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Maroc

Interdiction de trois hebdomadaires

Le gouvernement marocain a réagi au scandale provoqué par la publication d'une lettre qui prouverait l'implication de la gauche marocaine dans le coup d'Etat manqué contre Hassan II, en 1972, en interdisant trois hebdomadaires indépendants. Le Journal et Assahifa avaient publié la lettre incriminée et Demain des commentaires sur cette affaire. L'interdiction de parution est présentée comme définitive. Le Syndicat national de la presse marocaine dénonce cette atteinte à la liberté de la presse. De son côté, l'ancien opposant Abraham Serfaty, qui ne doute pas de l'authenticité de la lettre, réclame la démission du Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi.
De notre correspondante à Rabat

L'histoire tourmentée du règne de Hassan II plonge la gauche socialiste marocaine dans l'embarras, à cause d'une lettre qui prouverait qu'elle a pactisé avec le diable - le général Oufkir - lors du putsch raté de 1972.

L'hebdomadaire indépendant Le Journal a mis le feu aux poudres, en affirmant, dans son édition du 25 novembre, que la gauche marocaine avait, en 1971-1972, pactisé avec le diable. Un diable qui s'appelle Mohamed Oufkir et qui, selon l'histoire officielle, a été le seul homme qui a tenté de décapiter la monarchie marocaine en cherchant vainement à abattre au-dessus de la ville de Tétouan, le 16 août 1972, le Boeing dans lequel se trouvait le roi Hassan II qui rentrait d'un séjour en France.

Naturellement, la nouvelle a fait l'effet d'une bombe et a fortement ébranlé non seulement la gauche marocaine, au pouvoir depuis le printemps 1998, mais l'ensemble de la classe politique car le général Oufkir, qui s'est officiellement et immédiatement suicidé lorsqu'il a su que ses trois chasseurs n'avaient pas réussi à détruire l'avion royal, a été le personnage central de l'enlèvement et de la disparition en plein c£ur de Paris, à l'automne 1965, du socialiste Mehdi Ben Barka, leader incontestable, à l'époque, de la gauche marocaine.

Et pourtant, Le journal affirme être sûr de ce qu'il avance. Comme preuve de ce pacte contre-nature, l'hebdomadaire publie en effet une lettre non datée qu'il affirme avoir authentifié auprès de son auteur lui-même, Mohamed Fqih Basri, un des derniers dinosaures de la gauche marocaine deux fois condamné à mort et qui a regagné le Maroc en 1995 après plus de vingt ans d'exil à l'étranger. Un militant de la première heure qui, depuis son retour sur le sol natal, n'a jamais rejoint le parti socialiste marocain.

L'USFP: «pas de progrès sans une monarchie forte»

«Au début de l'année 72 ou à la fin de 71, le camarade Abderrahim Bouabid (alors secrétaire général de l'UNFP, l'Union National des Forces Populaire), est venu exposer son projet de prise de pouvoir à Abderrahmane Youssoufi (l'actuel Premier ministre) et moi-même», affirme Mohamed Fqih Basri , avant de préciser que «ce projet a été ficelé en accord avec le général Oufkir et Driss Slaoui (alors membre du cabinet royal)». Le journal précise que ce document manuscrit, écrit en Algérie, avait été confié en 1974 par Mohamed Fqih Basri à un militant socialiste qui l'avait posté de Paris à Abderrahmane Youssoufi, alors en exil à Cannes. Et il explique cette lettre par le fait que Mohamed Fqih Basri, qui cherchait à réfléchir sur l'échec de la gauche marocaine, avait eu des doutes certains quant à la façon dont ce complot avait été «ficelé» puisqu'il risquait de permettre d'innocenter le général Oufkir et de justifier «l'anéantissement moral, politique et organisationnel de l'UNFP par le pouvoir».

Quoi qu'il en soit, ce document a aussitôt déclenché une tourmente dans les milieux politiques marocains ; le bureau politique de l'USFP a publié un communiqué stigmatisant une «campagne mensongère qui vise la stabilité du pays» et accusant Le Journal de «tenter de jeter le doute sur la fidélité des partis au trône, aux institutions sacrées et aux symboles du pays». N'hésitant pas à réécrire l'histoire, Libération, le quotidien en langue française de l'USFP, est même allé jusqu'à écrire qu' «aucune démocratisation, aucune réforme, aucune liberté, aucun progrès ne pourrait se faire sans une monarchie forte dont nous avons été de Mohamed V à Mohamed VI en passant par Hassan II, les défenseurs convaincus et les alliés indéfectibles».

Le quotidien, qui oublie ainsi que les socialistes ont d'abord été républicains et qu'ils ont toujours voté «non » aux différents referendums constitutionnels jusqu'au leur «oui» au dernier scrutin de 1996, a en outre dénoncé un «complot de l'étranger» et s'en est pris, en des termes diffamatoires, à des journalistes français accusés de vouloir mettre le Maroc à feu et sang. Quant à Mohamed Basri, l'auteur présumé de cette lettre, il n'a toujours pas réagi alors que de plus en plus de Marocains attendent de le voir se prononcer.





par A Rabat, Mounia  DAOUDI

Article publié le 03/12/2000