché militaire français - accusé de favoriser un complot de l'opposition - a confirmé que les tensions apparues depuis plus d'un an n'ont guère disparu. Alors que les massacres réciproques de Noirs et de Maures, en Mauritanie et au Sénégal à la fin des années 80 n'ont toujours pas permis des relations normales entre les deux pays divisés par le fleuve Sénégal, les rapports entre le président Ould Taya et le roi marocain Mohammed VI ne semblent pas non plus au mieux. Une visite déjà programmée du souverain chérifien en Mauritanie - la première du genre depuis l'indépendance de la Mauritanie - a été reportée sine die en raison de la politique proisraélienne de Nouakchott.
Sur le plan intérieur, les relations sont de plus en plus tendues entre le parti au pouvoir (PRDS) et l'opposition de l'UFC. Dernière pomme de discorde en date, les voyages d'Ahmed Ould Daddah d'abord en Syrie et ensuite en Libye, deux pays soupçonnés par le président Taya de vouloir déstabiliser la Mauritanie. Mais, au-delà des deux partis, les deux leaders mauritaniens représentent deux clientèles électorales que tout oppose. Taya et le PRDS (un parti de notables) comptent sur une majorité présidentielle basée sur une clientèle fidèle : les Maures «blancs» de l'Adrar (d'où Taya est originaire) et d'autres régions, des nombreux Maures «noirs» (ou haratines, anciens esclaves affranchis) ainsi que des notables négro-africains qui ont fourni l'essentiel des cadres de l'administration. De son côté Ahmed Ould Daddah peut disposer d'une alliance entre divers partis d'opposition, basée sur l'UFD qui regroupe surtout des radicaux de profession libérale. Mais le demi-frère de l'ancien président Moktar Ould Daddah peut lui aussi compter sur des Maures «blancs» originaire de sa région (Trarza), ainsi que sur des couches populaires chez les haratine comme chez les Négro-africains.
Lors de l'élection présidentielle de 1992, en dépit de nombreuses fraudes, Ahmed Ould Daddah avait enregistré un score plus qu'honorable : 32% des voix, contre 62% au président Taya. On peut raisonnablement penser que, si des élections véritablement démocratiques étaient organisées aujourd'hui en Mauritanie, les deux candidats auraient des chances pratiquement égales de l'emporter. C'est sans doute pour cela que l'opposition réclame de plus en plus la création d'une véritable Commission électorale indépendante du pouvoir en place. Comme au Sénégal et en Côte d'Ivoire.
par Elio Comarin
Article publié le 30/11/2000