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Tchad

La justice sénégalaise face au cas Habré

Au moment où les recours se multiplient au Tchad, contre d'anciens cadres de son régime, la campagne est relancée pour que la justice sénégalaise n'abandonne pas ses poursuites contre l'ex-dictateur tchadien qui coule une retraite paisible à Dakar.

Alors que l'émoi provoqué par l'affaire Pinochet est retombé, une autre est en train de sombrer dans l'oubli. Hissène Habré, qui dirigea le Tchad d'une main de fer entre 1982 et 1990, coule des jours paisibles à Dakar où il est installé depuis plusieurs années. Et il a de grande chance de vieillir tranquillement dans la capitale sénégalaise.

Les organisations de défense des droits de l'homme tenaient pourtant avec ce dictateur déchu, leur première chance de poursuivre un authentique autocrate africain sur le continent. Selon elles, 40 000 personnes ont été sommairement exécutées ou sont mortes en détention alors qu'il était au pouvoir et de nombreuses autres ont subi la torture ou sont toujours portées disparues. Portées par le précédent des poursuites engagées en Grande Bretagne contre le vieux dictateur chilien, les sept victimes qui ont déposé plainte à Dakar, en janvier 2000, avec le soutien de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme tchadiennes et internationales, s'appuient sur le même argument juridique. Ayant ratifié en 1986 la Convention des Nations Unies contre la torture, qui donne compétence à un magistrat national pour juger des faits commis hors de son territoire par un étranger, le Sénégal pourrait, selon elles, aisément juger le dictateur.

L'affaire est embarrassante pour le régime tchadien actuel

Entamée le 3 février avec l'inculpation du président déchu pour complicité de crimes de torture, la procédure judiciaire a pourtant connu toutes les difficultés du monde. Au mois de mars, s'inspirant du dossier Pinochet, l'avocat d'Hissène Habré, qui se trouve être le conseiller juridique du président sénégalais, dépose un recours en annulation. D'après lui, la Convention des Nations Unies ne s'appliquerait pas pour les faits commis sous le règne d'Habré, parce qu'elle n'a été introduite dans la législation sénégalaise qu'en 1996, soit six ans après la chute de l'autocrate.
Entamée le 3 février avec l'inculpation du président déchu pour complicité de crimes de torture, la procédure judiciaire a pourtant connu toutes les difficultés du monde. Au mois de mars, s'inspirant du dossier Pinochet, l'avocat d'Hissène Habré, qui se trouve être le conseiller juridique du président sénégalais, dépose un recours en annulation. D'après lui, la Convention des Nations Unies ne s'appliquerait pas pour les faits commis sous le règne d'Habré, parce qu'elle n'a été introduite dans la législation sénégalaise qu'en 1996, soit six ans après la chute de l'autocrate.

Le 4 juillet suivant, la chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dakar annule la procédure. Les plaignants ont déposé un pourvoi cassation. Mais ses chances d'aboutir sont minces, tant la volonté de voir cette affaire aboutir semble faible au sommet de l'Etat sénégalais. «Quelques jours avant la décision de la chambre d'accusation, le Conseil national de la magistrature, institution présidée par le chef de l'Etat sénégalais, a pris la décision de muter les juges chargés du dossier», précise Annette Yoram Laokolé, présidente de Saria, une association tchadienne de défense des droits de l'homme qui tente de relancer la campagne internationale pour une condamnation d'Habré. De fait, le juge d'instruction en charge de l'affaire, le doyen Demba Kandji, a été affecté au parquet général et le président de la chambre d'accusation a été promu au Conseil d'EtatàQuant à la deuxième procédure contre «x», pour Crime contre l'humanité, lancée parallèlement, elle reste pour l'instant en sommeil.

Pour Patrick Baudoin, président de la de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), la décision est politique. Une impression confirmée lors de sa rencontre avec le président sénégalais, le 24 novembre dernier. «Le chef de l'Etat sénégalais reconnaît les responsabilités d'Hissène Habré, mais il estime que les crimes qui lui sont reprochés devraient être jugés au Tchad et non au Sénégal, affirme Patrick Baudoin. Il considère également que le Sénégal a déjà suffisamment de difficultés pour se poser en chantre de la justice internationale. Il ajoute que si l'on juge Habré, bien d'autres dictateurs toujours en place devront l'être également.» Pour les organisations de défense des droits de l'homme en revanche, une condamnation de l'ancien président tchadien en Afrique constituerait un immense progrès et, souligne Patrick Baudoin, donnerait une image plus flatteuse du Sénégal qu'en cas d'enterrement politique de l'affaire.

D'autant que d'autres plaintes pourraient être déposées prochainement. L'association Saria a reçu les plaintes de cinq victimes vivant en Europe. «Ces plaintes ont été transmises à des avocats. Elles sont à l'étude, mais on ne sait pas encore ce qu'elles donnent» sur le plan juridique, estime Daniel Bekoutou, un journaliste tchadien proche de Saria. Dans le même temps, les plaintes contre les anciens collaborateurs d'Hissène Habré, dont certains sont toujours en place, se multiplient au Tchad. Elles visent, notamment, des membres de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), police secrète responsable de la plupart des exactions commises entre 1982 et 1990, qui se trouvait sous la responsabilité directe du chef de l'Etat déchu. Aucun recours n'a pour l'instant abouti. Le président Idriss Déby a promis qu'une cour spéciale serait nommée pour juger les complices de l'ex-dictateur. L'affaire est toutefois embarrassante pour le régime actuel, puisque l'actuel président fut l'un des proches collaborateurs d'Habré, précisément en matière de sécurité.



par Christophe  Champin

Article publié le 05/12/2000