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Ghana

« Captain Rawlings » tire sa révérence

Les Ghanéens choisissent ce jeudi 7 décembre leur nouveau président et leurs députés, après dix-neuf ans de présidence d'un ancien capitaine putschiste qui, après avoir troqué le treillis pour le costume civil, s'est fait élire démocratiquement à deux reprises en 1992 et 1996. Portrait d'un président qui a accepté de s'en aller à 53 ans, après deux mandats successifs. Une première sur le continent africain.
Né à Accra en 1947 d'une mère ewe et d'un père écossais (qui l'a aussitôt abandonné), Jerry Rawlings s'est fait remarquer dès l'école secondaire, pour sa franchise, son autonomie et son envie de révolte. Mais aussi de régler quelques comptes avec la patrie ingrate de son père. Pour cela, ce métis « good looking », doué et brillant n'hésite pas un instant à épouser une fois pour toutes la patrie du grand « Kwame » Nkrumah que viennent de renverser une poignée de généraux « néo-coloniaux et pourris » issus de l'armée britannique, en 1966.

Pour cela aussi il rejoint l'armée et opte pour l'académie militaire d'Accra, en 1969, où il obtient le grade de capitaine d'aviation dix ans après ; juste à la veille de son premier « putsch révolutionnaire ». En mai 79 en effet, il dirige une révolte militaire qui échoue et passe aussitôt devant la Cour martiale, où il choisit de se défendre tout seul. Un mois plus tard, il est libéré par d'autres jeunes officiers qui rêvent d'en découdre avec leurs chefs corrompus et remettre le pays - autre fois riche - sur de bons rails. Ensemble ils renversent pour de bon le régime militaire qui avait chassé Nkrumah du pouvoir et n'hésitent pas un instant à faire fusiller huit généraux, dont les trois retenus responsables de la débâcle du pays : Afifa, Acheampong et Akuffo. Il promet aussi de s'en aller au plus vite et de céder le pouvoir aux civils. Des élections générales sont aussitôt organisées et, trois mois après, Jerry Rawlings tire sa révérence devant un civil qui vient d'être élu président : Hilla Limann.

La «génération des capitaines justiciers»

« Captain Rawlings » n'a que 32 ans et il est déjà très populaire dans un pays qui s'appelait autrefois la Côte d'Or et qui rêve de justice et de progrès, mais doit d'abord faire face à une grave crise économique et politique. Au sein de l'armée, ces questions sont débattues quotidiennement, au Ghana comme ailleurs. Au Kenya comme au Libéria - et avant la Haute-Volta ou, plus tard, au Cameroun - des jeunes officiers ou sous-officiers, qui ont souvent fréquenté les mêmes académies militaires européennes, américaines ou africaines, préparent d'autres putschs. Ils se considèrent tous progressistes mais ne sont guère des idéologues. Ils n'ont pas reçu de formation marxiste en URSS ou dans d'autres pays de l'Est, n'ont que de vagues notions économiques ou de gestion des affaires publiques, mais savent bien comment vivent leurs frères et s£urs, leurs parents et leurs amis, en brousse comme dans les toutes nouvelles métropoles du continent . Pour eux, la priorité c'est la justice et la survie quotidienne. « Ne me demandez pas quelle est mon idéologie ou quel est mon programme économique, dit volontiers Jerry Rawlings, en caressant son blouson de pilote d'avion ou en nettoyant ses Ray-Ban. Je connais rien à l'économie, mais je sais bien quand mon estomac est vide ».
Sa « retraite » ne dure que deux ans et demi. Ec£uré par la gestion catastrophique de Hillman, Rawlings le renverse le 31 décembre 1981 et s'installe définitivement au pouvoir. Le modèle formellement démocratique qui vient de faire la preuve de son inefficacité en fait aussitôt les frais : la constitution et les partis sont abolis, le parlement est dissout. Rawlings qualifie son coup d' « opération d'exorcisme qui a permis de faire tomber la colère d'un peuple qui s'est senti trahi ». Mais les deux années suivantes, la « révolution » qui s'installe provoque de nombreuses crises en son sein, l'économie plonge encore plus, et les droits de l'homme ne sont guère respectés : le « pouvoir du peuple » s'accompagne de disparitions et de règlements de compte presque quotidiens.

Paradoxalement, le régime est sauvé parà le FMI et son programme de réajustement structurel, que Rawlings accepte d'appliquer, comme on accepte de boire une potion amère pour retrouver un minimum de santé. Ses amis gauchistes le traitent de « traître », avant de le quitter. Ou de tenter un putsch qui ne marche pas. Car, Rawlings a aussi tiré les leçons de l'échec catastrophique de la « révolution » du sergent Doe », au Libéria, mais aussi de l'assassinat de son ami Thomas Sankara, au Burkina, par un « frère d'armes » : le capitaine Blaise Compaoré.

Visiblement, Rawlings a la baraka. Le Ghana retrouve un peu de sa normalité. Le commerce repart et les milliards de dollars de la communauté internationale restent pour l'essentiel au pays. Sous la pression d'une opposition qui n'a jamais été absente, il accepte lui aussi de « démocratiser » son régime. Il remporte néanmoins les élections de 1992, avec 58% es suffrages, et devient aussitôt le premier président de la IVe République du Ghana. Quatre ans plus tard, il est réélu au premier tour avec 57,2% des voix. Ces élections sont qualifiées de « douteuses » par les opposants, mais le Ghana a évité le pire.

Jerry Rawlings devient ainsi le « bon élève » de la Banque mondiale. Il reçoit, à Accra, les félicitations de Bill Clinton mais aussi de la Reine d'Angleterre. Il ne porte plus d'uniforme, mais des costumes traditionnels très colorés. Du « Grand Timonier » Mao Zedong il a bien retenu une seule maxime : « on peut tout faire avec une baïonnette, sauf s'asseoir dessus ».

Ceci lui permet aujourd'hui de tenir ses promesses et de tirer sa révérence - non sans élégance - dans un continent où ce geste est très rare. Tout en gardant un £il sur ses successeurs.




par Elio  Comarin

Article publié le 07/12/2000